CONCESSION
Dans une négociation d’affaires ou d’idées, par la concession, le locuteur abandonne certaines positions ou renonce à certaines prétentions pour faciliter l’établissement d’un accord préservant suffisamment ses intérêts, qu’ils soient raisonnables ou non. En grammaire, par la concession le locuteur reconnaît la position adverse, tout en réaffirmant son propre point de vue dans son intégralité. |
1. Concession substantielle
La concession est un moment essentiel de la négociation, entendue comme discussion sur un différend ouvert et tendant à l’établissement d’un accord, raisonnable ou non, mais consenti par les partenaires.
La concession est l’expression d’un rapport de force en évolution. Le locuteur cède jusqu’à un certain point à certaines demandes de son partenaire . Il renonce à certaines de ses exigences matérielles, ou accorde des points controversés.
Du point de vue stratégique, la concession est un recul en bon ordre, peut-être dans l’espoir que le partenaire de négociation fera de même sur un autre point.
Dans le cadre d’une situation argumentative courante, par la concession les parties ajustent leurs opinions et leurs intérêts concrets et contradictoires, chacun préservant ce qu’il peut et sacrifiant le reste.
Dans l’interaction, la concession apparaît comme un pas fait vers l’adversaire ; elle est constitutive d’un éthos positif (ouverture, écoute de l’autre). La concession peut cependant être ironique, V. Épitrope.
2. La concession comme acte de discours
En grammaire, les constructions concessives monologiques articulent un discours assumé D1 et un discours concédé D2 d’orientations argumentatives opposées tout en ayant pour orientation globale celle du second membre D1 :
Bien que D2, D1
Certes D2, mais néanmoins D1
J’admets, je comprends D2, mais je maintiens D1.
D1 réaffirme la position du locuteur, D2 reprend ou reformule le discours d’un opposant réel, ou évoque par prolepse le discours d’un opposant fictif :
L1 : — Les relations sociales sont extrêmement tendues dans l’entreprise, nous devons néanmoins continuer les restructurations d’effectifs.
À la différence de la concession négociée, la concession langagière est un pur acte de langage. Dans les termes de la théorie polyphonique, L1 met en scène un énonciateur virtuel, une voix, exprimant l’argument D2 “les relations sociales sont extrêmement tendues”, orienté vers la conclusion “le moment n’est pas propice à des licenciements”. L1 reconnaît ainsi l’existence d’arguments valides allant dans un autre sens, mais il refuse de conclure sur cette base, et reprend sa propre voix pour réaffirmer sa propre ligne argumentative, celle qui est exprimée dans D1. Dans les termes de Goffman-Ducrot, le locuteur anime simplement D2, alors qu’il anime et énonce D1, V. Rôles.
La concession est ici une simple désactivation de la force argumentative. Le terme espagnol desvirtuar “vider un argument de sa force, de son efficacité, de sa substance” caractérise parfaitement cette opération. La concession langagière n’est nullement l’expression de la bonne volonté d’un négociateur rationnel, mais le phagocytage et la castration des arguments de l’opposant.
En rationalisant la concession langagière, on peut la combiner avec la concession négociée. On dira alors que si l’on concède au sens langagier, c’est parce qu’on s’est livré à une pesée des arguments propres et de ceux de l’opposant. Mais, comme le langage a la propriété de donner pour vrai ce qu’il signifie, la concession langagière produit automatiquement un effet de concession négociée, que ce soit ou non le cas.
3. Concession et dialectique binaire
Les notions de négociation et de concession n’ont pas de place dans les jeux logiques et dialectiques qui radicalisent la contradiction et ne connaissent que deux régimes, l’acceptation ou le refus.
Le jeu dialectique est binaire. Soit le Questionneur parvient à pousser le Répondant à la contradiction, et il a gagné, soit il n’y parvient pas et c’est le Questionneur qui l’emporte. Cette façon de faire est parfaitement accordée aux buts de la dialectique aristotélicienne, l’établissement de définitions permettant le raisonnement syllogistique.
Dans une conception pragma-dialectique de la discussion d’une opinion, si l’opinion attaquée n’a pas été défendue de façon concluante, le défendeur doit la retirer, et si elle a été défendue de façon concluante, c’est l’attaquant qui doit retirer ses doutes, V. Règles, §2.3. En l’absence d’instance tierce décisionnelle, les partenaires risquent de diverger sur le caractère concluant des arguments de leur adversaire, ou tout simplement sur ce qu’est une conclusion défendue “au delà de tout doute raisonnable”.
L’exclusivisme binaire de la dialectique aristotélicienne n’est pas transposable dans le domaine de l’argumentation traitant des affaires humaines, qui se mène sous le régime de la concession. La concession suppose que la position de l’autre est reconnue et validée jusqu’à un certain point et qu’elle est défendue/attaquée de manière plus ou moins concluante.