GALERIE – C 18:2 + 0.0
GALERIE – D 19:5
GALERIE – E 2
GALERIE – F 11:2
GALERIE – P 21:8
GALERIE – Q 6:0
GALERIE – R 15:2
GALERIE – S 19:5
GALERIE – T 14:3
Galerie – V 6:2
“RHETORIC TO THE SINGLE-PERSON AUDIENCE”
Rhetoric to the single person audience developped special features.
(Hui Wu 2016, Preface to Guiguzi, etc., p. 12)
The Chinese rhetors were not public speakers but persuaders primarily in a private setting, most often talking to a one-person audience, often assumed to be the ruler or a superior. (id.)
Guiguzi, China’s first treatise on Rhetoric. A critical translation and commentary.
Translated by Hui Wu. With commentaries by Hui Wu and C. Jan Swearingen. Carbondale, Southern Illinois University Press. 2016.
Tsou Yen (–340 ~–260)
In this way, the winner does not fail to make his point and the loser finds what he is seeking (Tsou YenGRAHAM 1978)
The disputation recognised throughout the world has ‘five wins and three arrivals, of which correctness in phrasing is the least. (*)
The disputant distinguishes separate kinds of things so that they do not interfere with each other, arranges in sequences different starting-points, so that they do not confuse each other, dredges his ideas and makes his meaning intelligible, and clarifies what he has to say; he shares his knowledge with others and does not busy himself with misleading them.
In this way, the winner does not fail to make his point and the loser finds what he is seeking.
When it comes to elaborating style in order to put up a pretence, adorning phases in order to make nonsense of the other’s case, using subtle comparisons to make it shift his ground, stretching what he litterally says so that he cannot get back to his own idea, to behave like this is harmful to the Great Way.
Engaging in tangled debates and competing to keep talking the longest cannot but be harmful to being a gentleman
Tsou YenGRAHAM 1978, p. 20-21
Tsou Yen (Zou Yan) (–340, ~–260) « joua un rôle déterminant dans le développement de la théorie du Yin-Yang et des cinq éléments (W), métal, bois, eau, feu, terre. La succession est régie par l’alternance du yin et du yang.
En Occident, Empédocle (présocratique) a élaboré la théorie des quatre éléments, dont seraient composés tous les objets constituant l’univers : Terre, Eau, Air, Feu.
• Warring States :
School of Forms and Names — hsing ming chia.
the ‘Dialecticians’ — pien che
• Han “school of names” ming chia
• Aussi :
des disputeurs, bianzhe
There was one group of philosophers which was known as the School of Names (ming chia) by Han scholars, but which during the Warring Stares period was generally known as the ‘School of Forms and Names (hsing ming chia),’ or as the ‘Dialecticians’ (pien che). Fung Yu-lan, History… T1 1952, p. 192
La tradition des “disputers”
Tsou Yen (Zou Yan) -340, -260(?)
« The least misleading appoach to Chinese disputation is through the thinkers who actually describe and operate the apparatus of disputation, the later Mohists.» (Graham, p.19-20)
Graham prend comme point de départ de cette tradition de disputers le “programme ” de Tsou Yen
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FABLE
La fable est un genre littéraire argumentatif où se cumulent intentions esthétiques, politiques et didactiques. On peut la rapprocher de l’anecdote typique rapportée comme un témoignage vécu donneur de leçon politique ou sociale, et qui reste irréfutable à moins de provoquer un incident avec le narrateur.
Selon la Rhétorique d’Aristote, la fable est un des trois types d’exemples, les deux autres étant l’analogie, et le fait historique passé (ou précédent). La fable est porteuse de moralité, mais aussi de leçons sociales et politiques, comme le montre la fable du cheval voulant se venger du cerf et, ce faisant, s’est rendu esclave de l’homme, avec une application aux anciens sauveurs de la patrie qui se transforment en tyrans (Rhét., II, 20, 1393a30 ; Chiron, p. 359-360).
Une fable est un récit didactique, relativement bref, dont les acteurs sont des humains ou des animaux. Ce récit se déroule selon un schéma “situation initiale – complication – action – dénouement”, dont les différentes étapes sont rapidement parcourues.
