INDUCTION
L’induction est un procédé de généralisation fondé sur l’examen systématique d’un grand nombre de cas.
La méthode inductive appliquée en histoire et en littérature procède par enquêtes sur des cas concrets significatifs et les reprend dans des synthèses susceptibles d’être améliorées.
L’induction est un des deux modes d’inférence classiques, V. Déduction. L’induction va du particulier au général, elle généralise à tous les cas des constatations faites sur un nombre restreint de cas. Si on ne dispose que d’un seul cas, on a affaire à un exemple, V. Généralisation.
Je plonge la main dans le sac et j’en retire un grain d’avoine.
Je plonge une 2e fois la main dans le sac, et j’en retire un 2e grain d’avoine.
… Je plonge une 294e fois la main dans le sac, et j’en retire un 294e grain d’avoine.
Pour conclure avec certitude, il faudrait examiner grain à grain tout le volume restant ; mais cela prendrait beaucoup de temps. Je procède à un arbitrage entre le degré de certitude atteint et la durée de la tâche, en utilisant l’induction, je décide de gagner du temps et je conclus :
J’ai (certainement) affaire à un sac d’avoine.
La généralisation universelle et nécessaire (apodictique) est le produit de la déduction démonstrative. Elle est notée par une affirmation étendue à tous les cas.
L’article défini pluriel convient bien à la totalisation faite sur la base d’une expérience locale répétée : “les consommateurs apprécient les tomates noires de Crimée”. L’affirmation portant sur les X admet des exceptions, “mais moi je préfère les Green zebra”. Autrement dit, les est orienté vers tous les, sans être équivalent à tous les.
On réfute une conclusion obtenue par induction en montrant qu’elle procède d’une généralisation hâtive, reposant sur l’examen d’un nombre de cas insuffisants ; pour cela, on exhibe des exemplaires de la collection qui ne possèdent pas la propriété qui a été généralisée à partir des cas précédents.
Cette induction, que l’on pourrait appeler induction catégorielle, repose sur l’analogie catégorielle:
C’est par la production de cas individuels présentant une similitude que nous nous sentons autorisés à induire l’universel. (Aristote, Top. Brunschwig, I, 18, 10 ; p. 32),
Les grains tirés sont “analogues” au sens où, même s’ils sont plus ou moins beaux, ils appartiennent tous à la même catégorie “être un grain d’avoine”.
1. Formes de l’induction
1.1 Induction complète
L’induction est par nature incomplète. L’induction est dite complète si on procède par inspection de chaque cas ; elle permet alors d’attribuer au groupe une propriété constatée empiriquement sur chacune de ses membres. Soit un hameau H composé des trois familles, X, Y, Z :
La famille X a une salle de bain.
La famille Y a une salle de bain.
La famille Z a une salle de bain
Conclusion : Les H-iens ont tous une salle de bain.
Les installations examinées sont analogues en ce qu’elles correspondent toutes aux critères définissant la salle de bain : une pièce isolée, avec un lavabo et une douche. L’induction complète procède en extension, par examen exhaustif de chaque cas et totalise de façon certaine ; elle n’est pas toujours possible, non seulement pour des raisons matérielles (temps), mais parce qu’on n’a pas accès à tous les membres de la catégorie. C’est pourquoi on lui préfère l’induction de la partie représentative au tout.
1.2 Induction de la partie représentative au tout
L’induction permet d’inférer, en intension, une proposition portant sur le tout à partir du fait qu’on a constaté qu’elle était vraie sur une partie, qui peut être quelconque ou représentative. Si la partie examinée est quelconque et petite, les risques d’erreur sont grands. Ils se réduisent si la partie est représentative. Soit E un échantillon représentatif de la population P,
40% d’un échantillon représentatif des votants a déclaré avoir l’intention de voter pour Untel, donc Untel obtiendra 40% des votes le jour de l’élection.
Selon que l’échantillon est ou non réellement représentatif, que les gens ont ou non donné des réponses fantaisistes, et si rien de nouveau ne se produit, la conclusion varie du quasi certain au vaguement probable, V. Composition.
