Métonymie – Synecdoque

MÉTONYMIE — SYNECDOQUE

Traditionnellement, on distingue une rhétorique des tropes, qui serait une rhétorique à la fois sémantique et ornementale, et une rhétorique des arguments qui serait une rhétorique du raisonnement. Les mécanismes linguistiques en jeu dans les deux cas sont cependant les mêmes.

1. Tropes

Un trope est défini comme « [une figure par laquelle] on fait prendre à un mot une signification qui n’est pas précisément la signification propre de ce mot » (Dumarsais [1730], p. 69). Parallèlement, la définition de l’argumentation pourrait être reformulée comme une figure par laquelle on fait prendre à un énoncé (la conclusion) la valeur de croyance (ou la valeur de vérité) accordée à un autre (l’argument). Les règles de transfert sont les mêmes.

Les quatre “maîtres tropes” de Burke (1945), métaphore, ironie, métonymie et synecdoque, sont tous pertinents pour la caractérisation du lien argument-conclusion, quoique de façon différente.

2. Métonymie

Dans la métonymie classique la plume est plus puissante que l’épée, la plume est “un instrument pour écrire ou dessiner à l’encre…” ; l’épée est “une arme avec une longue lame en métal et une poignée avec un protège-main”. Dans le proverbe cité, plume et épée sont utilisés métonymiquement, et signifient respectivement “mot, pensée et discours, communication verbale…” et “violence physique, force militaire”, la signification globale étant que “la force ne prévaut pas sur le discours raisonné”.

Le processus métonymique peut être décrit comme suit.

— Il existe un signe {S / C1}, de signifiant S et de contenu C1 : {plume / “instrument pour écrire”}.
— Le signifiant S est utilisé métonymiquement pour désigner le contenu C0 : plume/discours.
— Ce transfert de sens opère sous une garantie, exprimée dans une loi de transition telle que “C0 est dans une relation de contiguïté remarquable avec C1” ; ici, “la plume est l’instrument utilisé pour produire et enregistrer le discours”.

Ce mécanisme fonctionne qu’il existe ou non un signifiant S1 désignant ordinairement C0 (autrement dit qu’il s’agisse de figure ou de catachrèse).

On distingue traditionnellement différents types de métonymies selon le type de relation de contiguïté existant entre C0 et C1, par exemple :

— L’effet pour la cause, “La mort est dans le pré
— La cause pour l’effet, l’agent (ou la “cause efficiente”) l’objet produit, “Demandez le nouveau Houellebecq !
— Le contenant pour le contenu, “Il aime bien la bouteille
— L’instrument pour l’agent, “Il est la plume de la Présidente
— L’instrument pour l’objet produit, “La plume est plus forte que l’épée
— Le nom du lieu de production pour le produit, “J’ai besoin d’un petit cognac
— L’action en cours pour le participant, “Monsieur, votre rendez-vous vient juste de sortir”.

Les mécanismes permettant d’enchaîner argumentativement des énoncés ne sont pas différents des mécanismes permettant de désigner métonymiquement les objets. La figure et l’argument sont fondés sur le même genre de loi de passage.
Considérons l’argumentation de l’effet vers la cause. Elle transfère le prédicat “— est un fait établi” de l’effet à la cause :

L’air, les métaux se dilatent lorsqu’ils sont chauffés
Ce métal est dilaté, c’est un fait établi, donc, indubitablement, il est (a été) chauffé.

La métonymie de l’effet pour la cause est fondée sur une relation causale (C0 cause de C1) ; le signifiant S désignant l’effet C1 est mis pour la cause C0.La mort est dans le pré signifie littéralement que les produits phytosanitaires Ph (également appelés produits phytopharmaceutiques) utilisés en agriculture conventionnelle peuvent être mortels pour les humains. M. Le signifiant “mort” désignant normalement l’effet M désigne maintenant la cause, Ph.

Le signifiant mort fait référence à la mort ; dans le cas de la métonymie, son domaine référentiel est étendu de manière à inclure la cause de la mort, “mort désigne les produits phytosanitaires”. Dans notre vision standard de référence, un mot (un signifiant) renvoie à un objet ; en réalité, il renvoie à une famille d’objets comprenant l’objet de référence et les objets qui lui sont contextuellement connectés de façon signifiante. Le signifiant renvoie à tout élément appartenant au faisceau de cet objet. Le langage ordinaire exprime clairement ce fait :

Il a de la fièvre, donc il a une infection.
=> Donnez-lui des antibiotiques, cela réduira la fièvre.

