PERSUASION
La rhétorique est associée à l’entreprise de persuasion par le langage, produisant une croyance et une disposition à l’action. Cette définition courante ne doit pas faire oublier, d’une part, qu’à l’époque moderne la rhétorique n’a pas le monopole de l’étude de la persuasion, et que, définie comme un art de bien dire, elle a su renoncer à la persuasion, – parfois dénoncée comme une forme de colonisation des esprits. |
1. La persuasion, essence de la rhétorique
Depuis Isocrate et Aristote, la parole rhétorique argumentative est couramment définie par sa fonction, persuader :
Posons que le rhétorique est la capacité (dunamis) de discerner (theôrein) dans chaque cas ce qui est potentiellement persuasif. (Rhét., i, 2, 1355b26 ; trad. Chiron, p.124).
Cette définition est reprise par Crassus, mis en scène par Cicéron :
Crassus : Ainsi, j’ai appris que le premier devoir de l’orateur est de s’appliquer à persuader (De l’or. I, XXXI, 138 ; p. 51),
Perelman & Olbrechts– Tyteca mettent au centre de leur définition,
l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment (Traité, p. 5),
avant d’élaborer la notion d’adhésion au moyen de l’opposition entre persuader et convaincre, V. Argumentation 1 ; Assentiment.
Selon ces définitions de référence, la rhétorique s’intéresse fondamentalement au discours structuré par l’intention de persuader (illocutoire, s’exprimant ouvertement dans le discours), c’est–à–dire de communiquer, expliquer, légitimer et faire partager le point de vue qui s’y exprime et les mots qui le disent. La persuasion (perlocutoire) résulte de la réalisation de ces intentions.
Dans ses conditions de réalisation, la persuasion rhétorique ouverte s’oppose à la manipulation. Les thèses que défend l’argumentation sont présentées, et non imposées, à l’esprit des auditeurs, c’est-à-dire aux humains, en tant que dotés d’une capacité d’examen et d’un pouvoir de décision, et, il faut le préciser, vivant dans des conditions économiques et sociales qui leur permettent d’exercer pleinement ces capacités. Cette action sur les esprits est opposée à la manipulation des âmes et des corps – apparemment considérés comme les lieux de l’irrationnel : les âmes avec leurs capacités d’émotion et de sensibilité aux appels romantiques ou mystiques ; des corps qui peuvent marcher et vibrer à l’unisson sous l’influence d’une image ou d’un mantra musical.
La tradition rhétorique lie le discours de persuasion à la production d’une représentation probable–vraisemblable-plausible, que les philosophes essentialistes, comme Platon, opposent parfois au discours vrai. (vs vraisemblable).
2. Une rhétorique sans persuasion : l’ars bene dicendi
Le chapitre 15 du livre II de l’Institution oratoire de Quintilien met en question les définitions de la rhétorique fondées sur la persuasion :
La définition la plus commune de la rhétorique, c’est qu’elle est “le pouvoir de persuader” (I. O., ii, 15, 3 ; p. 76),
dont il attribue la paternité à Isocrate. Toutes les définitions qui lient la rhétorique à la persuasion sont rejetées :
— Soit comme pouvoir de persuader :
Mais, au vrai, la persuasion n’est–elle pas apportée aussi par l’argent, le crédit, l’autorité et le rang du sujet parlant, ou même, enfin, sans l’aide de la voix, par le seul aspect, lorsque, par exemple, le rappel des mérites de quelqu’un, ou un visage qui inspire la pitié, ou la beauté physique, dicte le verdict ? (Ibid., 6 ; p. 76–77)
— Soit comme ouvrière de persuasion, y compris avec la restriction « pouvoir de persuader par la parole » :
Car d’autres que les orateurs persuadent par leur parole et conduisent où ils veulent, les filles galantes, les adulateurs, les corrupteurs. (Ibid.)
Finalement, Quintilien reprend à son compte la définition de la rhétorique attribuée aux Stoïciens et à Chrysippe :
La définition qui conviendra parfaitement à la substance de la rhétorique, c’est “la science de bien dire” [rhetoricen esse bene dicendi scientiam]. » (Ibid.; p.84)
Sa finalité est de «penser et de parler comme il se doit. » (Ibid.)
