Exemple

EXEMPLE

1) Exemple-1 : Au sens d’élément quelconque d’une catégorie de cas ou d’événements réunis sous une même définition, loi ou un principe, l’exemple peut a) fonder et b) éclairer et expliquer le principe qu’il incarne. ceux qui régissent la catégorie.
2) Une personne exemplaire (exemple-2) est un élément prototypique d’une catégorie morale, celle qui concrétise parfaitement la norme et la (re)produit le mieux et à qui il est possible de s’identifier.

1. Le mot exemple

Le mot exemple a deux sens :

  1. Spécimen, item quelconque d’une série d’éléments ou de cas équivalents.
  2. Manière d’être ou de faire digne d’être imitée. Ce sens est celui de donner, prendre en exemple, suivre l’exemple. Avec ce sens, l’exemple devient modèle à imiter.

Le mot exemplaire, en tant que substantif a le premier sens (le second exemplaire a disparu), et en tant qu’adjectif, le second sens (un comportement exemplaire).

2. La catégorie rhétorique de l’exemple

Dans une version fondatrice de la typologie des preuves rhétoriques, induction et syllogisme sont les instruments du discours scientifique, exemple [paradeigma]  et enthymème sont leur contrepartie rhétorique respectives (Aristote, Rhét., II, 20, 1393a22 ; Chiron, p. 357).  L’exemple est placé au plus haut dans la hiérarchie des preuves rhétoriques, tantôt mis sur le même plan que l’enthymème, parfois considéré comme une forme d’enthymème, V. Typologies anciennes, §1.1.
Aristote distingue trois types d’exemples, événements passés, comparaison et fable, pris dans le domaine social et politique

Une espèce d’exemple consiste à raconter des événements qui se sont produits dans le passé, l’autre à inventer soi-même. Dans cette dernière espèce, on distingue la comparaison [parabolè], et les fables [logoi]. (Rhét., II, 20, 1393a20- 1393b1 ; Chiron, p. 357-358)

Événement passé, ou précédent

Comparaison
Aristote donne comme exemple de  comparaison [parabolè] une analogie, tirée des discours de Socrate, contre le tirage au sort des magistrats : agir ainsi, c’est comme si on tirait au sort les athlètes ou, « parmi les matelots, celui qui doit tenir le gouvernail […] et non le plus compétent » (Rhét., II, 20, 1393b5-25; Chiron, p. 359). V. Analogie structurelle ; Métaphore.

Fable
La fable est porteuse de moralité, mais aussi de leçons sociales et politiques, comme le montre la fable du cheval qui voulait se venger du cerf, et, ce faisant, se rend esclave de l’homme, avec une application aux anciens sauveurs de la patrie qui se transforment en tyrans (Rhét., II, 20, 1393a30 ; Chiron, p. 359-360 [1].
La fable fait autorité, et peut servir de précédent prototypique pour la catégorie de faits qu’elle met en scène. Elle a dans la vie civile, les mêmes vertus que l’exemplum dans la vie religieuse. Les deux ont le même pouvoir, de persuader de vérités de manière plaisante les enfants petits et grands.
La fable donne du corps à un principe argumentatif général qui sera mis en application dans des cas particuliers. L’ensemble, forme et substance, constitue un schème argumentatif, une forme qu’il suffit de transposer pour produire une argumentation, V. Topos.

“Événement passé” mémorable: V. Précédent

3. Exemple-1 : spécimen, item quelconque d’une catégorie d’éléments ou de cas relevant du même principe

3.1 L’exemple étayant une catégorie ou un principe.

L’exemple-1, comme cas concret, fonde et éclaire le principe qu’il incarne ou qui définit sa catégorie. Les exemples précédents (§2) établissent des règles d’actions. Dans le discours scientifique, l’exemple est “exemple de —”, il est lié à une règle ou à un discours général. Il montre en quoi le réel est concerné par un tel discours abstrait. Ce lien fonctionnel peut être de différents types, et le même exemple peut cumuler ces différentes fonctions : il fonde, éclaire (explique, illustre…) une affirmation générale.

L’exemple défend l’affirmation qu’il incarne. Donner un argument en défense d’une affirmation générale mise en doute, c’est citer des cas auquel elle s’applique correctement. Même si aucune accumulation d’exemples ne peut prouver positivement une théorie, ces exemples montrent qu’au moins la théorie n’est pas détruite par le premier exemple venu, et qu’elle a même un certain pouvoir explicatif.

Dans la tradition scolaire, l’exemple est parfois vu comme la forme minimale d’argumentation : argumenter c’est d’abord étayer par des exemples une pensée générale pour la justifier et l’éclairer.
La multiplication des exemples illustratifs est un instrument d’amplification oratoire (conglobation), supposé fortifier la persuasion.

L’exemple illustre et explique.
Le locuteur part d’un discours théorique et montre sur un cas concret comment ce discours peut lui être appliqué, comment il rend compte de ce cas : “Un oiseau migrateur est un oiseau qui… Ainsi, l’hirondelle…
Dans sa fonction « illustrative », l’exemple spécifie un discours général portant sur une classe de cas ou d’individus :

Tandis que l’exemple était chargé de fonder la règle, l’illustration a pour rôle de renforcer l’adhésion à une règle connue et admise, en fournissant des cas particuliers qui éclairent l’énoncé général, montrent l’intérêt de celui-ci par la variété des applications possibles, augmentent sa présence dans la conscience. (Perelman & Olbrechts-Tyteca [1958], p. 481).