La fable trouve son terme dans une maxime exprimant une norme morale ou sociale. Cette maxime est interprétée comme une vérité utile à la formation morale des enfants.
Si cette leçon est vue comme la conclusion tirée du récit qui l’accompagne, la fable a immédiatement une forme argumentative. Par exemple, dans “Le loup et l’agneau” (V. Réfutation par les faits), le récit présente un cas où le plus fort l’emporte contre le faible, alors que les raisons du faible sont irréfutables et que celles du fort sont nulles. La morale est une généralisation d’un constat fondé sur ce seul cas fictif, stylisé comme exemplaire.
La fable a la forme d’une paire < topos substantiel (le récit et sa morale) – enthymème correspondant (le récit fabuleux) >, soit non plus d’un énoncé, mais d’un topos autoargumenté.
Elle donne un corps à un principe argumentatif général qui sera mis en application dans des cas particuliers. L’ensemble, forme et substance, constitue un schème argumentatif, une forme unique à laquelle il suffit de faire allusion pour en tirer argument.
La fable fait autorité, et peut servir de précédent prototypique pour la catégorie de faits qu’elle met en scène. Elle a dans la vie civile, les mêmes vertus que l’exemplum dans la vie religieuse. Les deux ont le même pouvoir, de persuader de manière plaisante les enfants, petits et grands.
Réfuter les fables ? En France, les Fables de La Fontaine servent de modèle à ce genre. L’institution scolaire en fait un élément idéal de consensus (V. Doxa ; Croyances de l’auditoire). Comme dans le cas de la métaphore, la meilleure réfutation d’une fable serait une autre fable. La fable déterritorialise la discussion, dans un univers d’enfance et de fiction hors d’atteinte de la réfutation.
La stratégie de la fausse piste est une stratégie de diversion ayant pour but d’éviter la question, V. Pertinence.
Cette stratégie est désignée en anglais par l’expression figurée “red herring fallacy”. Le red herring est le hareng fumé, devenu plus ou moins rouge au cours du traitement, dont on dit qu’il était utilisé par les fugitifs pour lancer les chiens des traîneaux de leurs poursuivants sur une fausse piste. L’expression, très usitée en anglais, est utilisée au sens figuré pour désigner quelque chose permettant de « distraire l’attention de la question fondamentale. » (OED, Red Herring).
Un red herring est un distracteur faisant dévier la discussion vers d’autresune fausse piste.
L’argument ad incommodum est défini par Bossuet comme « l’argument qui jette dans l’inconvénient » ([1677], p. 131). C’est une variante de l’usage réfutatif de l’argumentation pragmatique, par les conséquences inacceptables ou contradictoires, V. Absurde.
Bossuet illustre ce schème par un exemple destiné à réfuter les doctrines des opposants au pouvoir politique absolu sur les corps et à l’autorité ecclésiastique absolue sur les âmes.
S’il n’y avoit point d’autorité politique à laquelle on obéit sans résistance, les hommes se dévoreraient les uns les autres ; et s’il n’y avoit point d’autorité ecclésiastique à laquelle les particuliers fussent obligés de soumettre leur jugement, il y auroit autant de religions que de têtes. Or est-il qu’il est faux [mais il est faux] qu’on doive souffrir, ni que les hommes se dévorent les uns les autres, ni qu’il y ait autant de religions que de têtes. Donc, il faut admettre nécessairement une autorité politique à laquelle on obéisse sans résistance, et une autorité ecclésiastique à laquelle les particuliers soumettent leur jugement.
Jacques-Bénigne Bossuet, Logique du Dauphin [1677] [1]
La réfutation de Bossuet a la forme de deux syllogismes hypothétiques :
Sans d’autorité politique absolue, les hommes se dévoreraient : non AP → D
Sans autorité religieuse absolue, les religions se multiplieraient : non AR → M
Les hommes ne doivent pas se dévorer : non D
Les religions ne doivent pas se multiplie : non M
Donc il faut une autorité politique absolue : AP
Donc il faut une autorité religieuse absolue : AR
Les deux argumentations sont présentées de façon strictement parallèle. Cet effet textuel ou stylistique a pour effet de solidariser les deux argumentations, donc les deux pouvoirs, jusqu’à l’identification. [2] Ce parallélisme est différent de celui qui est mis en œuvre dans l’argument des cas parallèles, fondé sur l’analogie de deux domaines asymétriques, un comparant et un comparé.
