Circonstances

Argumentation sur les CIRCONSTANCES

Dans le langage ordinaire, les circonstances [1] d’une action sont les « faits particuliers qui accompagnent un événement ; les éléments secondaires d’une action » (Larousse), Ces faits caractérisent le contexte d’un événement, et non pas l’événement proprement dit. Ils sont dits « secondaires » ou accessoires, dans la mesure où ils ne définissent pas l’événement.

En droit, « on considère qu’il y a un acte, une opération, une situation et ses circonstances. »
(Juridictionnaire, Circonstances) [1].

1. Argumentation sur le fond / sur les circonstances

L’opposition action même / circonstances de l’action n’est pas à rechercher dans le continuum des faits essentiels ou accessoires, mais dans la nature de la question argumentative, qui détermine la pertinence des faits. Ce qui appartient au domaine thématique de la question est source d’arguments directs, forts ou faibles, mais pertinents relativement à cette question. Ces arguments sont liés à la conclusion par le biais d’un schème argumentatif (typiquement indice, témoignage, analogie, causalité, etc.). Ils représentent ce qu’on considère comme un apport substantiel à la discussion.
Les événements qui ne font pas clairement partie de ce domaine de pertinence constituent les circonstances de l’action. Ils ne font pas preuve, du moins ils n’apportent qu’une preuve faible. Par exemple, avoir les cheveux en désordre ou trop bien coiffés est un fait périphérique par rapport à une accusation d’incompétence professionnelle.

Pour distinguer ces deux types d’arguments, le vocabulaire oppose les arguments et les argumentation directes, sur le fond, centrales, fondées sur les faits essentiels proprement dits, aux argumentations indirectes, sur les circonstances de ces faits.

2. Argumentation par les circonstances

L’argumentation par les circonstances est une forme d’argumentation indirecte, utilisée pour établir l’existence d’un fait : “A-t-il commis ce crime ?” (Cicéron, Top., XI, 50 ; p. 82).
Pour établir le fait, on doit « chercher les circonstances qui ont précédé le fait, qui l’ont accompagné, qui l’ont suivi » (Cicéron, Top., XI, 51 ; p. 83) : on trouve ainsi

le rendez-vous […] l’ombre d’un corps […] la pâleur […] et autres indices du trouble et du remords. (ibid., XI, 53; p. 83)

Bossuet est également intéressé par cette méthode de travail de détective :

Il est sorti en murmurant… : c’est argumenter par ce qui précède ; on l’a vu se couler derrière un buisson… voilà ce qui accompagne. […] une joie maligne, qu’il tâchait de tenir cachée, a paru sur son visage avec je ne sais quoi d’alarmé : voilà ce qui suit. ([1677], p. 140)

L’argumentation par les circonstances exploite des faits matériels a priori secondaires, qui néanmoins pointent vers un fait qu’elles suggèrent plus qu’elles ne le prouvent.
Les indices non probants fournissent de tels arguments périphériques.

Question : — Est-il corrompu ?
Accusateur : — Certainement. Il avait des besoins d’argent ; on l’a vu échanger de grosses enveloppes ; et puis, il a acheté une grosse voiture.

Les indices sont de trois types, selon qu’ils précèdent, accompagnent ou suivent l’action. (ante rem, cum re, post rem, Cicéron, Top., p. 82-83). Bossuet parle « [d’]adjoincts ou conjoincts ; antecedens ; consequens » ([1677], p. 140).

Ces circonstances observées sont des indices probables. L’argumentation par les circonstances est un puissant instrument de l’art de jeter la suspicion. L’accumulation de tels indices crée une forte présomption, particulièrement en ce qui concerne l’intentionnalité de l’action.

La prise en compte des circonstances est essentielle pour l’établissement de l’intentionnalité d’une action (Juridictionnaire, id.)

3. Réfutation par recadrage d’une action en fonction de ses circonstances

Les circonstances d’un événement peuvent jouer ou non un rôle essentiel dans la discussion de l’événement focus. Nécessairement, tout discours portant sur un événement opère une sélection de circonstances qu’il considère comme secondaires, alors que l’opposant les mettra en avant parce qu’essentielles.

L1 :  — Vous avez franchi la ligne jaune
L2 : — Oui, j’ai dû me déporter pour ne pas écraser un hérisson, c’est une espèce protégée.

On est dans le cas de réinterprétation d’une action.
Les excuses fonctionnent sur ce principe de recontextualisation de l’action.

V. Fallacie de généralisation abusive, secundum quid.


[1] Le mot anglais circumstances est un faux ami ; il peut renvoyer :
— Aux circonstances d’un événement, ce qui correspond au fr. “circonstances”.
— À la situation d’une personne (spécialement à sa situation financière).
Dans l’expression “circumstancial ad hominem”, les circumstances dont il s’agit relèvent de ce second sens, V. Ad hominem.

[2] https://www.btb.termiumplus.gc.ca/tpv2guides/guides/juridi/index-fra.html?lang=fra&lettr=indx_catlog_c&page=95GjKjNiDgnM.html

[3] Le § 53 des Topiques de Cicéron traite des arguments tirés « des conséquences, des antécédents, des choses contradictoires [ex consequentibus et antecedentibus et repugnantibus] » (Top., XI, 53 ; p. 83). Il s’agit dans ce paragraphe d’antécédence et de conséquence logiques, de liens sémantiquement « nécessaires » (ibid.), qui renvoient aux questions du raisonnement dit a priori, a posteriori, à la définition, aux règles de  l’implication et de la déduction, ainsi qu’au principe de non-contradiction.