Cette opposition entre rhétorique de la communication et de la persuasion et rhétorique introvertie du bien dire a été diversement nommée :
primaire / secondaire [primary / secondary rhetoric], Kennedy 1999)
extrinsèque / intrinsèque [extrinsischen / intrinsischen rhetoric], Kienpointner 2003).
On pourrait également opposer une rhétorique de l’interaction à une rhétorique de l’énonciation. La rhétorique de l’énonciation, introvertie, centrée sur le locuteur et son for intérieur, est orientée vers la justesse de la pensée et de l’expression. La rhétorique de l’interaction, extrovertie, est focalisée sur l’interlocuteur, elle est communicationnelle et parfois éloquente.
Cette distinction ne correspond pas à celle qu’on pratiquait, dans les années 1960, entre une rhétorique restreinte opposée à une rhétorique générale, et elle n’a rien à voir avec celle qui opposerait une rhétorique des arguments et une rhétorique des ornements, V. Figure.
La rhétorique énonciative est une rhétorique dont les dimensions communicationnelle et interactionnelle, donc persuasives, sont affaiblies, mais qui n’en reste pas moins une rhétorique argumentative. La Bruyère a exprimé le sentiment profond de cette rhétorique qui a renoncé à l’éloquence et à la persuasion :
Il faut chercher seulement à penser et à parler juste, sans vouloir amener les autres à notre goût et à nos sentiments ; c’est une trop grande entreprise.
Jean de La Bruyère, Des ouvrages de l’esprit [1688]. [1]
3. De la persuasion à l’action
Dans un complément indispensable à la définition de base de l’argumentation, mais souvent négligé, car il n’est sans doute pas facilement articulable à la notion d’auditoire universel, le Traité de l’argumentation prolonge jusqu’à l’action la réflexion sur la persuasion ; l’argumentation produirait une « disposition à l’action » :
Le but de toute argumentation, avons–nous dit, est de provoquer ou d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment : une argumentation efficace est celle qui réussit à accroître cette intensité d’adhésion de façon à déclencher chez les auditeurs l’action envisagée (action positive ou abstention), ou du moins à créer, chez eux, une disposition à l’action, qui se manifeste au moment opportun. (Perelman & Olbrechts–Tyteca [1958], p. 59)
Cette position réaffirmée un peu plus loin :
Seule l’argumentation, […] permet de comprendre nos décisions. […] Elle se propose de provoquer une action » (ibid., p.62).
Le point final du processus argumentatif n’est donc pas la persuasion vue comme un simple état mental, une “adhésion de l’esprit” ; l’ultime critère de la persuasion complète est l’action accomplie dans le sens suggéré par le discours, au terme d’un processus où les valeurs ont pris le relai de l’émotion. On espère trouver dans cette combinaison une réponse au problème philosophique de l’action.
4. Persuasion, identification, auto–persuasion ?
4.1 Identification en rhétorique
Burke a souligné que la persuasion rhétorique suppose une identification :
Quand vous êtes avec les Athéniens, il est facile de louer les Athéniens, mais pas quand vous êtes avec les Lacédémoniens : tel est peut–être le cas de persuasion le plus simple. Vous persuadez quelqu’un seulement dans la mesure où vous parlez son langage, par la parole, le geste, la tonalité, la disposition, l’image, l’attitude, l’idée, en identifiant vos façons de faire avec les siennes [identifying your ways with his]. (1950, p. 55)
Selon la doxa rhétorique, l’orateur qui veut persuader un auditoire doit fonder son discours sur des accords préalables avec lui, V. Conditions de discussion. Mais ces accords doivent rester implicites, toute négociation des accords ne pouvant se faire que par un dialogue argumentatif préalable au dialogue argumentatif principal, ce qui engage dans un paradoxe : pour parvenir à un accord, il faut déjà être d’accord. Sous peine de régression à l’infini, l’orateur doit se résoudre non pas à se mettre d’accord avec, mais à s’accorder à son auditoire. Pour cela, il s’informe sur cet auditoire dont il se fait une image ; c’est bien ce que prévoit la théorie des éthè des auditoires.
