Argumentation fondée sur la RÉCIPROCITÉ
Soit un énoncé reliant deux groupes nominaux : “N 1 — Verbe — N2”. Par permutation des actants (conversion), on obtient l’énoncé : “N 2 — Verbe —N1”
La relation établie par le verbe entre les deux actants est symétrique (ou réciproque) si ces deux énoncés sont des paraphrases l’un de l’autre. “A est égal à B” est un verbe symétrique, alors que “A mange B” n’est pas un verbe symétrique, même s’il peut être symétrique dans certains de ses emplois, certains êtres étant autophages.
L’énoncé (a) “le poids des pommes est égal à celui des cerises” et l’énoncé (b) obtenu par permutation des actants “le poids des cerises est égal à celui des pommes” sont logiquement équivalents.
Les énoncés obtenus par permutation des actants ne sont pas nécessairement équivalents. Dans l’énoncé (c) “Pierre regarde le fauve”, le verbe apercevoir lie deux actants, Pierre, sujet, et le fauve, objet. En permutant ces deux actants (conversion) on obtient l’énoncé (d) “le fauve regard Pierre”, où le rôle de sujet est tenu cette fois par le fauve, et celui d’objet par Pierre, et (c) n’est pas équivalent à (d). Les deux énoncés ne disent pas la même chose.
Les prédicats “… est l’ami de …” “… est le frère ou la sœur de …” sont symétriques ; si a a rencontré b, alors b a rencontré a, autrement dit, a et b se sont rencontrés.
La distance du point m au point n est une relation symétrique, mais la durée pour parcourir cette distance ne l’est pas forcément.
Une relation “quasi-logique ?
La relation de réciprocité (symétrie) est considérée comme une relation “quasi-logique” par Perelman & Olbrechts-Tyteca. En mathématique, R est symétrique (réciproque, convertible) si elle lie à la fois a à b et b à a ; autrement dit, si R est symétrique, alors “aRb” et “bRa”.
Les exemples précédents montrent que cette relation correspond à des déductions impeccables et banales dans le discours ordinaire. Le principe de réciprocité est inscrit dans le sémantisme des relations considérées et savoir l’appliquer c’est simplement savoir parler sa langue.
2. Principe de réciprocité
Dans les relations humaines, la réciprocité n’est pas un constat de fait, mais un impératif moral de première importance, par lequel se matérialise l’égalité des personnes et des groupes. S’agissant d’actes impliquant deux personnes, le strict principe de réciprocité dit que si A agit de telle manière vis-à-vis de B, alors B fait / doit faire / peut faire la même chose à A.
Positivement, si A a fait un cadeau à B, par exemple, l’a invité à dîner, alors B conclut qu’il doit faire la même chose, c’est-à-dire faire un cadeau à A ou l’inviter.
L’argument du “retour d’ascenseur” dit que si A a procuré à B un avantage décisif, alors B doit faire quelque chose d’équivalent pour A lorsque la situation se présentera : “un bienfait n’est jamais perdu”.
Le principe de réciprocité ne peut être strictement appliqué que dans la mesure où il s’agit d’actes pour lesquels A et B peuvent traiter d’égal à égal. Il n’a pas de sens lorsqu’il existe entre A et B une inégalité fondamentale : si A fait l’aumône à B, ou si A condamne B à une amende, il n’est pas question pour B d’appliquer mécaniquement la réciproque stricte. Mais dans un roman rose, B peut cependant sauver la vie de A et dans un roman policier se venger de celui qui l’a (fait) condamné(er).
Dans cette limite, l’appel au principe de réciprocité est une ressource applicable à la régulation des interactions sociales : “Je suis poli avec vous, alors soyez poli avec moi”.
Le locuteur se définit lui-même et définit son partenaire comme des membres d’une même catégorie, qui doivent être traités de la même façon, V. Règle de Justice.
3. Réciprocité comme loi du talion
La loi du talion, œil pour œil, dent pour dent, est une règle de “justice” fondée sur la lettre du principe de réciprocité : si A a causé un dommage à B, il est légitime pour B de causer le même dommage à A.
Si ton amoureux déçu t’a défiguré au vitriol, le tribunal t’accorde le droit de le traiter de même.
Dans le domaine des relations internationales, le principe de réciprocité permet aux États d’affirmer leur égalité dans leurs relations, et éventuellement de justifier une mesure de rétorsion,
Si le pays A exige un visa des ressortissants du pays B, il est juste que le pays B exige également un visa des ressortissants du pays A.
La dissuasion nucléaire, qui repose sur la certitude de destruction réciproque, réactualise le principe du talion. Ces formes qui compensent un dommage par un dommage sont apparentées à l’argument “Toi aussi !”.
4. Réciprocité comme principe de morale naturelle
Elle s’énonce par les maximes :
Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent,
Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’ils vous fassent.
Sous la forme “ne faites pas aux autres ce que vous n’auriez pas voulu qu’ils vous fassent”, ce second principe s’oppose à la loi du talion.