Exemple fondateur, exemple générique

L’exemple fonde. L’énumération de cas avérés est à la base du processus de généralisation ou d’induction.
L’exemple générique fonctionne comme base du raisonnement (ecthèse) qui aboutit à l’affirmation d’une règle ou d’une régularité.

— L’exemple définit. On peut répondre à une demande de définition comme “qu’est-ce que ça veut dire, canard ?” en montrant un canard ou l’image d’un canard. S’il s’agit d’un canard journalistique, on donne un exemple un canard célèbre.

3.2 Le contre-exemple, avant-garde de l’offensive contre une catégorie ou un principe

L’exemple attaque, lorsqu’il est donné comme contre-exemple (arg. in contrarium), c’est-à-dire comme une objection à un jugement général.
Un exemple ne permet pas d’établir une loi générale, mais suffit sinon pour réfuter, du moins pour jeter le doute sur une généralisation. L’argumentation par le contre-exemple constitue le procédé standard de réfutation des propositions générales “tous les A sont B” : on réfute cette affirmation en montrant un A qui n’est pas B. Cette stratégie est parfaitement opératoire en langue ordinaire, V. Réfutation par les faits.

En réponse au contre-exemple, on peut d’abord le rejeter, (“l’être ou le cas allégués sont mal analysés”) ; si on l’admet, il faut montrer que le principe général proposé peut en rendre compte. Si ce n’est pas possible, il faut ou bien retirer, ou bien rectifier ce qu’on avait présenté comme un principe général, ou encore restreindre sa généralité, c’est-à-dire admettre une exception V. Objection ; Réfutation ; Termes Contraires.

4. Exemple-2 : bon exemple et modèle à imiter
Donner l’exemple
/ Suivre l’exemple, Prendre (en) exemple

Dans le domaine moral, un modèle est une personne qui incarne ou qui produit une norme.
Dans « les petits garçons modèles”, “modèle” est pris au sens de “exemple à imiter du point de vue de leur travail et de leur comportement, etc.”.

En théorie des catégories, le modèle correspond à l’objet prototypique (parangon) de la catégorie. Le petit garçon modèle, s’il existait, fonctionnerait théoriquement comme parangon de moralité :
— L’élément générateur de la catégorie ; il donne l’exemple, on le prend en exemple.
— L’élément le plus représentatif et le plus souvent cité de la catégorie, il la définit
— La norme suivie par les membres de la catégorie et leur critère d’évaluation.

Suivre l’exemple
Lorsque A prend B pour modèle, A justifie ses actions en disant qu’il suit l’exemple de B ; B lui-même n’est pas nécessairement conscient d’être un modèle pour A.
Pour amener quelqu’un à faire quelque chose, on peut procéder argumentativement, en lui exposant discursivement toutes les bonnes raisons de le faire. On peut en particulier argumenter par le modèle, en lui donnant en exemple des gens importants qui l’ont fait (variante de l’argumentation d’autorité). Cet “argument de l’exemplarité” peut être considéré comme un exemplum émergent.

Donner l’exemple

On peut également donner l’exemple, et faire soi-même ce qu’on souhaite que l’autre fasse, sans passer par le langage. On évite ainsi l’accusation de faire la morale aux autres, de faire du prosélytisme, et on se garde par définition des réfutations ad hominem, “vous faites pas ce que vous demandez aux autres de faire”.
Il ne s’agit plus de dire la norme, mais de la montrer en actes, de s’instituer soi-même comme norme. On ne peut alors parler d’argumentation par l’exemple que de façon métaphorique, comme on parle d’argumentation par la force pour ouvrir avec un tournevis une boîte de conserve. L’argumentation par l’exemple donné joue sur les mécanismes non verbaux de l’alignement (imitation sociale, entraînement, identification, empathie). Séduction et répulsion sont des forces qui poussent une personne à s’aligner sur un modèle et à se distancier d’un antimodèle, V. Autorité.

L’argumentation éthotique est une forme d’argumentation par l’exemple, poussant l’auditoire à l’identification à un modèle particulier, l’orateur lui-même, V. Éthos.

La stratégie de l’exemple pour “faire faire” peut être utilisée pour toutes les formes de comportements qu’on souhaite modifier, comment manger proprement, parler de façon correcte, mener une vie digne de récompense dans l’au-delà. Au cours de ce processus, il peut y avoir persuasion (transformation des systèmes de comportement), sans qu’on puisse pour autant parler d’argumentation. Tout ce qui persuade n’est pas le produit d’une argumentation, V. “Toi aussi!”.

5. Culture classique et imitation des modèles

Dans la culture classique, l’autorité fonde la doctrine de l’imitation, et contribue à définir les genres littéraires en rapportant chacun d’eux à un modèle fondateur : le genre historique à Thucydide, la fable à Ésope et à la Fontaine, l’argumentation à Aristote ou à Cicéron, le roman de gare à Guy des Cars, etc. Appartient à tel genre l’œuvre qui ressemble au “modèle du genre”.

Dans « les petits garçons modèles”, “modèle” est pris au sens de “exemple à imiter”. Le modèle fonctionne relation a contrario avec un contre-modèle ou un antimodèle qui représente tout ce qu’il ne faut pas faire, une autorité négative, V. Autorité.

[1] Voir La Fontaine, « Le cheval s’étant voulu venger du cerf », Fables, Livre 4, 13)