SYLLOGISME
Le syllogisme est un moteur direct de formes fondamentales d’argumentation, comme la catégorisation, la définition et les raisonnements fondés sur les classifications. On oppose le raisonnement syllogistique au raisonnement argumentatif, V. Preuve. Mais le syllogisme combine dans un discours ordinaire réglé des propositions exprimées dans une langue ordinaire attentive à ce qu’elle dit. Construire et comprendre un syllogisme, c’est parler sa langue. La seule particularité de l’exercice est que, de par l’usage qu’elle fait de variables, la théorie du syllogisme ne fournit aucune accroche à la subjectivité. Un syllogisme peut être valide ou non, mais ce n’est pas parce qu’une argumentation est valide qu’elle cesse d’être une argumentation. [1]
“Aucun B n’est A”, “certains C sont B”, — DONC “certains C ne sont pas A”.
Le syllogisme aristotélicien est un discours enchaînant trois prédications (trois propositions, trois jugements) articulant deux termes, le terme sujet et le terme prédicat. Chacune de ces propositions peut être positive ou négative, “A est / n’est pas B”.
Le syllogisme met en jeu trois termes, dont deux apparaissent dans une prémisse et dans la conclusion, un apparaît dans les deux prémisses.
Les deux propositions prémisses contiennent chacune deux termes, un de ces deux termes est commun aux deux prémisses.
Les termes sujets sont pris selon une certaine quantité : nulle (aucun A …) indéterminée (un certain A … certains A … ; universelle (tous les A).
Deux de ces propositions constituent les prémisses, ou bases du raisonnement. La troisième proposition, est la conclusion. Le syllogisme est valide si cette conclusion est une conséquence nécessaire des deux prémisses.
1. Le syllogisme aristotélicien
Aristote est « l’inventeur” de la théorie formelle du syllogisme, qui se caractérise par l’usage de variables, c’est-à-dire de lettres minuscules a, b, c …ou majuscules A, B, C … remplaçant les termes concrets et permettant l’étude du raisonnement dans toute sa généralité.
En logique aristotélicienne, le syllogisme est défini comme,
Un discours dans lequel, certaines choses étant posées, une autre chose différente d’elles en résulte nécessairement par les choses mêmes qui sont posées. (Aristote, Top., i, 1, 25 ; p. 2)
Le syllogisme classique est un discours composé de trois propositions quantifiées. Les « choses posées » sont les deux prémisses du syllogisme, « la chose différente qui en résulte nécessairement » est la conclusion.
Le syllogisme classique fait intervenir deux prémisses, l’inférence immédiate une seule.
Un syllogisme valide (valid) est un syllogisme tel que, si ses prémisses sont vraies (sound), sa conclusion est nécessairement vraie ; il est impossible que ses prémisses soient vraies et sa conclusion fausse. Un tel syllogisme est une démonstration.
La définition, le mode de construction et l’étude des conditions de validité du syllogisme constituent la logique des propositions analysées, c’est-à-dire des propositions dont la forme générale “A est B”, soit “Sujet est Prédicat”.
La logique des propositions non analysées part de propositions dont on ne connaît pas la structure interne et dont on sait seulement qu’elles peuvent être vraies ou fausses. Elle étudie les modes de combinaison de ces propositions au moyen des connecteurs logiques. Cette logique n’est pas d’origine aristotélicienne, mais stoïcienne.
2. Termes, figures et modes du syllogisme
Le syllogisme articule trois termes, dits grand terme T, petit terme t et moyen terme M :
— Le grand terme T est le terme prédicat de la conclusion. La prémisse où figure le grand terme est dite prémisse majeure.
— Le petit terme t est le terme sujet de la conclusion. La prémisse où figure le petit terme est dite prémisse mineure.
— Le moyen terme M connecte le grand terme et le petit terme ; il disparaît dans la conclusion, qui est de la forme “t est T”.
