Quatre TYPOLOGIES MODERNES
Les typologies de Dupleix et Bossuet (17e S.) sont d’inspiration cicéronienne. D’une inspiration toute nouvelle, la typologie de Locke (1690), examinée par Leibniz (1765), valide les arguments de type scientifique et introduit la notion de fallacie. La typologie de Bentham propose une typologie des argumentations politiques (1735). |
Jacques-Bénigne Bossuet, Logique du Dauphin, 1677
Scipion Dupleix, Logique, 1603
Les deux typologies du Grand Siècle présentées ci-dessous sont tirées de La logique, ou art de discourir et raisonner de Scipion Dupleix ([1607]), et de la Logique du Dauphin, de Bossuet ([1677]). Ces ouvrages n’ont peut-être pas d’importance historique particulière, mais elles donnent une idée de l’état de la terminologie au XVIIe siècle, clairement apparentée au système cicéronien, V. Typologies (I).
Comme le dit son titre, la Logique de Bossuet est un manuel d’éducation des princes ; le Dauphin est l’héritier présomptif du royaume.
Pour faciliter la lecture, les schèmes d’arguments identiques ont été mis en regard. L’ordre des lignes est celui de Bossuet, l’ordre de Dupleix a été modifié, les numéros correspondent à l’ordre des schèmes dans le texte originel.
Tableau :
– Première colonne, Dupleix ([1607]).
– Deuxième colonne, Bossuet ([1677]).
– Troisième colonne, entrée(s) correspondante(s).
Dupleix [1607] | Bossuet [1677], p. 139 sqq. | Entrées |
3. Étymologie | 1. Étymologie notatio nominis |
V. Sens vrai du mot |
4. Conjugués | 2. Conjugata | V. Dérivation |
1. Définition | 3. Définition | V. Catégorisation ; Définition |
2. Dénombrement des parties | 4. Division | V. Composition ; Cas par cas |
5. Genre et espèce | 5. Genre 6. Espèce 7. Propre 8. Accident |
V. Genre ; Classification ; Catégorisation ; Définition ; A pari ; Analogie |
6. Similitude 7 Dissimilitude |
9. Ressemblance, a simili 10. Dissemblance, a dissimili |
V. Analogie ; Comparaison |
13. Cause | 11. Cause | V. Causalité |
14. Effets | 12. Effets | V. Conséquence |
10. Antecedens 9. Adjoincts ou conjoincts 11. Consequens |
13. Ce qui précède 14. Ce qui accompagne 15. Ce qui suit |
V. Circonstances |
8. Contraires | 16. Contraires | V. Contraires |
17. A repugnantibus (1) | V. A repugnantibus ; Ad hominem | |
12. Repugnans (1) | V. Contraires | |
18. Tout et partie (2) | V. Composition et division Cas par cas |
|
15. Comparaison des choses plus grandes, égales, et moindres | 19. Comparaison a minori, a majori, a pari |
V. Analogie ; Comparaison |
20. Exemple, ou induction | V. Exemple ; Généralisation; Induction |
Les deux typologies donnent la priorité aux arguments exploitant les ressources qui contribuent à la définition d’un mot ou d’un concept, en vue de leur exploitation dans le raisonnement syllogistique. Cette énumération de l’ensemble des arguments de base est suivie par l’énumération habituelle des schémas d’arguments s’appuyant sur la causalité, l’analogie, la comparaison, les circonstances périphériques, les oppositions et l’induction.
(1) Topos 17 de Bossuet : l’étiquette a repugnantibus fait référence à une variété d’ad hominem.
Le topos 12 de Dupleix fait référence aux prédicats ne convenant pas (repugnans) à un sujet ; par exemple, pierre et homme sont incompatibles parce que “être une pierre” ne peut pas être dit de homme.
(2) Le topos 2 de Dupleix, tout et partie, se rapporte davantage à la composition et à la division.
Le topos 18 de Bossuet, par énumération des parties, est apparenté au topos de la définition. Par exemple, “être un bon capitaine” est défini par l’énumération des qualités pertinentes : “être courageux, sage, etc.”
2. John Locke, Essais sur l’entendement humain, 1690
Gottfried Wilhelm Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain, 1765
Dans l’Essai sur l’entendement humain, John Locke mentionne
Quatre sortes d’arguments dont les hommes ont accoutumé de se servir en raisonnant avec les autres hommes, pour les entraîner dans leurs propres sentiments, ou du moins pour les tenir dans une espèce de respect qui les empêche de contredire. ([1690], L. IV, chap. 17, De la raison, § 19-22) :
Il s’agit des arguments :
— Ad verecundiam, argument d’autorité ou de modestie, fondé sur la difficulté de contredire une autorité. Il correspond à la preuve éthotique :V. Modestie ; Autorité ; Éthos.
— Ad ignorantiam, ou argument sur l’ignorance
— Ad hominem, sur la cohérence et la révision des croyances de la personne
— Ad judicium, ensemble d’arguments sur les choses, appliquant la méthode scientifique,
V. Fond.
Cette typologie distingue entre arguments valides et fallacieux : seul le quatrième, l’argument ad judicium, apporte « une véritable instruction, et nous avance dans le chemin de la connaissance. »
Cette brève typologie n’a rien à voir avec les listes précédentes, inspirées de Cicéron : c’est que sous l’intitulé ad judicium sont introduites toutes les formes de raisonnement utilisées en mathématique et dans les sciences expérimentales.
Contrairement aux typologies classiques, les arguments ne sont plus rapportés à une logique liée à une ontologie naturelle, mais aux exigences de la méthode scientifique, V. Fallacieux. On entre dans un nouvel univers.
Dans les Nouveaux essais sur l’entendement humain [1765], Leibniz tempère le verdict de fallacie frappant tous les arguments qui ne sont pas ad judicium, en prenant en considération le contexte de l’argumentation. Il ajoute l’argument du vertige (ad vertiginem), qui porte sur la négation du principe de contradiction (ibid., p. 437).
3. Jeremy Bentham, Le livre des fallacies [The Book of fallacies], 1824.