Contradictoires — Contraires

Propositions CONTRAIRES et CONTRADICTOIRES

En logique, le carré logique précise les relations entre les propositions affirmatives et négatives, universelles et particulières, selon un ensemble d’inférences immédiates, dont les relations de contradiction et de contrariété.

1. Propositions contradictoires

Deux propositions P et Q sont contradictoires si et seulement si elles ne peuvent être ni simultanément vraies ni simultanément fausses ; autrement dit, l’une d’elle est vraie, et l’autre est fausse :

P Q P et Q sont contradictoires
V V F
V F V
F V V
F F F

Soit E, un ensemble d’objets, et deux propriétés définies sur cet ensemble, P1 et P2. Ces propriétés sont telles que :
— Chacun des membres x de E possède soit la propriété P1 soit la propriété P2 :

P1(x) V P2(x)  — (V = ou inclusif).

— Aucun de ces membres ne possède les deux propriétés P1 and P2 :

P1(x) W P2(x)  — (W = ou exclusif)

P1 et P2 sont des propriétés complémentaires ; elles divisent l’ensemble E en deux sous-ensembles complémentaires (sans partie commune). Ces deux propriétés sont dites contradictoires.

Être un homme” et “être une femme” sont des propositions contradictoires dans le régime des genres du 20e siècle ; dans le régime des genres du 21e siècle, ce sont des propositions contraires.

2. Propositions contraires

Deux propositions P et Q sont contraires si et seulement si elles ne sont pas simultanément vraies, mais elles peuvent être simultanément fausses :

P Q P contraire de Q
V V F
V F V
F V V
F F V

Soit E2, un ensemble d’objets, et n propriétés définies sur cet ensemble, P1, P2, … Pn. Ces propriétés sont telles que :
— Chacun des membres de cet univers possèdent l’une de ces propriétés ; il est un P1, ou un P2, … ou un Pn.
— Aucun ne possède deux ou plus de deux des propriétés P1, P2, … Pn, c’est-à-dire qu’aucun des objets de cet univers n’est à la fois (Pi & Pj).

P1, P2, … Pn sont des contraires ; ils sont dans une relation de contrariété.

Avoir les cheveux blonds” et “avoir les cheveux roux” sont des propositions contraires : une même personne ne peut pas avoir les cheveux à la fois blonds et roux (si on passe sur le cas des cheveux teints) ; elle peut avoir les cheveux ni blonds ni roux mais bruns.

En résumé, on considère un ensemble de propriétés définies sur un même ensemble d’objets, qui divisent de manière exhaustive cet ensemble en une série de sous-ensembles complémentaires et disjoints.
— S’il n’y a que deux propriétés de ce type, elles sont dites contradictoires
— S’il y en a plus de deux, on dit qu’il s’agit de propriétés contraires.
Les contradictoires sont le cas limite des contraires.

1) à deux dimensions :
— les propriétés qui s’opposent sont des contradictoires
Opposition
2)à plus de deux dimensions :
— les propriétés qui s’opposent sont des contraires

3. Réfutation par substitution de la contrariété à la contradiction

Il s’ensuit qu’une affirmation fondée sur une contradiction peut être réfutée en montrant que l’univers en discussion n’est pas bidimensionnel, mais multidimensionnel. Cela semble être le cas dans l’exemple suivant.

En 1864, le pape Pie IX publie un Syllabus, c’est-à-dire un recueil ou un catalogue résumant l’ensemble de ses positions à propos des idées “modernes”. Considéré comme rétrograde, le Syllabus est vivement attaqué. En 1865, Mgr Dupanloup, évêque d’Orléans, prend sa défense dans les termes suivants.