[1] Paris, Éditions universitaires, 1990, p. 131 (Orthographe originelle)
[2] Cette identification exclut par exemple la pluralité des religions dans une monarchie absolue, justifiant ainsi la Révocation de l’Édit de Nantes de 1685.
GÉNÉRALISATION
L’opération de généralisation à de nouveaux êtres ou de nouveaux cas permet d’étendre le domaine de validité d’un jugement empirique porté sur un nombre d’abord restreint d’êtres ou de cas. La généralisation peut aller jusqu’à l’affirmation de l’universalité du jugement originel.
Un propos général n’est pas forcément un propos vague ou flou. Un discours d’introduction est un discours général qui renvoie à des discours plus spécifiques traitant de points particuliers. Du point de vue conceptuel, un discours général monte en abstraction pour couvrir plus d’objets, mais apporte moins d’information sur ces objets qu’une théorie particulière. L‘argument de la trop grande généralité permet de réfuter un discours général en l’accusant de ne pas préciser correctement le sens de ses termes et leur domaine d’application en fonction de ce qu’exige la question (manque de pertinence) : “Le propos est banal et envoie à des faits connus et admis par tout le monde ; il n’apporte pas d’information nouvelle ; tout cela ne fait pas avancer la discussion.”
En situation argumentative, on soutiendra un discours général en disant qu’il schématise les faits en mettant l’accent sur leurs traits essentiels, ou on le critiquera en disant qu’il appauvrit ses objets.
En sciences, la généralité d’une théorie correspond au nombre de cas dont elle peut rendre compte. Sa capacité de généralisation est sa capacité à rendre compte de nouveaux cas. C’est une qualité essentielle d’une théorie.
En droit, le principe de généralité de la loi pose que l’application de la loi n’admet pas d’exception ; l’application de la loi est universelle.
En termes logiques, la généralisation est l’opération par laquelle on fait porter le jugement sur une quantité croissante d’individus (on augmente la quantité du sujet d’un prédicat), de la proposition singulière ( à sujet concret) à la proposition particulière (certains), à la proposition universelle (V. Proposition), selon la progression :
Proposition singulière, proposition à sujet (unique) concret : Paul, l’homme qui…, ce…
Proposition particulière : plusieurs / certains / quelques (-uns) / beaucoup de (des) N
Proposition universelle : Tout, tous les, les, … X
On peut distinguer différents modes de généralisation.
Généralisation sur un cas exemplaire.
À la différence de la généralisation inductive, l’argument par l’exemple et l’exemplum procèdent à partir d’un seul cas érigé en paradigme.
La généralisation inductive opère en extension, alors que l’exemple rhétorique procède en intension.
Généralisation inductive
La généralisation à partir d’une série ouverte de cas (les X que je connais) correspond au passage du quantifieur certains X à (tous) les X. Cette généralisation définit une induction valide dans la mesure où elle repose sur un constat de fait, et où elle est posée comme révisable, en fonction des nouveaux cas qui se présenteront.
La généralisation est fallacieuse si elle s’appuie sur un nombre clos et insuffisant de cas.
Généralisation hâtive
En principe, la solidité du principe affirmé dépend du nombre de cas cités. On tire argument de leur petit nombre pour rejeter les conclusions qu’on en tire :
On n’a peut-être pas assez remarqué combien est toujours dérisoirement petit le nombre de ces exemples tirés de l’histoire sur lesquels on assied une “loi” qui prétend valoir pour toute l’évolution, passée et future, de l’humanité. Celui-ci (Vico) proclame que l’histoire est une suite d’alternances entre une période de progrès et une période de régression ; il en donne deux exemples ; celui-ci (Saint-Simon) qu’elle est une succession d’oscillations entre une époque organique et une époque critique ; il en donne deux exemples ; un troisième (Marx) qu’elle est une suite de régimes économiques dont chacun élimine son prédécesseur par la violence ; il en donne un exemple !
