Proportion – Rapport

Argument de la PROPORTION


L’analogie de proportion a reçu une définition mathématique en arithmétique et en géométrie. Dans sa définition générale, l’analogie de proportion affirme que deux couples d’êtres sont liés par le même genre de relation.

1. Métaphore et analogie de proportion

Dans la Poétique, Aristote définit la métaphore comme

l’application à une chose d’un nom qui lui est étranger, par un glissement du genre à l’espèce, de l’espèce au genre, de l’espèce à l’espèce, ou bien selon un rapport d’analogie. (Trad. Magnien, p. 139).

Le « rapport d’analogie » est défini à l’aide d’exemples de métaphore proportionnelle :

Une coupe entretient avec Dionysos le même rapport qu’un bouclier avec Arès. On dira donc que la coupe est « le bouclier de Dionysos », et que le bouclier est « la coupe d’Arès ». Ou encore, la vieillesse entretient avec la vie, le même rapport que le soir avec la journée, on dira donc que le soir est « la vieillesse du jour» et la vieillesse […] « le soir de la vie », ou « le crépuscule de la vie ». (Id., p. 140)

La notion de proportion [1] est définie comme une analogie portant non pas entre des individus mais sur une relation entre deux ou plus de deux rapports, V. Analogie catégorielle; Analogie structurelle.

En mathématique, un rapport est une relation entre deux termes a/b, c/d/ e/f, 3/5, 2/3, 3/4… L’analogie de proportion met donc en jeu au moins quatre termes. Elle est notée :

 a/b ~ c/d
2/3 = 14/21

— En arithmétique, la proportion correspond à l’équation du premier degré à une inconnue,  équation qui formalise la “règle de trois” :

a/b = x/c d’où ac = bx et x = ac/b
— Trois œufs coûtent 1,2€, combien coûtent quatre œufs ?
— Quatre œufs coûtent 1€60, puisque trois œufs coûtent 1€20

— En géométrie, on parle de similitude. Deux figures semblables sont de même forme et de dimensions différentes. Deux triangles semblables ont leurs angles égaux et leurs côtés proportionnels.

— D’une façon générale, l’analogie de proportion affirme que deux couples d’êtres sont liés par le même genre de relation :

écaille : poisson      =       plume : oiseau
gant : main              =       chaussure : pied
chef : groupe           =       pilote : navire
vieillesse : vie          =       soir : jour

L’argumentation exploite l’analogie de proportion, par des mécanismes de parallélismes :

(Puisque) à tout navire il faut un pilote, à tout groupe il faut un chef !

Le processus de compréhension est le même pour l’arithmétique et pour l’argumentation parlée. Le raisonnement par lequel la valeur de x est extraite mathématiquement de la proportion arithmétique est le même que celui qui extrait la nécessité d’un chef de l’analogie de proportion pilote : navire = chef : groupe.

Destruction de l’analogie proportionnelle

La forme de base “Un A sans B, c’est comme un X sans Y” peut être utilisée pour détruire un discours qui argumente sur cette analogie de proportion :

L1 — Un groupe sans chef, c’est comme un pilote sans navire
L2 — Oui, et une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette ( MLF).

2. Mesure proportionnée

L’argument de la mesure proportionnée justifie une disposition en affirmant qu’elle est raisonnable, bien dosée, et qu’elle peut être modulée en fonction des évolutions de son objet.

L’idée de mesure proportionnée se retrouve sous deux étiquettes latines :
— Arg. ad modum, de modus “mesure”
— Arg. ad temperentiam, de temperentia, “juste mesure, juste proportion”.
Ang. arg. of gradualism


Une justice qui ne serait pas proportionnée (proportionnelle) appliquerait la même peine à tous les coupables.

L’argument de la proportionnalité est invoqué a contrario dans le communiqué récurrent :

(L’association, le syndicat, le gouvernement…) X condamne l’usage disproportionné de la force.

Cet argument suppose qu’il existe une échelle graduée de la gravité des troubles, ai une échelle graduée de la sévérité de la répression, en fonction de la gravité des troubles.

L’idée de proportion correspond à la covariance sur ces deux échelles.

plus / moins la manifestation “met en danger la sécurité de l’état, des citoyens, de leurs bien…”
plus / moins on doit s’attendre à une répression sévère.

Montrer ses muscles pour intimider
Montrer ses muscles, c’est annoncer une répression sévère, et par application de la loi de proportionalité, proclamer la force de l’ennemi.

Soit une situation de troubles, décrite comme l’œuvre de quelques factieux isolés. Selon le principe de proportionnalité de la répression, on s’attend à ce que les mesures de répression ordinaires soient suffisantes : manifestation peu dangereuse : répression légère.
Or les autorités décident d’organiser une grande exhibition militaire pour “impressionner l’adversaire” et “rassurer les populations”. L’argument de la mesure proportionnée permet un calcul qui met en échec cette stratégie psychologique :

La force étalée, loin de minimiser l’ennemi, le grandissait.
Pierre Miquel, La guerre d’Algérie, 1993[1]

La conclusion est fondée sur le topos : “on ne tire pas au canon contre des mouches” ; si on avait réellement affaire à quelques excités isolés, on ne positionnerait pas les chars devant les immeubles officiels. C’est donc qu’il s’agit d’un vrai soulèvement populaire.

On retrouve ce paradoxe dans le cas d’une réfutation forte d’une position déclarée faible, V. Paradoxes.

La mesure proportionnée est une forme d’argument sur la mesure juste, qui peut également être définie comme la mesure intermédiaire V. Juste milieu.


[1] Lat. proportio, “rapport ; analogie” ; traduit le grec analogia [ἀναλογία], “1. Proportion mathématique 2. Correspondance, analogie” (Bailly ἀναλογία)

[2] Paris, Fayard, p. 190.