La forme du syllogisme dépend de la position sujet ou prédicat du moyen terme dans la majeure et la mineure. Il y a quatre possibilités, qui constituent les quatre “figures” du syllogisme. Par exemple, un syllogisme où le moyen terme est sujet dans la majeure et prédicat dans la mineure est un syllogisme de la première figure :
Majeure Mineure |
M — T t — M |
homme — raisonnable cheval — homme |
|
Conclusion | t — T | cheval — raisonnable |
Chaque proposition peut être, d’une part, universelle ou particulière, d’autre part, affirmative ou négative, soit quatre possibilités. On a donc 4 possibilités pour la majeure ; chacune de ces 4 possibilités se combine avec une mineure qui admet également 4 possibilités, idem pour la conclusion, soit en tout 4 x 4 x 4 = 64 formes. En outre, chacune de ces formes admet les 4 figures, soit en tout 256 “modes”, ou formes possibles de syllogisme.
Ces modes constituent l’inventaire des discours syllogistiques possibles. Certains syllogismes sont valides, d’autres non ; un syllogisme non valide est un paralogisme, V. Évaluation du syllogisme.
Exemple : modes valides de la première figure
Les déductions syllogistiques s’exposent clairement dans le langage de la théorie des ensembles. On considère des ensembles non vides :
— Deux ensembles disjoints n’ont pas d’éléments en commun ; leur intersection est vide.
— Deux ensembles sécants ont certains éléments en commun ; leur intersection est non vide.
— Un ensemble est inclus dans un autre ensemble quand tous les éléments du premier appartiennent au second.
M, P, S sont des ensembles réunissant respectivement les éléments, m1… mj ; p1… pj ; s1…sj.
Syllogisme de forme A – A – A
Il combine trois propositions universelles affirmatives, notées A.
tout M est P tout élément de M est aussi élément de P
M est inclus dans P
“— être un M” implique “— être un P”
or tout S est M tout élément de S est aussi élément de M
S est inclus dans P
“— être un S” implique “— être un M
donc tout S est P tout élément de S est aussi élément de P
S est inclus dans P
“— être un S” implique “— être un P”
Syllogisme de forme E – I – O
Il combine une proposition universelle négative E avec une proposition particulière affirmative I pour produire une proposition particulière négative O.
aucun M n’est P Aucun élément de M n’est élément de P
L’intersection de M et P est vide
M et P sont disjoints
or certain(s) S sont M certain(s) = “un certain… ou plusieurs…”
Certain(s) éléments de S sont aussi éléments de M
L’intersection de S et M n’est pas vide
donc certain(s) S ne sont pas des P
Certain(s) éléments de S ne sont pas éléments de P
S n’est pas inclus dans P
3. Constructions syllogistiques
3.1 Syllogismes avec prémisse à sujet concret
Les définitions précédentes correspondent au syllogisme catégorique traditionnel (aristotélicien). On parle également de syllogisme lorsqu’une ou les deux prémisses sont à sujet concret. Un sujet concret est un sujet désignant un individu unique, au moyen de diverses expressions comme “ceci”, “cet être”, “Pierre”, “la chose qui —”.
Les syllogismes opérant l’instanciation d’une universelle sont des exemples de tels syllogismes combinant une prémisse à sujet concret et une prémisse à sujet général. Ils permettent d’attribuer à un individu les propriétés de la classe à laquelle il appartient : “les x sont B ; ceci est un x ; ceci est B”.
Le raisonnement suivant fondé sur deux propositions à sujet concret peut aussi être appelé syllogisme :
Cet être est P
ce même être est non Q
donc certains P sont non Q
Tous les P ne sont pas Q
“Tous les P sont Q” est faux.
Ce raisonnement permet la réfutation empirique des propositions universelles, “tous les cygnes sont blancs” (V. Contraires) :
Le cygnus atratus est noir
le cygnus atratus est un cygne
donc certains cygnes ne sont pas blancs
autrement dit, “tous les cygnes sont blancs” est faux.
3.2 Syllogisme hypothétique (ou conditionnel) — Syllogisme conjonctif — Syllogisme disjonctif
3.3 Formes syllogistiques à plus de deux prémisses
Un enchaînement de syllogismes constitue un polysyllogisme ou sorite logique, ou argumentation en série.
Par extension, on parle de syllogisme à propos d’argumentations complexes, dont la structure peut rappeler celle du syllogisme, V. Convergence ; Liaison ; Série ; Épichérème.