Le discours de l’orateur réfracte ce travail sur l’auditoire par trois moyens appelés “preuves”, chacun d’eux étant calculé en fonction de l’auditoire et correspondant à une forme d’accord implicite ou explicite, passé avec lui, V. Logos – Éthos – Pathos. D’une part, par des preuves éthotiques, il se présente et se construit discursivement en fonction de son auditoire ; ensuite, par des preuves logiques, il choisit et schématise ses objets et ses jugements en fonction de, ou parmi ceux que l’auditoire peut admettre (il argumente ex datis) ; enfin, par des preuves pathémiques, il se met en empathie avec son auditoire.
En conséquence, pour obtenir l’identification de son auditoire à sa propre personne, l’orateur doit d’abord s’identifier à cet auditoire. Au terme de ce processus d’adaptation, on peut se demander, en fin de compte, qui a absorbé qui, qui a persuadé qui ? La rhétorique de la persuasion, dite extrovertie, est menacée par le solipsisme de l’identification ; elle n’exprime qu’une introversion de groupe. L’étrange concept de « communion » proposé par le Traité caractérise bien l’aboutissement de ce processus d’empathie fusionnelle.
4.2NB : Identification dans la théorie de l’Argumentation dans la Langue
La notion d’identification est fondamentale dans la théorie de l’argumentation dans la langue (Anscombre & Ducrot, 1983). Le producteur de l’énoncé met en scène une gamme d’énonciateurs, sources des points de vue évoqués dans l’énoncé, puis il s’identifie à tel énonciateur et non pas à tel autre, cette identification étant marquée dans la structure grammaticale, V. Rôles. Mais ce concept d’identification est totalement étranger au concept psychologique d’identification discuté en liaison avec la question de la persuasion.
5. Qui étudie la persuasion ?
L’argumentation rhétorique ne peut pas être caractérisée par son objet qui serait le processus de persuasion, pour la simple raison que la persuasion est un objet revendiqué par bien d’autres disciplines : sciences et philosophie de la cognition, neuropsychologie, “programmation neurolinguistique”, “Public Relations”, etc.
L’ouvrage de Vance Packard, La persuasion cachée [Hidden persuaders], célèbre et évité dans les études d’argumentation, est paru en 1957, un an avant le Traité de l’argumentation. Il développe une critique mordante de l’approche de la décision comme dérivée de bonnes raisons exposées dans un discours persuasif : les gens énumèrent sans problème toutes les bonnes raisons qu’ils ont d’acheter tel type de produit, et, au bout du compte, ils en achètent un autre. Cette critique a été élaborée dès le début des années 1920 par Walter Lippman (1922), puis par Edward L. Bernays (1928), qui ont jeté les bases d’une recherche des motivations inconscientes des acheteurs et des électeurs, mais néanmoins déterminantes pour leurs choix, fondant ainsi le nouveau champ d’étude des “Relations Publiques” [Public Relations, PR).
Spin doctors
Le neuromarketing poursuit cette entreprise de dissolution du concept de persuasion par la recherche des méthodes capables d’orienter l’acheteur et de déclencher le réflexe d’achat. L’analyse de la persuasion est également un des objets de la psychologie sociale. Cette discipline compte parmi ses objets fondamentaux l’étude théorique et expérimentale des influences sociales : la persuasion, les convictions, la suggestion, l’emprise, l’incitation…, la formation et les manifestations des attitudes, des représentations, et les transformations des manières d’agir des individus ou des groupes. Le mouvement du monde, les événements matériels, parmi lesquels les découvertes scientifiques, les innovations techniques et les flux langagiers qui les accompagnent ou les constituent, produisent et rectifient les représentations, les pensées, les paroles et les actions des individus et des groupes.
Les grandes études classiques de psychologie sociale publiées au siècle dernier sur la persuasion ne mentionnent guère la rhétorique, ni d’ailleurs l’argumentation ; par exemple, on ne trouve ni le mot rhétorique ni le mot argumentation dans un recueil de textes sur la psychologie de la persuasion, intitulé La persuasion (Yzerbit et Corneille 1994). La problématique de la persuasion peut être légitimement invoquée à propos du discours, mais l’étude du processus de persuasion, y compris sous ses facettes langagières, ne peut en aucun cas être menée dans le seul cadre des études rhétoriques (Chabrol & Radu 2008).