Julien Benda, La Trahison des clercs [1927]. [3]
On remarque également que le principe général affirmé par Benda : « le nombre de ces exemples tirés de l’histoire sur lesquels on assied une “loi” qui prétend valoir pour toute l’évolution, passée et future, de l’humanité est toujours dérisoirement petit » est lui-même appuyé sur trois exemples.
Les quelques cas cités ne procèdent pas selon la logique de la généralisation inductive , mais selon celle de l’exemple rhétorique, ou, dans le meilleur des cas, de l’ecthèse. Il est très difficile de faire mieux.
Généralisation sur un trait générique,
Pour la technique essentialiste de la définition et de la classification des êtres, le trait générique est caractéristique du genre. Le trait générique est général, mais tous les traits généraux ne sont pas génériques.
La généralisation à partir d’un seul cas est fallacieuse si elle prend pour base un trait accidentel (périphérique). Elle est valide si elle ne retient que les traits génériques (essentiels), V. Ecthèse.
ECTHÈSE
L’ecthèse est un processus de démonstration s’appuyant sur un exemple générique. De même, l’analyse s’appuyant sur un exemple quelconque peut en proposer un modèle valide si elle s’appuie sur les seuls traits génériques de ce cas particulier. |
Un exemplaire ou un cas générique est un être ou un cas dans lequel se manifestent clairement toutes les propriétés du genre auquel il appartient ; il est un prototype du genre, il incarne le genre au plus près.
L’argumentation sur l’exemple générique s’appuie sur un tel exemplaire pour en tirer des conclusions sur tous les individus appartenant à ce même genre, et sur le genre lui-même.
L’exemple générique consiste en l’explication des raisons de la validité d’une assertion par la réalisation d’opérations ou de transformations sur un objet présent, non pour lui-même, mais en tant que représentant caractéristique d’une classe. (Balacheff 1999, p. 207)
Le procédé est également connu sous le nom d’ecthèse :
Technique de démonstration utilisée surtout en géométrie euclidienne : pour établir un théorème, vous raisonnez sur une figure singulière. Votre inférence est correcte si elle ne fait pas état des caractères propres à la figure tracée, mais uniquement de ceux qu’elle partage avec toutes les figures de son espèce. (Vax 1982, art. Ecthèse)
D’une façon générale, présenter plus ou moins implicitement un exemple comme générique permet de s’épargner le travail harassant et périlleux de vérification sur un grand nombre de cas. Mais un cas concret présente toujours des particularités sur lesquelles il est imprudent de fonder une généralisation.
La généralisation à partir d’un l’exemple est une extrapolation légitime s’il s’agit d’un exemple générique. La généralisation opérée à partir d’un seul trait est valide s’il s’agit d’un trait générique. Si on se pose la question du nombre des ailes des corbeaux, il suffit d’observer attentivement un individu corbeau, pris au hasard. En revanche, si on se pose la question du poids moyen d’un corbeau, la même procédure appliquée à partir d’un exemplaire quelconque est absurde :
Ce corbeau pris au hasard pèse 322 g.
Donc le poids moyen d’un corbeau est de 322 g.
Comme dans bien des cas on ne sait pas si le trait est essentiel ou accidentel, cette distinction est exploitée comme une ressource argumentative. Le proposant considère que la généralisation est valide, car elle se fait sur un trait caractérisant l’être en question de façon univoque. L’opposant rétorque que sa généralisation n’est pas valide, car elle repose non pas sur un trait essentiel, mais sur un trait accidentel.
Une argumentation développée à partir des données fournies par un seul squelette d’animal appartenant à une espèce disparue fournit une foule de connaissances certaines sur cette espèce. Mais ce squelette unique peut, en outre, présenter des traits individuels spécifiques, non généralisables.
Les conceptions des savants concernant les Néandertaliens ont connu plusieurs avatars. (Göran Burenhult, Vers Homo Sapiens, p. 67[1])
Il est évident depuis longtemps que l’apparence physique de l’homme de Néandertal – et surtout celui d’Europe – était très différente de la nôtre.
