Raisonnement à deux termes

RAISONNEMENT À DEUX TERMES

On regroupe sous cet intitulé le raisonnement transductif de Piaget et de Grize, et le raisonnement à deux termes de Gardet & Anawati.

1. Raisonnement transductif

La notion de raisonnement transductif a été élaborée par Piaget ([1924], p. 185) dans le cadre de l’analyse du développement de l’intelligence de l’enfant, où le raisonnement transductif est défini comme un mode de pensée prélogique et intuitif du jeune enfant. C’est un raisonnement qui passe directement d’un individu ou d’un fait particulier à un autre individu ou un autre fait particulier, sans l’intermédiaire d’une loi générale.
D’après Grize, « le jeune enfant qui dit “Ce n’est pas l’après-midi parce qu’il n’y a pas eu de sieste” s’appuie sur son expérience quotidienne qui fait de la sieste un ingrédient de l’après-midi », procède par transduction (1996, p. 107), c’est-à-dire sans intervention d’un principe général sous-jacent de la forme “qui dit après-midi dit sieste”, “nous sommes dans l’après-midi seulement s’il y a eu sieste”.
L’association transductive “sieste = après-midi” donne, par application du topos des contraires : “pas sieste = pas après-midi”. Dans le langage de la logique naturelle, le terme sieste est « un ingrédient » du faisceau lié au terme après-midi, En pratique, tout se passe comme si “ faire la sieste” était un trait essentiel définitoire de “après-midi”.
Grize observe que les adultes utilisent aussi ce type de raisonnement :

Lorsque nous disons que nous nous sommes arrêtés au feu parce qu’il était au rouge, […] notre pensée ne passe pas par l’intermédiaire d’une loi générale du genre : “tout feu de la circulation de couleur rouge implique arrêt.” (Ibid.)

Il n’y a peut-être là qu’un pur réflexe associatif, stimulus-réponse. Toutefois l’adulte n’applique pas la négation comme l’enfant : “ce n’est pas un feu rouge puisque je ne me suis pas arrêté”. On raconte cependant qu’un automobiliste profondément imprégné du respect dû au Code de la route refusait de croire qu’il avait été heurté de plein fouet par un autre véhicule parce que la rue où il circulait était en sens unique, soit :

je n’ai pas été heurté de plein fouet par un autre véhicule puisque la rue est en sens interdit

— Ce qui n’est pas une réaction insensée : un immeuble a pu s’effondrer, quelque chose a pu tomber de l’étage.

2. Raisonnement à deux termes

Dans un cadre très différent, Gardet et Anawati parlent d’un « raisonnement à deux termes » caractéristique « [d’] un rythme de pensée proprement sémitique que le génie de l’arabe a su utiliser avec un rare bonheur » (Gardet et Anawati [1967], p. 89), et qui semble être de même nature que le raisonnement transductif.

La logique “dialectique”, connaturelle au génie arabe, s’organise selon des modes de raisonnement à deux termes qui procèdent du singulier au singulier, par affirmation ou négation, sans moyen terme universel. Faut-il dire, comme on l’a fait parfois, que ce dernier, non explicitement saisi, n’en est pas moins explicite dans l’esprit qui raisonne ? Nous ne le croyons pas. Sans doute, on peut “traduire” en syllogisme à trois termes un raisonnement à deux termes […]. Mais dans le mécanisme logique de la pensée, c’est bien de la mise en regard, par opposition, similitude ou inclusion, des deux termes du raisonnement qui donne à la “preuve” valeur de conviction. Le moyen terme universel n’est point présent dans l’esprit, même sous mode implicite. Il ne s’agit pas d’établir une preuve discursive, mais de promouvoir une évidence de certitude. (Bouamrane, Gardet 1984, p. 75)

Dans cette tradition, le théologien et logicien al-Sumnânî a distingué différents procédés rationnels (types d’arguments), relevant du raisonnement à deux termes. Il s’agit :

de constatations, puis d’un mouvement de l’esprit qui opère soit par élimination, soit par analogie du semblable au contraire ou du semblable au semblable. Il s’agit toujours de passer du fait “présent”, du “témoin” (shâhid) [l’argument, CP], à l’absent, (gha’ib) [la conclusion, CP]. Aucune recherche abstractive d’un principe universel. (Gardet, Anawati [1948], p. 365-367).

En l’absence d’informations supplémentaires, on peut comprendre que le raisonnement est uniquement fondé sur la catégorisation, combinée à la négation : ceci est / n’est pas dans la même classe que cela.