Inutilité, Arg. de l’– de l’article de loi

Arg. de l’INUTILITÉ d’un article de loi

 

L’argument de l’inutilité de la loi invalide les interprétations qui amèneraient à considérer que deux articles de loi sont redondants, donc que l’une d’entre elles est inutile. L’interprétation est rejetée, et on lui en préfère une autre qui n’interfère pas avec une autre loi.

L’argument de l’inutilité de la loi (ab inutilitate legis [1]) relève de la logique juridique. Il intervient lors de l’interprétation des lois et règlements. Cet argument invalide les argumentations qui amèneraient à considérer que deux lois sont redondantes, donc que l’une d’entre elles est inutile. C’est un principe d’économie.

Cet argument présuppose que le code est bien fait, et qu’aucun de ses éléments n’en paraphrase un autre ; il est supposé être laconique. Autrement dit, une interprétation d’une loi qui aboutit à rendre superflue une autre loi doit être rejetée : “l’interprétation I du passage A fait du passage B une reformulation du passage A, qui devient dès lors inutile. Il faut donc préférer une autre interprétation du passage A”. C’est une forme d’argumentation par l’absurde (conséquences indésirables).

L’argument de l’inutilité de la loi s’applique aux cas où l’énoncé d’une loi présuppose un état de fait ; toute nouvelle loi sur cet état de fait est donc inutile :
— Si l’établissement est interdit aux mineurs, il n’est pas besoin de préciser qu’il est interdit aux mineurs de consommer de l’alcool dans cet établissement ; il est inutile de légiférer sur ce point.
— Mais s’il est interdit aux mineurs de consommer de l’alcool dans l’établissement, c’est qu’il leur est permis de fréquenter l’établissement ; sinon la loi leur interdisant la consommation d’alcool serait inutile.

Supposons que le règlement d’une association demande que les décisions soient prises en assemblée générale, et qu’elle interdise à ses membres de voter sur les questions qui les concernent. Ces adhérents peuvent-ils être présents lors de la discussion de ces questions, ou doivent-ils sortir de la salle? Peuvent-ils participer aux séances de discussion sur ces questions?

Argumentation par l’inutilité du règlement : Oui, ils peuvent participer. Non, on n’a pas besoin d’établir une nouvelle règle précisant qu’ils peuvent participer. En effet, pour voter il faut faire partie de l’assemblée ; si on vous interdit de voter, c’est bien parce que vous faites partie de l’assemblée ; si vous ne faisiez pas partie de l’assemblée, alors il ne servirait à rien de vous interdire de voter. La précision est donc inutile. La disposition interdisant de voter doit être prise stricto sensu, elle n’a pas à être renforcée par une interdiction de participation ou de discussion.
— Argument “ce qui va sans dire va encore mieux en le disant” : “les personnes concernées ne prennent pas part au vote, mais participent à la séance de discussion sur les questions les concernant” ; le nouveau règlement est plus clair, au prix d’une légère redondance.

Principe d’économie et textes sacrés — Ce principe d’économie vaut pour les textes sacrés. Considérons le problème de l’application du topos des contraires à une prescription de la forme : “Ne faites pas cela dans telles et telles conditions”. Dans les cas ordinaires, on conclut que : “Hors de ces conditions, vous pouvez le faire”. La discussion a été menée dans le cas du Coran. Dans certains passages, on constate que parfois le texte mentionne explicitement le cas contraire (Coran, 4-23), selon le schéma :

(a) Ne faites pas cela dans telles et telles conditions. Hors de ces conditions, faites-le.

Alors que dans d’autres cas, le cas contraire n’est pas explicité :

(b) Ne faites pas cela dans telles et telles conditions !

Dans ce second cas, peut-on “compléter” par le topos des contraires ? Si on se donne la latitude d’ajouter au texte “Hors de ces conditions, faites-le !”, comme on le fait dans les cas courants, on rend inutile la précision littérale apportée dans le premier cas. Si l’on postule que le texte sacré est parfait, où rien n’est inutile ou superflu, alors on n’a pas de droit de conclure quoi que ce soit sur ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire dans le cas (b) ; ou alors, on doit se fonder sur une autre source de droit, par exemple la tradition.


[1] Arg. ab inutilitate (legis) ; de utilitas “utilité, intérêt”, et  lex “loi” ; argument de l’inutilité (de la loi). Angl. arg. from superfluity.