1.3 Raisonnement par récurrence
En mathématique, le raisonnement par récurrence constitue une forme d’induction qui permet de conclure de façon certaine (Vax 1982, art. Induction mathématique ou raisonnement par récurrence). Il se pratique sur des domaines tels que l’arithmétique, où peut être définie une relation de succession. On montre que la propriété vaut pour 1 ; puis que si elle vaut pour un individu quelconque i, elle vaut pour son successeur i + 1. On en conclut qu’elle vaut pour tous les individus du domaine.
3. L’induction comme méthode positive de l’histoire littéraire
Le procédé inductif est typique de la méthode positive, en littérature comme en histoire. On ne peut dégager les lignes de force des événements et leurs causes générales qu’à partir d’études particulières en nombre suffisant, dont la synthèse suscitera de nouveaux travaux :
De ces travaux partiels, méthodiquement conduits, nous n’avons encore qu’un petit nombre et d’aucuns soutiendront peut-être, non sans pertinence, que le temps d’une étude d’ensemble n’est pas encore venu. On peut objecter pourtant qu’il n’est pas mauvais de faire le point, et qu’en signalant les questions à résoudre et en suggérant des solutions on a chance de susciter et d’orienter des recherches nouvelles.
Georges Lefebvre, La grande peur de 1789, 1932[1]
En science historique de la littérature, on procède de même, par accumulation de témoignages.
2 Diffusion de l’irréligion dans la noblesse et le clergé
Cette diffusion est considérable dans la haute noblesse. Les témoignages généraux abondent : “L’athéisme, dit Lamothe-Langon, était universellement répandu dans ce que l’on appelait la haute société ; croire en Dieu devenait un ridicule dont on avait soin de se garder”. Les mémoires de Ségur, ceux de Vaublanc, ceux de la marquise de la Tour du Pin confirment Lamothe-Langon. Chez Mme d’Hénin, la princesse de Poix, la duchesse de Biron, la princesse de Bouillon, dans les milieux d’officiers, on est, sinon athée, du moins déiste. La plupart des salons sont “philosophes” et des philosophes en sont le plus bel ornement. Non seulement chez ceux ou celles qui font profession de philosophie, chez d’Holbach, Mme Helvétius, Mme Necker, Fanny de Beauharnais (où l’on voit Mably, Mercier, Cloots, Boissy d’Anglas) mais chez les grands seigneurs. Chez la duchesse d’Enville, on rencontre Turgot, Adam Smith, Arthur Young, Diderot, Condorcet ; chez le comte de Castellane, d’Alembert, Condorcet, Raynal. Dans les salons de la duchesse de Choiseul, de la maréchale de Luxembourg, de la duchesse de Grammont, de Mme de Montesson, de la comtesse de Tessé, de la comtesse de Ségur (sa mère), Ségur rencontre ou entend discuter Rousseau, Helvétius, Duclos, Voltaire, Diderot, Marmontel, Raynal, Mably. L’hôtel de la Rochefoucauld est le rendez-vous des grands seigneurs plus ou moins sceptiques et libéraux, Choiseul, Rohan, Maurepas, Beauvau, Castries, Chauvelin, Chabot qui s’y mêlent aux Turgot, d’Alembert, Barthélémy, Condorcet, Caraccioli, Guibert. Il faudrait en énumérer bien d’autres : salons de la duchesse d’Aiguillon “ très entichée de la philosophie moderne, c’est-à-dire de matérialisme et d’athéisme”, de Mme de Beauvau, du duc de Lévis, de Mme de Vernage, du comte de Choiseul-Gouffier, du vicomte de Noailles, du duc de Nivernais, du prince de Conti, etc.
Daniel Mornet, Les origines intellectuelles de la révolution française. 1715-1787. [1]
L’affirmation à justifier est : « la diffusion de l’irréligion est considérable dans la haute noblesse » ; elle est soutenue d’un témoignage explicite, accompagné de trois autres simplement évoqués. Suit une affirmation du même ordre, « la plupart des salons sont philosophes, et des philosophes en sont le plus bel ornement », soutenue par vingt-huit noms de philosophes. La lecture est ennuyeuse, mais le raisonnement irrésistible.
L’induction suppose une abondance qui n’a rien à voir ni avec l’exagération ni avec le verbiage.
[1] Paris, Armand Colin, p. 270-271.