SCRIPT ARGUMENTATIF
Dans une questions argumentative persistante, par exemple Faut-il légaliser la drogue ? les arguments et les contre-arguments répétés tendent à se figer et à se constituer en répertoire dont les éléments deviennent les standards des débats orientés par cette question.
Certaines questions argumentatives peuvent se développer et se résorber lors brefs épisodes qui ne laissent aucune trace affective ou mémorielle, par exemple :
Quand pouvons-nous aller chez nos amis ?
D’autres questions, privées ou publiques, restent ouvertes et peuvent se développer sur plusieurs épisodes plus ou moins corrélés.
Où allons-nous construire notre nouvelle maison ?
Les questions politiques, philosophiques et sociales, prises en charge professionnellement, ont une durée de vie indéterminée :
Faut-il légaliser la consommation des drogues douces ?
Faut-il réviser la Constitution ?
Les ordinateurs peuvent-ils penser ? [1]
Les animaux ont-ils conscience d’eux-mêmes ?
De telles questions argumentatives ouvertes attirent les arguments, les contre-arguments et les réfutations. Ces ensembles se stabilisent en argumentaires et scripts argumentatifs, qui peuvent être représentés sous forme de cartes argumentatives.
Ces scripts sont à la disposition des acteurs prenant position sur cette question, que ce soit dans le rôle de proposant ou celui d’opposant.
1. Argumentaire et ligne argumentative
Le mot argumentaire est utilisé pour désigner les argumentations proposées par une partie : « argumentaire d’un parti politique, argumentaire de vente… » (Rey [1992], art. Argument, qui précise que le mot argumentaire est récent, 1960).
L’expression ligne argumentative peut être utilisée pour désigner un discours développant une série d’arguments co-orientés, ou l’ensemble des discours co-argumentés par différents locuteurs alliés au cours d’un débat.
2. Script
Le script argumentatif attaché à une question est constitué par l’ensemble des arguments et des réfutations standards mobilisés par l’une ou l’autre partie lorsque la question est débattue. Le script correspond à la conjonction des argumentaires des parties en présence.
Il peut varier avec le site argumentatif, en particulier selon qu’il s’agit d’un site privé ou public.
Le script argumentatif se développe avec l’état de la question argumentative. Il est susceptible d’être actualisé un nombre de fois indéterminé, sur une grande variété de sites. Il préexiste et informe les discours argumentatifs concrets, dont il constitue un élément déterminant, mais non unique. Il recueille les arguments sur le fond de la question, de façon relativement indépendante des circonstances spécifiques aux rencontres particulières. Il peut cependant inclure des caractéristiques génériques des intervenants dans le débat et des considérations sur les conditions dans lesquelles il se déroule.
L’argument “la sécurité sociale est en crise” fait partie de l’argumentaire anti-immigration ; sa réfutation “vous manquez de générosité/ soyons généreux” relève de l’argumentaire pro-immigration. Les deux font partie du script de la même question. Un argument visant la personne, comme “et c’est vous qui portez des diamants qui osez nous parler de la crise de la sécurité sociale !” ne fait pas partie du script, l’interlocuteur ne portant pas forcément de diamants. Mais les types d’attaque sur la personne attachés à une question figurent dans le script.
Script et invention
La notion de script modifie traditionnelle selon laquelle les arguments sont “inventés”, c’est-à-dire produits spontanément par le locuteur. Ils peuvent l’être dans certains cas, mais ils ne le sont pas forcément dans l’argumentation socio-politique, en philosophie, et dans toutes les disciplines ouvertes où il existe un état de la question. Dans ces domaines, le stock structuré d’arguments de base n’est pas trouvé mais hérité, fourni “clés en main”. La créativité argumentative s’exerce sur cette base d’un tel script ouvert.
Le travail du locuteur consiste à prendre connaissance du script qui correspond à la question à laquelle il est confronté, puis à jouer sa partition, c’est-à-dire à sélectionner, mettre en parole, actualiser et amplifier les différents éléments de l’argumentaire auquel il s’intéresse, autrement dit à effectuer un parcours sur le script, et si possible, à l’augmenter.
Ce fait a des répercussions sur l’éducation à l’argumentation. Il valorise l’information préalable à la discussion, ainsi que les capacités d’expression et de style de l’argumentateur.
[1] Une fraction du script correspondant à cette question est disponible à l’adresse http:// web.stanford.edu/~rhorn/a/topic/phil/artclISSAFigure1.pdf] (29-09-2013).