(Ibid., p. 66)
Malgré ces différences physiques, on a longtemps considéré les Néandertaliens comme des ancêtres directs de l’homme actuel. (Ibid., p.67)
Ce n’est qu’à la suite des travaux du paléontologue français Marcellin Boule que l’on a jugé ces différences trop importantes pour qu’il en soit ainsi. (Ibid., p.67)
Le Néandertalien de Marcellin Boule :
À partir de 1911, le paléoanthropologue Marcellin Boule publie une étude détaillée du squelette. Il en a bâti une image qui a conditionné la perception populaire de l’homme de Néandertal pendant plus de trente ans. Ses interprétations sont fortement influencées par les idées de son époque concernant cet hominidé disparu. Il le décrit comme une sorte d’homme des cavernes sauvage et brutal, se déplaçant en traînant les pieds et n’arrivant pas à marcher redressé.
Marcellin Boule décrit un Néandertalien doté d’un crâne aplati, la colonne vertébrale courbée (comme chez les gorilles), les membres inférieurs semi-fléchis et un gros orteil divergent. Cette description correspond bien avec les idées de l’époque sur l’évolution humaine. (Wikipédia, Marcellin Boule[2])
Marcellin Boule [avait], en 1913, exagéré ses différences avec nous, ne réalisant pas que le squelette qu’il étudiait – le “Vieil Homme” de la Chapelle aux Saints (Corrèze) – était déformé par l’arthrite, comme le démontrèrent W. Strauss et A. J. E. Cave en 1952. (Burenhult, ibid., p. 67)
Jean-Louis Heim décrit le sujet comme gravement handicapé, l’individu souffrait entre autres d’une déformation de la hanche gauche (épiphysiolyse, ou plutôt traumatisme), d’un écrasement du doigt du pied, d’une arthrite sévère dans les vertèbres cervicales, d’une côte brisée, du rétrécissement des canaux de conjugaison par où passent les nerfs rachidiens.
Wikipédia, Marcellin Boule, ibid.
Aujourd’hui on les considère plutôt comme des cousins que comme des ancêtres, bien qu’ils nous ressemblent beaucoup sous de nombreux aspects. (Burenhult, ibid.)
S’il veut reconstruire le système d’une langue, le linguiste doit s’assurer que le langage de son informateur correspond à la pratique standard dans sa communauté.
[1] Les premiers hommes, préface de Yves Coppens, Paris, Bordas, 1994.
[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/ Marcellin_Boule (20-09-2013)
[3] Paris, Grasset, 1975, p. 224-225 (italiques dans le texte).
Les genres rhétoriques classiques, le délibératif, le judiciaire, l’épidictique, ont tous trait à la vie civile. La rhétorique religieuse chrétienne a développé à travers un genre nouveau, la prédication, où la persuasion est mise au service de la foi religieuse.
Prédication est le nom d’action associé au verbe prêcher, et au substantif prêcheur ; il n’a pas été atteint par les orientations péjoratives parfois associées à ces deux mots dans l’usage contemporain. Il est homonyme du mot prédication utilisé en grammaire et en logique pour désigner l’opération par laquelle on associe un prédicat (un groupe verbal) à un sujet.
La prédication est un genre argumentatif qui entre pleinement dans la définition que Perelman et Olbrechts-Tyteca donnent de l’argumentation ; elle vise à « provoquer ou d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses qu’on propose à leur assentiment » ([1958], p. 5), les thèses sont ici des croyances qui sont articles de foi du point de vue du prédicateur. Si l’auditoire est composé de fidèles, par la prédication leur pasteur assure leur formation permanente et accroît l’adhésion de leur âme à la croyance qu’on leur prêche. Si l’auditoire est composé d’incroyants, par la prédication le missionnaire provoque l’adhésion de leur âme à ces mêmes croyances. Si l’auditoire est composé d’hérétiques en position de force, la rhétorique doit faire place à la dialectique, V. Foi.
Les contenus de foi catholique sont donnés par les Écritures saintes, commentées par les Autorités que sont les Pères de l’église. Ces contenus sont articulés et appliqués dans les sermons au moyen de diverses techniques de la parole, qui se sont affirmées dans une tension parfois polémique entre appel dialectique à la raison et enthousiasme rhétorique de la foi, V. Foi.
