Cohérence, Ad hominem, Contradiction

Le texte suivant reproduit celui d’une affiche publiée à Paris pendant la Révolution française contre le « Décret du marc d’argent ». Ce décret, dont il est question ligne 11, fait partie d’un ensemble de dispositions prises par l’Assemblée Constituante (1989 – 1791) organisant le suffrage censitaire masculin pour les élections à l’Assemblée législative qui lui succèdera en 1791. Ce mode de suffrage prévoit que, pour être “citoyens actifs”, c’est-à-dire simple électeur aux assemblées primaires, il faut s’acquitter d’un impôt d’un certain montant, et d’un impôt équivalent à « un marc d’argent » pour être éligible. Les “citoyens passifs” ne sont ni électeurs ni éligibles. Cette disposition soulève beaucoup d’opposition, dont la pétition suivante.


Pétition à l’Assemblée Nationale

Les soussignés, réunis en Comité Central des diverses Sociétés Fraternelles de la Capitale, qui veillent au salut de la chose publique, viennent de se convaincre que le jour qui doit voir commencer les Assemblées primaires, sera le signal de la réclamation universelle de ceux auxquels on a ravi toute espérance.

PÈRES DE LA PATRIE

Ceux qui obéissent à des lois qu’ils n’ont pas faites ou sanctionnées sont des esclaves.

Vous avez déclaré que la loi ne pouvait être que l’expression de la volonté générale, et la majorité est composée de citoyens étrangement appelés inactifs.

Si vous ne fixez les jours sacrés de la sanction universelle de la loi par la totalité absolue des citoyens ; si vous ne faites cesser la démarcation cruelle que vous avez mise par votre Décret du marc d’argent, parmi les membres d’un peuple-frère ; si vous ne faites disparaître à jamais ces différents degrés d’éligibilité qui violent si manifestement votre Déclaration des Droits de l’Homme, la Patrie est en danger.

Au 14 juillet 1789,

La ville de Paris contenait trois cent mille hommes armés, la liste active publiée par la Municipalité, offre à peine quatre-vingt mille citoyens.

Comparez et jugez !


L’argumentation ad hominem, distincte de l’attaque personnelle, (ad personam) met en crise une personne ou une institution en lui opposant ses propres actes, dires, ou décisions.

Vous avez déclaré que la loi ne pouvait être que l’expression de la volonté générale, et la majorité est composée de citoyens étrangement appelés inactifs. (Lignes 7- 8)

En théorie, la personne ou l’institution ciblée peut choisir de répondre qu’elle a changé d’avis, ou accepter la remarque et réajuster ses actes, en rectifiant l’un ou l’autre terme de la contradiction. Ici, il n’est pas question pour les auteurs de la pétition de revenir sur le fait que « la loi ne [peut] être que l’expression de la volonté générale », mais de rejeter tout suffrage censitaire. Il s’agit de « [faire disparaître à jamais » une mesure parce qu’elle « [viole] » un principe de la Déclaration des Droits de l’Homme précédemment votée par cette même Assemblée Nationale.

Le rappel de la journée du 14 juillet appuie cette argumentation d’une encore discrète menace – argumentation par les conséquences qu’aurait le maintien du décret.

Les deux termes de la contradiction ne sont pas maintenus dans un équilibre abstrait. On retrouve pour ad hominem le problème de fausse symétrie entre les deux termes opposés, qui conduit à l’impasse l’analyse “logique” (décontextualisée) de a pari et a contrario.