L’antibiotique agit en fait sur l’infection et fièvre dans (2) doit donc être considérée comme une désignation métonymique (l’effet pour la cause) de l’infection. Par contre, la fièvre est un signe naturel d’infection : “il a de la fièvre ça veut dire qu’il a une infection” : c’est précisément ce que dit l’analyse métonymique.

3. Synecdoque

Comme le montre l’exemple du rendez-vous (§1), la dénomination métonymique opère sur n’importe quelle paire d’objets connectés, cette connexion étant accidentelle (locale) ou essentielle. La synecdoque opère sur les constituants d’un tout et sur le lien genre / espèce. Le mot métonymie est parfois utilisé pour désigner à la fois métonymie et synecdoque.

3.1 Synecdoques “Partie – Tout” et “Tout – Partie”

Aux synecdoques partie – tout et tout – partie correspondent les argumentations de la partie vers le tout et du tout vers la partie. Dans trouver un toit, toit renvoie à “habitation” ; de même, l’argumentation :

le toit est en mauvais état, la maison ne doit pas être bien entretenue

transfère au tout le prédicat attaché à la partie, V. Composition et division §3.

3.3 Synecdoque du genre et de l’espèce

La synecdoque du genre permet de désigner par le nom du genre une des espèces qui lui sont subordonnées, “l’animal” pour “le lion”. Cet usage est fréquent dans les phénomènes de coréférence :

Nous avons vu un lion ; la pauvre bête était maigre et malade.

De même, l’argumentation par le genre attribue à l’espèce les prédicats du genre : “cet être est un animal, donc il est mortel”.

Les lions sont des animaux, les animaux sont mortels, donc les lions sont mortels.

On retrouve sous cette argumentation elliptique toute la problématique du syllogisme articulée à celle d’une catégorisation d’êtres naturels organisée en une classification.

4. L’arbre et les fruits

L’argumentation suivante a été avancée en défense de Paul Touvier, chef de la Milice à Lyon pendant l’occupation nazie (1940-1944). Fugitif et condamné à mort pour crimes contre l’humanité à la Libération [1].

Le passage suivant est extrait d’une lettre adressée par le R. P. Blaise Arminjon, S. J., au Président de la République, Georges Pompidou, en date du 5 décembre 1970, afin d’appuyer le recours en grâce de Paul Touvier.
Comment comprendre qu’il puisse être un “criminel”, être un “mauvais Français”, celui dont la conduite depuis vingt-cinq ans, et l’éducation qu’il a donnée à ses enfants sont à ce point admirables ? On reconnaît un arbre à ses fruits.
René Rémond et al., Paul Touvier et l’Église, 1992 [2]

Une analyse à la Toulmin s’applique à ce paragraphe, la loi de passage étant fournie par le topos biblique, « on reconnaît un arbre à ses fruits » :

16 Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons ? 17 Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits. 18 Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. (Matthieu, 7)

On peut aussi bien décrire le transfert des valeurs par un mécanisme de métonymie. Parler de «la conduite de Touvier depuis vingt-cinq ans » c’est désigner métonymiquement Touvier ; dire que cette conduite est « admirable », c’est dire métonymiquement que Touvier est admirable. De même, une évaluation positive portée sur l’acte, « l’éducation que Touvier a donnée à ses enfants » est « admirable », se transfère métonymiquement sur l’auteur de l’acte, le père, forcément tout aussi admirable. Le même phénomène s’analyse dans le langage des tropes ou dans celui de l’argumentation, les deux mettent en œuvre le même genre de rationalité.


[1] « Fugitif, [Paul Touvier] est gracié en 1971 par le président Georges Pompidou, mais des plaintes pour crimes contre l’humanité imprescriptibles étant déposées contre lui, il repart en cavale dans des réseaux catholiques, puis est finalement arrêté en 1989, jugé et condamné en 1994 à la réclusion criminelle à perpétuité. Il est le premier jugé de nationalité française condamné pour crimes contre l’humanité. » (Wikipédia, Paul Touvier)

[2] Paris, Fayard, 1992, p. 164. Texte intégral de la lettre p. 372