L’exemplum (plur. exempla) est un instrument de prédication particulièrement développé, par les ordres mendiants, Dominicains et Franciscains, à partir du début du XIIIe siècle. Structurellement, l’exemplum est une forme de récit, exploitant les ressources de la fable. Le genre est légitimé par l’exemple même du Christ qui a prêché par paraboles. Les exempla présentent des modèles d’action, à suivre ou à éviter.
L’exemplum est « un récit bref donné comme véridique et destiné à être inséré dans un discours (en général un sermon) pour convaincre un auditoire par une leçon salutaire » (Brémond et al. 1982, p. 37-38). Brémond distingue les exempla métaphoriques et métonymiques.
— Exemplum métaphorique : « le récit ne cite plus alors un échantillon de la règle, mais un fait qui lui ressemble » (id.) :
Le hérisson, dit-on, quand il entre dans un jardin, se charge de pommes qu’il fixe sur ses piquants. Mais quand le jardinier arrive, et qu’il veut fuir, sa charge l’en empêche, et c’est ainsi qu’il se fait prendre avec ses pommes. […] C’est ce qui arrive au malheureux pécheur qui se fait prendre à la mort avec la charge de ses péchés.
Humbert de Romans, Le don de crainte ou l’Abondance des exemples (rédigé à la fin du XIIIe Siècle.[1]
— Exemplum métonymique, où le fait est donné comme vraisemblable. Il y a alors une certaine identité de statut entre les héros de l’anecdote et les destinataires de l’exhortation. On présente aux riches la parabole du mauvais riche, aux logiciens un de leurs collègues tourmenté en enfer pour ses péchés, c’est-à-dire ses sophismes.
L’exemplum suivant traite du destin des âmes après la mort, et particulièrement du purgatoire. La leçon qu’il contient est une « dénonciation chrétienne de la vaine érudition païenne » (Boureau, voir infra, p. 94) , et un appel à la conversion des logiciens à une vie religieuse.
Troisièmement, pour notre édification, il peut être utile de nous faire savoir qu’une lourde peine est infligée aux pécheurs, au terme de leur vie. C’est ce qui se produisit à Paris, selon le Chantre parisien, [= Pierre le Chantre]. Maître Silo pria instamment un de ses collègues, fort malade, de venir lui rendre visite après sa mort et de lui faire part de son sort. L’homme lui apparut quelques jours après, avec un manteau de parchemin couvert d’inscriptions sophistiques et entièrement fourré de flammes. Le maître lui demanda qui il était ; il répondit : « je suis bien celui qui t’a promis sa visite. » Interrogé sur le sort qu’il subissait, il dit « Ce manteau me pèse et m’oppresse plus qu’une tour ; on me le fait porter pour la vaine gloire que j’ai retirée des sophismes ; les flammes dont il est fourré représentent les fourrures délicieuses et variées que je portais, et cette flamme me torture et me brûle. » Et comme le maître trouvait cette peine légère, le défunt lui dit de tendre la main pour éprouver la légèreté de la peine. Sur sa main tendue, l’homme fit tomber une goutte de sueur qui perça la main du maître aussi vite qu’une flèche. Le maître éprouva un tourment extraordinaire et l’homme lui dit : « il en va ainsi de tout mon être. » Effrayé de la dureté de ce châtiment, le maître décida de quitter le siècle et d’entrer en religion ; et le matin, devant ses étudiants rassemblés, il composa ces vers :
Aux grenouilles, j’abandonne le coassement
Aux corbeaux, le croassement
Aux vains la vanité ; j’attache mon sort
A une logique qui ne craigne pas le “donc” conclusif de la mort.
Et, quittant le siècle, il se réfugia dans la religion.
Jacques de Voragine, La légende dorée (rédigée vers 1260)[2]
La pratique de l’exemplum dépasse le domaine strictement religieux : « La dent d’or” de Fontenelle constitue un exemplum métonymique illustrant la démarche fallacieuse consistant à trouver la cause d’un fait qui n’existe pas, V. Causalité (II).
[1] Trad. du latin par Christine Boyer, postface de Jacques Berlioz, Lyon, PUL, 2003, p. 116.
[2] Texte présenté par Alain Boureau, dans J.-C. Schmitt éd., Prêcher d’exemples. Récits de prédicateurs au Moyen Âge, Paris, Stock, 1985, p. 7.