L’objet des Réfutations sophistiques est l’analyse des saillies des sophistes. Dans cet ouvrage, Aristote examine la question des “paralogisme de composition et division”, sur le plan de la grammaire et de la logique : Dans quelles conditions les jugements portés sur des énoncés pris isolément restent-ils valides lorsqu’on les compose ? dans quelles conditions le jugement portés sur un énoncé pris isolément reste-il valide lorsqu’on divise cet énoncé en plusieurs énoncés ?
L’opération a pour but de maîtriser à la fois son langage et de ne pas tomber dans le piège de la désorientation, ce qui est un idéal de l’argumentation rigoureuse. Elle manifeste un goût marqué pour l’énigme et le paradoxe.
1. Composition
La fallacie de composition est illustrée par plusieurs exemples. La traduction des exemples de fallacie de composition est peu idiomatique, mais elle permet d’apercevoir le problème, sous l’angle de l’interprétation.
Écrire / savoir écrire
Soit l’énoncé d’apparence paradoxale :
il est possible qu’un homme écrive, tout en n’écrivant pas (R. S., 4, 166a20 ; p. 11).
Cet énoncé est susceptible de deux interprétations.
- L’interprétation 1 “compose” le sens : On peut en même temps écrire et ne pas écrire (), au sens de : on peut (écrire et ne pas écrire),
ce qui est une absurdité : la composition du sens est fallacieuse.
- L’interprétation 2 “divise” le sens, quand on n’écrit pas on a la capacité d’écrire, au sens de “On peut (savoir écrire) et/mais (ne pas être en train d’écrire)”.
Ce qui est correct. Dans certaines circonstances, une personne qui peut écrire (nous dirions “sait”) ne le peut pas matériellement, par exemple si elle a les mains liées. Le modal pouvoir est ambigu entre “avoir la capacité de” et “exercer de fait cette capacité”.
Porter / pouvoir porter
L’exemple suivant met également en jeu la modalité pouvoir, cette fois dans sa relation au temps : on peut beaucoup de choses, mais pas tout à la fois. Considérons l’énoncé
si on peut porter une seule chose, on peut en porter plusieurs (R.S., 4, 166a30 ; p. 11) :
(1) (je peux porter la table) et (je peux porter l’armoire)
donc, par composition des deux énoncés en un seul :
(2) je peux porter (la table et l’armoire),
ce qui n’est pas forcément le cas : si on s’engage par contrat à porter la table et l’armoire, on ne s’engage pas forcément à les porter ensemble.
2. Division
La fallacie de division est illustrée par l’exemple
cinq est égal à trois et deux (d’après R. S., 4, 166a30, p. 12) :
— L’interprétation (1) divise le sens, c’est-à-dire décompose l’énoncé en deux propositions coordonnées, ce qui est absurde et fallacieux :
(Cinq est égal à trois) et (cinq est égal à deux)
— L’interprétation (2) compose le sens, ce qui est correct :
Cinq est égal à (trois et deux)