Politesse argumentative

POLITESSE ARGUMENTATIVE

Dans une situation argumentative, les règles de la politesse linguistique s’appliquent pour tout ce qui ne concerne pas l’objet du débat. Sur le fond, le débat est régi par une préférence pour le désaccord (et non pas pour l’accord). Sur la forme, les règles de la politesse sont remplacées par les règles de la politesse argumentative : par définition de la situation argumentative, chacun est amené à s’en prendre à la face et aux territoires de l’autre

La politesse linguistique a une fonction de régulation de la relation interpersonnelle :

Relèvent de la politesse, tous les aspects du discours :
1) qui sont régis par des règles,
2) qui interviennent au niveau de la relation interpersonnelle,
3) et qui ont pour fonction de préserver le caractère harmonieux de cette relation. Au pire, neutralisation des conflits potentiels ; au mieux, faire en sorte que chacun des participants soit envers l’autre le mieux disposé possible. (Kerbrat-Orecchioni 1992, p. 159 ; p. 163 ; souligné dans le texte)

Dans le cas général, la conversation est régie par un principe de préférence pour laccord et la coopération. La théorie interactionniste de la politesse décrit les conditions qui réduisent l’agressivité et favorisent cet accord. Brown & Levinson (1978) ; Kerbrat-Orecchioni (ibid.) définissent l’individu par ses faces et ses territoires. L’intervention polie respecte des règles de politesse positive et des règles de politesse négative, vis-à-vis de soi comme vis-à-vis de l’autre.

Ce système est transformé en situation argumentative : la préférence pour l’accord devient une « préférence pour le désaccord » (Bilmes 1991). Les différences sont maximisées, ce qui a des conséquences sur toutes les composantes du système de la politesse linguistique. L’argument de la modestie fournit une illustration typique de ces transformations.

1. Principes de politesse orientés vers l’allocutaire

La politesse négative enjoint d’éviter les actes menaçants envers les territoires ou la face de l’allocutaire, et la politesse positive recommande que soient produits des actes positifs à leur égard (Kerbrat-Orecchioni 1992, p. 184).

La situation argumentative inverse ces principes, pour des raisons qui tiennent à la nature même de cette situation. D’une part, les règles de la politesse positive ne sont pas appliquées ; d’autre part, celles de la politesse négative sont inversées. Par exemple, la règle de politesse générale « évitez d’empiéter sur les réserves [de l’interlocuteur] » (ibid., p. 184) correspond au principe de non-agression, “ne violez pas le territoire de l’autre”. Mais, dans une situation argumentative, le territoire étant disputé, il y a forcément une forme d’agression et de conflit territorial, avec empiétements et contre-empiétements.

Une règle de politesse recommande de « [s’abstenir] de faire [à l’interlocuteur] des remarques désobligeantes, des critiques trop acerbes, des réfutations trop radicales, des reproches trop violents » (ibid.), alors qu’en situation argumentative, la réfutation radicale est recherchée plutôt qu’évitée et la mise en cause négative de l’adversaire est une stratégie standard. S’il y a éloge de l’adversaire, c’est pour le retourner contre la position qu’il défend dans l’interaction en cours, V. Contre-argumentation.

2. Principes de politesse orientés vers soi-même

Comme la précédente, cette rubrique réunit deux familles de principes, les uns négatifs, les autres positifs. En règle générale, il est demandé au locuteur de protéger ses faces et ses territoires :

[1] Sauvegardez dans la mesure du possible votre territoire ; résistez aux incursions par trop envahissantes … Ne vous laissez pas traîner dans la boue, ne tolérez pas que votre image soit injustement dégradée, répondez aux critiques, aux attaques et aux insultes,
[2] Sauf circonstance exceptionnelle, le plaidoyer pro domo est proscrit dans notre société, qui juge sévèrement les manifestations trop insolentes de l’autosatisfaction. (Ibid., p. 182-183)

En situation argumentative, , le locuteur applique vigoureusement les principes positifs jouant en sa propre faveur. La protection et la promotion de son point de vue demandent que ses positions soient défendues, et les attaques réfutées. Les plaidoyers pro domo sont non seulement admis, mais prescrits. L’argumentateur n’hésite pas à faire l’éloge de sa personne aussi bien que de son territoire, ici son point de vue. Cette valorisation est de règle quand elle s’applique aux objets “en question”, qui constituent des enjeux de l’interaction, qu’il s’agisse de la personne ou de ses biens.

Selon les principes de modération dans la valorisation de soi, « si vous avez à faire votre propre éloge, qu’au moins ce soit sur le mode atténué de la litote » (ibid., p. 184) ; et vous pouvez même léser légèrement votre propre territoire et pratiquer une légère autocritique (ibid., p. 154). Ce principe demande qu’on accepte de transiger, de faire des concessions, toutes choses que l’argumentateur peut choisir de faire ou de ne pas faire sans qu’on puisse parler de politesse ou d’impolitesse.

Les règles de politesse concernant les faces et les territoires sont suspendues pour tout ce qui concerne les participants et les objets en relation avec la question débattue, mais elles restent applicables pour tout ce qui n’est pas objet de débat. Il est donc possible qu’un argumentateur grandisse sa face et ses territoires et abaisse ceux de son adversaire, dans une interaction où il se comportera, par ailleurs, de façon polie ou impolie.
Les règles de la politesse argumentative sont celles du débat “honorable” (Hedge, 1838), V. Règles.