Force des choses

Arg. de la FORCE DES CHOSES

En politique, l’argument de la force des choses invoque l’absence de choix qui rend vaines toutes les discussions et oblige la société à s’incliner devant ses déterminismes. À cet argument s’oppose le volontarisme politique.
En droit, l’argument naturaliste renvoie à l’hypothèse d’un législateur ou d’un juge impuissants.

L’argumentation par la force, le poids ou la nature des choses, ou par les contraintes extérieures, applique au monde social et politique les mécanismes de l’argumentation par la cause telle qu’elle vaut pour le monde physique. Elle présente par exemple une décision comme déterminée causalement par le contexte : “nous n’avons pas le choix”, “aucune autre politique n’est possible” ; “ce qui se passe dans le monde nous contraint à agir ainsi”.

Les accords d’Évian mettant fin à la guerre de décolonisation de l’Algérie (1954-1962) ont été ratifiés par référendum le 1er juillet 1962. Ce référendum a été précédé d’une allocution télévisée du Général de Gaule, Président de la République Française, appelant à voter “oui” à la question : « Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ? »
(
oui : 99,72% des voix). Le passage suivant est extrait de cette allocution.

Personne ne peut avoir de doute sur l’importance extrême que va revêtir la réponse du pays. Pour l’Algérie, le droit reconnu à ses populations de disposer de leur sort marquera le début d’une vie toute nouvelle. Certains peuvent regretter que des préventions, des routines, des craintes aient empêché naguère l’assimilation pure et simple des Musulmans, à supposer qu’elle fût possible. Mais le fait qu’ils forment les huit-neuvièmes de la population et que cette proportion ne cesse de croître en leur faveur, l’évolution déclenchée dans les gens et dans les choses par les événements, et notamment par l’insurrection, et enfin ce qui s’est passé et ce qui se passe dans l’univers, rendent chimériques ces considérations et superflus ces regrets.
Charles de Gaulle, Allocution radiotélévisée du 20 décembre 1960.[1]

À cette argumentation, par le poids des choses, s’oppose l’argumentation volontariste, qui nie précisément ce déterminisme : “là où il y a une volonté, il y a un chemin”.

En mai-juin 1940, les armées belge, britannique, française et néerlandaise sont mises en déroute par l’armée allemande nazie. Dans une situation qui semblait à beaucoup totalement désespérée, le Général Charles de Gaulle rejeta l’armistice qui venait d’être signé par le Maréchal Pétain, et depuis Londres, appela sur la BBC à la poursuite de la lutte.

Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l’ennemi. Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui.
Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! […]
Quoi qu’il arrive, la flamme de la Résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.
Charles de Gaulle, Appel du 18 juin 1940. [2]

Argumentation volontariste et argumentation par la force des choses peuvent se combiner.

Argument naturaliste

En droit, l’argument naturaliste renvoie à l’hypothèse d’un législateur impuissant parce qu’il est impossible de légiférer dans certains domaines, ou d’un juge impuissant qui renonce à faire appliquer la loi, dans certaines occasions — on ne légifère pas et on ne juge pas les phénomènes naturels, V. Topique juridique.

L’argument naturaliste est également exploité dans le domaine de la loi religieuse.

Luther utilise cet argument à propos de l’interdiction du mariage des prêtres dans l’église catholique romaine. Selon lui, la plupart des prêtres ne peuvent pas se passer de femme, ne serait-ce que pour leur ménage :

Le pape n’a pas pouvoir pour prononcer pareille interdiction, pas plus qu’il n’a pouvoir pour interdire le boire, le manger et les issues naturelles, ou pour défendre de grossir. Aussi personne n’est-il tenu à observer ses prescriptions.
Martin Luther, À la noblesse chrétienne de la nation allemande, sur l’amendement de l’état de chrétien [1520].[3]

La fallacie naturaliste (naturalistic fallacy) valorise systématiquement le naturel, V. Fallacieux 3. L’accusation de fallacie naturaliste peut servir à réfuter l’argument de la force des choses.

L’argument naturaliste n’a rien à voir avec la fallacie descriptiviste (descriptive fallacy, qui est une forme de fallacie d’expression.


[1] http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00063/allocution-du-20-decembre-1960.html, (20-09-2013).
[2] http://www. charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/1940-1944-la-seconde-guerre-mondiale/l-appel-du-18-juin/documents/l-appel-du-18-juin-1940.php] (20-09-2013).
[3] Martin Luther, Les grands écrits réformateurs, trad. par M. Gravier, Paris, GF-Flammarion, p. 158.