C’est une règle élémentaire d’interprétation que la condamnation d’une proposition, réprouvée comme fausse, erronée et même hérétique, n’implique pas nécessairement l’affirmation de sa contraire, qui pourrait être une autre erreur, mais seulement de sa contradictoire. La proposition contradictoire est celle qui exclut simplement la proposition condamnée. La contraire est celle qui va au-delà de cette simple exclusion.
Eh bien ! c’est cette règle vulgaire qu’on paraît n’avoir pas même soupçonnée dans les inconcevables interprétations qu’on nous donne depuis trois semaines de l’encyclique et du syllabus.
Le Pape condamne cette proposition : “Il est permis de refuser l’obéissance aux princes légitimes” (Prop. 63).
On affecte d’en conclure que, d’après le Pape, le refus d’obéissance n’est jamais permis, et qu’il faut toujours courber la tête sous la volonté des princes. C’est aller d’un bond à la dernière extrémité de la contraire et faire consacrer par le vicaire de Jésus-Christ le despotisme le plus brutal, et l’obéissance servile à tous les caprices des rois. C’est l’extinction de la plus noble des libertés, la sainte liberté des âmes. Et voilà ce qu’on fait affirmer au Pape ! Félix Dupanloup, évêque d’Orléans, « La convention du 15 septembre et l’Encyclique du 8 décembre [1864] », 1865. [1]

Ainsi, pour Dupanloup, les « modernistes » malveillants substituent des contradictoires aux contraires, opération qu’il décrit comme « aller d’un bond à la dernière extrémité de la contraire », qui est une désignation appropriée de la contradictoire. Il accuse ainsi ses adversaires de reformuler la position du pape, en utilisant une stratégie de radicalisation absurdifiante, V. Maximisation.

L’univers de l’encyclique est-il binaire ou pluridimensionnel ? Soit une prise de position X.

  • Si elle entre dans un schéma d’opposition binaire Permis / Défendu

alors les propositions “Il est permis (de refuser l’obéissance)” / “Il est défendu (de refuser l’obéissance)” sont contradictoires : l’une seulement de ces propositions est vraie. Si on condamne la première, alors on doit conclure que la contradictoire est vraie, c’est-à-dire que “Il est défendu de refuser l’obéissance aux princes légitimes”, autrement dit « Il faut toujours courber la tête sous la volonté des princes ».

  • Si elle entre dans le schéma d’opposition trinaire :
    Prescrit / Permis (Indifférent) / Défendu

alors les propositions “Il est permis (de refuser l’obéissance)” / “Il est défendu (de refuser l’obéissance)” ne sont pas contradictoires mais contraires : elles ne sont pas simultanément vraies, mais elles peuvent être simultanément fausses, par exemple si X est indifférente. L’inférence “Si X n’est pas combattu, X est prescrit” n’est pas valide. Si on condamne « Il est permis de refuser l’obéissance aux princes légitimes », alors on doit conclure l’un ou l’autre des extrêmes :

Il est prescrit de refuser l’obéissance aux princes légitimes.
Il est défendu de refuser l’obéissance aux princes légitimes.

Comme on a du mal à admettre que le pape prescrive le devoir de désobéissance systématique aux gouvernants légitimes, on en conclut bien que c’est l’autre membre de la disjonction qui est prescrit par le pape, soit “X est défendu”.

  • Si on considère enfin un univers à cinq dimensions :
    Prescrit / Conseillé / Permis (Indifférent) / Déconseillé / Défendu

On introduit deux possibilités supplémentaires, “conseillé” et “déconseillé”. L’interprétation “conseillé” n’est pas possible, pour les raisons déjà vues ; “déconseillé” pourrait correspondre à l’intention du texte tel que le lit Dupanloup. On se demandera alors pourquoi tant de solennité dans la condamnation. Si on admet que quelque chose de déconseillé est quelque chose qu’on ne fait pas sans bonne raison, il est évident que l’on ne désobéit pas au prince légitime sans quelque bonne raison.


[1] Cité dans Pie IX, Quanta cura et Syllabus, Paris, Pauvert (Libertés), 1967, p. 104-105.