Épichérème

ÉPICHÉRÈME

 

L’épichérème est
1) Un raisonnement dont chacune des prémisses  est elle-même soutenue par une argumentation ;
2) Un raisonnement ainsi étayé pris dans son contexte communicationnel.

1. Un raisonnement dialectique

La théorie aristotélicienne du raisonnement syllogistique distingue deux types de syllogismes, le philosophème et l’épichérème [1] :
— Si les deux prémisses du syllogisme sont certaines et la règle de déduction valide, on a affaire à un syllogisme analytique ou scientifique, un « philosophème » (Top., VIII, 11, 15 ; p. 355).
— Par opposition au syllogisme scientifique, « l’épichérème [est] un raisonnement dialectique » (ibid., p.355). C’est un syllogisme fondé sur des prémisses relevant de l’opinion, donc seulement probables et n’aboutissant qu’à du vraisemblable, V. Abduction.

2. L’épichérème, un enthymème renforcé

2.1 Une argumentation dont les prémisses sont étayées

Dans les définitions suivantes, l’épichérème correspond à une complexification de la cellule argumentative monologale “Argument, Conclusion”.

L’argumentation rhétorique reposant sur des prémisses seulement probables, il est normal d’appuyer ces prémisses sur des preuves. L’épichérème est un tel enthymème renforcé, articulant donc cinq termes (Cicéron, Inv. I, 35, 61).

Le raisonnement suivant est un épichérème:

— Conclusion visée, « proposition, que l’on veut montrer » :

L’univers est conduit selon un plan.

— [Prémisse 1 + Preuve de la prémisse 1]

    • Prémisse 1 : « ce qui est mené suivant un plan est bien mieux administré que ce qui est conduit sans plan. »
    • La preuve de la prémisse 1 est apportée par une accumulation d’exemples (conglobation) relevant de l’expérience commune, « une maison menée avec méthode est mieux pourvue de toutes choses et mieux approvisionnée qu’une maison dirigée sans réflexion ni plan. Une armée, […] Un vaisseau […] »

— [Prémisse 2 + Preuve de la prémisse 2]

    • Prémisse 2 : « de toutes les choses, aucune n’est mieux conduite que l’ensemble du monde. »
    • Preuve de la prémisse 2 : (notre numérotation)

(a) « car le lever et le coucher des astres est soumis à un ordre » ;
(b) « les révolutions des années …

(b1) … ont lieu toujours de la même façon comme suivant une loi nécessaire.
(b2) … et en outre sont réglées pour être utiles à toutes choses. »
(b2) conclut non seulement pour l’existence d’un plan, mais pour un plan bienveillant, ainsi que (c) :
de même,
c) « l’alternance du jour et de la nuit n’a jamais été modifiée et n’a jamais causé de dommage à quoi que ce soit. »

— Conclusion : « l’univers est donc conduit suivant un plan ».

3. Composantes de l’épichérème

La question du nombre de composantes de l’épichérème est discutée :

La controverse entre les partisans de la forme quinquepartite de l’épichérème et ceux de la forme tripartite se réduit à une question simple : s’il est nécessaire d’argumenter pour soutenir les prémisses, faut-il considérer que ces argumentations sont indépendantes des prémisses et qu’elles forment des touts distincts de l’épichérème lui-même ? Ou bien qu’il s’agit plutôt de composantes à part entière de l’épichérème ? (Solmsen 1941, p. 170)

La distinction est une question de niveau. En surface, l’épichérème comprend cinq éléments (Prém. = Prémisse)

Prém. 1 — Preuve de la Prém 1 — Prém. 2 — Preuve de la Prém 2 => Conclusion

Au niveau de l’articulation logique, on a une structure à trois composantes :

(Prémisse 1 et sa preuve) — (Prémisse 2 et sa preuve) => Conclusion

C’est la position de Quintilien : « Pour moi, néanmoins, il m’apparaît, ainsi qu’à la majorité des auteurs, qu’il n’y a pas plus de trois parties » (I. O., V, 14, 6 ; p. 202). Une prémisse probable accompagnée de sa preuve devient certaine. Si une prémisse est considérée comme certaine en elle-même (non accompagnée de sa preuve), alors on a un épichérème à quatre termes, réductibles à trois par exemple :

Prémisse1 — Prémisse2 — Preuve de la prémisse2 => Conclusion

Prémisse 1 — (Prémisse 2 + Preuve) => Conclusion

4. Une argumentation étayée et mise en valeur

La Rhétorique à Herennius définit l’épichérème comme :

L’argumentation la plus complète et la plus parfaite, [celle] qui comprend cinq parties : la proposition, la preuve, la confirmation de la preuve, la mise en valeur, le résumé. (À Her., II, 28 ; p. 58).

L’épichérème est présenté comme une organisation textuelle argumentative comprenant cinq éléments.
— Les trois premiers éléments définissent le contenu cognitif de l’épichérème, comme une argumentation dont les prémisses sont étayées :

Argument — Étayage de l’argument — Conclusion

L’étayage peut correspondre à toutes les formes de renforcement, de la précision causale à l’envolée pathémique ou éthotique.
— Les deux derniers éléments introduisent une perspective rhétorique, ornementale et communicationnelle:

Mise en valeur — Résumé

La brièveté du résumé contraste avec l’ampleur de la reformulation.

5. Épichérème, argumentation en série, argumentation liée

L’épichérème est une forme complexe d’argumentation, V. Liaison ; Série ; Convergence.

— La forme de surface “Arg => Concl” correspond à une argumentation avec i) une prémisse non justifiée et ii) une prémisse non seulement non justifiée mais laissée implicite.

— L’argumentation en série à une étape correspond à un épichérème avec une prémisse non justifiée (Arg1) et une prémisse justifiée (Arg2 justifiée par Arg1), soit en surface, à un épichérème à trois termes :

Arg1 => [Concl1 = Arg2] => Concl2

— Si l’on distingue entre prémisse et argument, l’épichérème à cinq termes correspond à une argumentation liée et se représente comme suit.

— L’épichérème correspondant à une argumentation convergente dont chacun des arguments est la conclusion d’une argumentation en série, se représente comme suit :

Les considérations précédentes sont très fragiles, dans la mesure où les correspondants en langue naturelle de ces schématisations sont souvent douteux ou artificiels.

 


[1] Le mot épichérème est un calque du mot grec ἐπιχείρημα « 1. entreprise… base d’opération 2. Brève argumentation, épichérème » (Bailly, ἐπιχείρημα).
Il est traduit en latin par ratiocinatio (Cicéron), “raisonnement”, ou par argumentatio (Ad Her.)