On parle également de syllogisme au sens large, pour désigner un enchaînement de propositions, dont la forme syntaxique et le mode d’enchaînement rappellent plus ou moins ceux d’un syllogisme, et qui convergent vers une conclusion affirmée catégoriquement. De telles constructions n’ont plus rien à voir avec la syllogistique, V. Expression.
Dans le fameux syllogisme “Tout ce qui est rare est cher, un cheval bon marché est une chose rare, donc un cheval bon marché est cher”, la seconde prémisse réfute la première, il est donc normal que la conclusion soit absurde.
4. Règles du syllogisme — Paralogisme
5. L’argumentation syllogistique ordinaire
Le syllogisme est le moteur direct de formes fondamentales d’argumentation, en tout premier lieu de la catégorisation, de la définition et des raisonnements fondés sur les classifications.
Comme pour l’inférence immédiate, l’utilisation de certaines des formes du syllogisme est un automatisme intuitif. Mais, si les conclusions tirables de prémisses comme “tout A est B, tout B est C” sont des évidences facilement sous-entendues, il n’en va pas forcément de même pour des formes comme “Certains A sont B, aucun B n’est C” dont les conclusions doivent être tirées explicitement : “certains artistes sont racistes, aucun racisme n’est innocent”. Les syllogismes faisant intervenir des modalités déontiques, “certains accusés sont innocents, aucun innocent ne doit être condamné”, sont au centre de l’argumentation pratique.
On oppose le raisonnement syllogistique au raisonnement argumentatif, V. Preuve. Mais le syllogisme est une combinaison de propositions simples, positives ou négatives, quantifiées. Il combine dans un discours ordinaire réglé des propositions exprimées dans une langue ordinaire attentive à ce qu’elle dit. Le syllogisme correspond à une zone limitée et réglée du raisonnement ordinaire. Il en va de même pour l’arithmétique et les calculs mathématiques ordinaires. Le raisonnement syllogistique est l’exercice d’une compétence langagière ; construire et comprendre un syllogisme, c’est parler sa langue. La seule particularité de l’exercice est que, de par l’usage qu’elle fait de variables, la théorie du syllogisme ne fournit aucune accroche à la subjectivité, ce qui explique peut-être pourquoi on l’oppose aux autres formes d’argumentation.
Comme bien d’autres formes de raisonnements ordinaires, un syllogisme peut être valide ou non. Mais ce n’est pas parce qu’une argumentation en langue ordinaire peut être valide qu’elle cesse d’être une argumentation.
Capacité de raisonnement syllogistique et théorie du syllogisme
Cette capacité linguistique de raisonnement syllogistique est indépendante de l’existence d’une théorie du syllogisme. Selon Graham (1989, p. 168) :
La civilisation chinoise n’a jamais abstrait les formes selon lesquelles elle raisonne, comme le montre ce syllogisme de Wang Ch’ung (AD 27- c.100), qui sonne si familier :
“L’homme n’est qu’une créature [parmi les autres], et même s’il est roi ou marquis, sa nature ne diffère pas de celle des [autres] êtres : Tous les êtres meurent, comment un homme pourrait-il donc devenir immortel ?”
Wang Chong (27~104), Discussions critiques (~80) [2]
[1] (Autre version) La logique classique comprend deux branches principales, la logique des propositions (inanalysées) et la logique des prédicats. Cette logique constitue l’art de penser qui correspond, mutatis mutandis, à ce que nous nommons maintenant argumentation. En s’axiomatisant à la fin du 19e siècle, la logique, d’une part, devient la « science de l’inférence” et s’intègre aux mathématiques ; d’autre part, elle renonce à sa fonction rectrice de la pensée naturelle (humaine), y compris dans sa fonction critique. Dans son rôle indispensable de formation, elle est plus ou moins remplacée par l’argumentation ; depuis le début du XXe siècle, dans les intitulés des manuels, “Argumentation” a remplacé “Logique”.
Quoi qu’il en soit, la pratique de l’inférence, est aussi l’exercice d’une compétence langagière. Construire et comprendre un syllogisme, c’est parler sa langue. Dans les années 1950 et 1970, les logiques dites naturelle, non-formelle, substantielle… cherchent explicitement à dépasser la perte que représente la disparition de la logique élémentaire.
[2] Traduction, présentation et notes de Nicolas Zufferey. Paris, Gallimard, 1997, p. 77