Argumentations en SÉRIE
L’argumentation en série est une argumentation où les conclusions obtenues sont immédiatement réutilisées comme arguments pour une nouvelle conclusion, jusqu’à une conclusion ultime. En logique, elle correspond au polysyllogisme, suite de syllogismes tel que la conclusion de l’un sert de prémisse au suivant. Il s’agit d’une forme particulière de sorite (“tas”).
L’argumentation en chaîne ou en série (ang. serial argumentation, Beardsley 1975, cité in Wreen 1999, p. 886) est également appelée argumentation subordonnée (subordinate argumentation, Eemeren et Grootendorst 1992). Elle est connue traditionnellement sous le nom de polysyllogisme ou de sorite.
1. Polysyllogisme
Un polysyllogisme est une suite de syllogismes tel que la conclusion de l’un sert de prémisse au suivant.
Dans le syllogisme suivant, la conclusion d’un syllogisme sert de prémissse majeure au suivant
Les conclusions = prémisses majeures peuvent être supprimées.
Tout vertébré a le sang rouge, tout mammifère est vertébré, tout carnassier est mammifère, tout félin est carnassier, donc, tout carnassier a le sang rouge (Chenique 1975, p. 255-256)
Ce polysyllogisme s’analyse comme suit.
1e col. : le polysyllogisme
En italiques, les conclusions = prémisses majeures du syllogisme suivant.
2e col. : les trois syllogismes composant le polysyllogisme progressif
tout vertébré a le sang rouge | Syl. 1 – Prém. Maj. |
tout mammifère est vertébré | Syl. 1 – Prém. Min. |
tout mammifère a le sang rouge | Syl. 1 – Concl. = Syl. 2 – Prém. Maj. |
tout carnassier est mammifère | Syl. 2 – Prém. Min. |
tout carnassier a le sang rouge | Sy2 Concl. = Syl. 3 – Prém. majeure |
tout félin est carnassier | Syl. 3 – Prém mineure |
Tout carnassier a le sang rouge | Syl. 3 – Concl. |
Diagramme
Les contours représentent des ensembles dont le nom figure dans le contour, du plus englobant au moins englobant : “L’ensemble des vertébrés contient l’ensemble des mammifères, qui contient l’ensemble des carnassiers, qui contient l’ensemble des félins”.
On part de l’ensemble le plus englobant, et on progresse vers un de ses sous-ensemble, puis de ce sous-ensemble à un sous-sous ensemble, etc.
Tous les vertébrés ont la propriété d’avoir le sang rouge. Cette propriété est partagée par tous ses sous-ensembles et leurs sous-sous-ensembles.
2. Argumentation en série
L’argumentation en série se schématise comme suit :
Arg1 => Concl1 = Arg2 => Concl2 = Arg3 => … => Concln
Les argumentations élémentaires composant l’argumentation en série peuvent exploiter n’importe quel type d’argument, et avoir une structure d’argumentation simple, convergente ou liée.
Dans le cas d’une chaîne où chaque argumentation conclut par défaut, il y a un affaiblissement des conclusions au fur et à mesure que l’on tire de nouvelles conclusions sur la base des conclusions précédentes. Dans ces séries, tout se passe comme si les poids des réfutations potentielles (Rebuttal, V. Modèle de Toulmin) allaient s’accumulant jusqu’à la rupture de la chaîne. C’est ce qui fait sans doute la principale faiblesse du raisonnement par défaut.
Argumentation en série et argumentation convergente
Certaines argumentations peuvent être représentées comme des argumentations en série ou des argumentations convergentes. L’exemple suivant est inspiré de Bassham (2003, p. 72) :
Pierre est têtu, c’est un Taureau, il ne saura pas négocier.
(I) Première reconstruction, une argumentation en série
Pierre est Taureau DONC il est têtu, DONC il ne saura pas négocier.
Pierre est têtu, (EN EFFET, PUISQUE…) c’est un taureau, il ne saura pas négocier.
(A) Première argumentation (1) Pierre est Taureau, DONC (2) il est têtu.
(A.i) : Définition technique de “être un Taureau” :
« [Le Taureau] reste sur ses positions sans accepter d’en changer » [1]
(A.ii) : Instanciation de la définition et conclusion :
« Pierre reste sur ses positions sans accepter d’en changer ».
(A.iii) : Définition lexicale de têtu : « B.1a Qui est obstinément attaché à ses opinions, à ses décisions ; qui est insensible aux raisons, aux arguments qu’on lui oppose. » (TLFi, Têtu)
(A.iv) : (A.i) et (A.iii) sont dans une relation de paraphrase.
(A.v) : Conclusion, par substitution du défini (têtu) à la définition, (2) Pierre est têtu.
(B) Seconde argumentation, (2) Pierre est têtu, DONC (3) il ne saura pas négocier
(B.i) : Définition technique de négociation : « [La négociation] implique la confrontation d’intérêts incompatibles sur divers points (de négociation) que chaque interlocuteur va tenter de rendre compatibles par un jeu de concessions mutuelles » (Wikipedia, Conciliation, 20 – 09 – 2013).
(B.ii) : « Être têtu » (v. A.iii) et rentrer dans « un jeu de concessions mutuelles » sont des contraires.
(B.iii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.
(B.iv) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.
On donc affaire à une argumentation en série :
Arg1 => [Concl1 = Arg2] => Concl2
(II) Seconde reconstruction, deux arguments convergent vers la même conclusion
(C) Première argumentation, (1) Pierre est un Taureau, (3) il ne saura pas négocier
(C.i) : Les deux définitions techniques (A.i) et (B.i) sont en relation de contrariété.
(C.ii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.
(C.iii) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.
ou bien :
(C.i’) : Définition technique : « le négociateur doit demeurer souple, calme, et faire preuve de sang-froid »[2]
(C.ii’) : « [la promptitude du Taureau] à accumuler aussi bien les sentiments et les rancunes le rend capable de fortes colères » [3]
(C.iii’) : (C.i’) et C.ii’) sont des contraires.
(C.iv’) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.
(C.v) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.
(D) Seconde argumentation, (2) Pierre est têtu, (3) il ne saura pas négocier :
(D.i) : (A.iii) et (B.i) sont des contraires, voir (B.ii).
(D.ii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.
(D.iii) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.
On a maintenant affaire à deux argumentations convergentes, qui soutiennent la même conclusion :
On peut également penser que le second énoncé “Pierre est têtu” ne fait qu’expliciter le premier énoncé “Pierre est Taureau”, et qu’il n’y a finalement qu’un seul et même argument dans cette argumentation.