Topique du préférable

TOPIQUE DU PRÉFÉRABLE


1. Topique perelmanienne du préférable

Perelman & Olbrechts-Tyteca traitent les valeurs au moyen des “lieux du préférable”, présentés comme distincts des “techniques argumentatives”. De fait, ces lieux dits du préférable sont bien des schèmes argumentatifs s’appliquant à tous les objets de l’argumentation.

Perelman & Olbrechts-Tyteca considèrent que le réel et le préférable définissent les deux objets de l’argumentation, le premier étant lié aux faits et le second aux valeurs :
— Le préférable inclut « les valeurs, les hiérarchies et les lieux du préférable », soit les valeurs, leurs principes d’organisation et leurs règles de fonctionnement.
— Le réel constitué par « les faits, les vérités et les présomptions » (Perelman et Olbrechts-Tyteca [1958], p. 88).

Perelman & Olbrechts-Tyteca traitent les valeurs au moyen des lieux du préférable, distincts des « techniques argumentatives », qui correspondent aux types d’argumentation. Ces lieux du préférable sont définis comme « des prémisses d’ordre général permettant de fonder des valeurs et des hiérarchies ».
Quatre lieux essentiels organisent le préférable : les lieux de la quantité, de la qualité, de l’existence, de l’essence et de l’ordre (proche du lieu de l’essence), (ibid., p. 115). Nous faisons suivre ces lieux d’exemples qui les appliquent à des situations ordinaires.

Quantité : selon le lieu de la quantité, « quelque chose vaut mieux qu’autre chose pour des raisons quantitatives » (ibid., p. 115) :

“plus il y en a, mieux c’est”.
Je préfère les magasins Xaro, c’est moins cher, ils en donnent plus pour le même prix.

Qualité : le lieu de la qualité « conteste la vertu du nombre » (ibid., p. 119) :

“plus c’est rare, plus c’est précieux”.
Je préfère la boutique Naoré, c’est plus sélect !

— Ordre : ce lieu affirme tantôt « la supériorité de l’antérieur sur le postérieur », par exemple de la cause sur l’effet ou des principes sur les conséquences, et tantôt la supériorité du postérieur sur l’antérieur, par exemple la supériorité de la fin ou du but sur les moyens (ibid., p. 125).

Je préfère boire à la source.

— Les lieux de l‘existant « affirment la supériorité de ce qui existe, de ce qui est actuel, de ce qui est réel sur le possible, l’éventuel ou l’impossible » (id. p. 126). Ces lieux s’expriment dans le proverbe “un tiens vaut mieux que deux tu l’auras” :

Je préfère être vivant dans un monde imparfait que mort dans un monde idéal.

— Le lieu de l’essence « affirme la supériorité de l’individu qui incarne le mieux l’essence » sur les autres individus dérivés de la même essence (ibid., p. 126-127). Il correspond au topos :

“Plus quelque chose est proche de son prototype, mieux c’est”
De toutes les contrefaçons, je préfère celle qui se rapproche le plus de l’original.

Du point de vue formel, ces topoï fonctionnent de manière scalaire, selon la forme “plus… plus…” et “moins… plus…” caractérisant les topoï sémantiques :

Plus on a d’argent, mieux c’est (le financier)
Moins on a d’argent, mieux c’est (le savetier).

Selon le Traité, ces lieux des valeurs correspondent aux lieux de l’accident des Topiques d’Aristote (ibid., p. 113). Ils opèrent donc, dans leur principe, sur un domaine plus vaste que celui des valeurs.

2. Topique aristotélicienne du préférable

Les lieux propres au préférable ou lieux propres sont les lieux qui s’appliquent aux valeurs. Ils sont présentés sous la même forme dans les Topiques d’Aristote (L. III) et dans sa Rhétorique (I, 7). De Pater propose le tableau suivant (p. 126) :

Est préférable, meilleur : Topiques Rhétorique
1. Ce que choisirait plutôt l’homme prudent 116a14 1364b11-12
2. Ce qui relève d’une meilleure science 116a21-22 1364b10
3. Ce qui est désirable en soi (santé, non gymnastique) 116a29-30 1364b3-5
4. Le possible plus que l’impossible 116a26 1365a35
5. Ce dont la privation est plus sensible 117b4-7 1364a31
6. Ce qui est plus difficile 117b28-29 1364a29
7. De deux choses ajoutées à une même troisième, celle qui rend le tout plus grand (ou meilleur) 118a31, b10 1365b13

Comme tous les autres lieux, les lieux du préférable jouent leur rôle de loi de passage (De Pater, 1965, p. 164). Dans la mesure où les préférences et les valeurs imbibent l’action et le discours ordinaires, les lieux dits propres à ce domaine du préférable sont des lieux communs de la parole ordinaire.

Les modes de justification du préférable correspondent aux collocations favorites des verbes préférer, choisir…. Il est donc possible de les déterminer empiriquement, dans une langue donnée.


[1] La Fontaine, Le savetier et le financier.