Dans le monde contemporain, l’accent est mis sur l’influence et sur les influenceurs plus que sur la persuasion, ce qui peut s’interpréter comme une prédominance de la suggestion et de l’imitation, sinon de la manipulation, sur les processus persuasifs argmentatifs ouverts.
6. La persuasion, une fonction du langage
De même que la rhétorique ne peut pas se définir par la persuasion, elle ne peut pas se définir comme l’étude des genres langagiers persuasifs, dans la mesure où la fonction persuasive n’est pas liée à un genre, mais est coextensive à l’exercice du langage. La fonction persuasive est un aspect de ce que les différents modèles des fonctions du langage classent comme fonction d’action sur le destinataire (fonction d’appel, Bühler [1933], ou fonction conative, Jakobson [1963].
Si la persuasion est définie comme un changement des représentations et, par conséquent, du comportement de l’interlocuteur, alors tout énoncé informatif, comme “il est 8 h” est argumentatif. Si le destinataire doit prendre le train de 7h 55 et savoure un dernier café, pensant qu’il est huit heures moins le quart, alors l’information change radicalement sa vision de son avenir immédiat.
La logique naturelle s’intéresse à la façon dont les locuteurs schématisent et transmettent les aspects pour eux pertinents de la réalité ; à ce titre, c’est également une étude généralisée de la persuasion.
Benveniste oppose l’histoire (le récit) au discours, et fait de l’intention d’influencer une caractéristique de tout discours :
Nous avons, par contraste, situé d’avance le plan du discours. Il faut entendre “discours” dans sa plus large extension : toute énonciation supposant un locuteur et un auditeur, et chez le premier l’intention d’influencer l’autre en quelque manière. C’est d’abord la diversité des discours oraux de toute nature et de tout niveau […] Mais c’est aussi la masse des écrits qui reproduisent les discours oraux ou qui en empruntent le tour et les fins. (Benveniste [1959], p. 242 ; nous soulignons).
Nietzsche, dans ses leçons sur la rhétorique, généralise la force rhétorique pour en faire « l’essence du langage » :
La force [Kraft] qu’Aristote appelle rhétorique, qui est la force de démêler et de faire valoir, pour chaque chose, ce qui est efficace et fait de l’impression, cette force est en même temps l’essence du langage : celui–ci se rapporte aussi peu que la rhétorique au vrai, à l’essence des choses ; il ne veut pas instruire [belehren], mais transmettre à autrui [auf Andere übertragen] une émotion et une appréhension subjective. ([1971], p. 111)
Ces tendances à la généralisation de la persuasion à tout discours sont compatibles avec toutes les définitions classiques de la rhétorique comme technique capable de développer la capacité langagière des individus (Lausberg [1960], §1–11).
Persuasion et alignement
Dans cette perspective, se dégage une définition strictement langagière de la persuasion : tenter de persuader, c’est cadrer, c’est–à–dire tenter d’inscrire la réaction langagière de l’interlocuteur dans une suite conforme au schéma ébauché dans l’intervention du locuteur. Cette suite idéale a pour caractéristique majeure de respecter les présupposés, et sans doute bon nombre de sous–entendus et d’apporter de nouveaux développements sur le thème donné. Il s’ensuit qu’être persuadé, c’est s’aligner, ratifier le discours qui vous est adressé, respecter le cadrage imposé et produire des interventions argumentativement coorientées à celles de l’heureux persuadeur. On externalise ainsi la notion de persuasion, en d’autres termes, on en fait l’économie.
7. Persuasion et « colonisation des esprits »
Le mot persuasion a une orientation positive. Toute la réflexion sur la persuasion rhétorique est guidée par le présupposé que l’œuvre de persuasion est intrinsèquement bonne, même si les hommes et les femmes ont une tendance fâcheuse à faire un mauvais usage des meilleures choses. Le persuadeur est mis dans la position haute, de l“homme de bien”, porteur de l’intérêt général, aristocrate de la parole, alors que l’auditoire est dans la position basse, inconsistante, de ceux qui ne savent pas trop, qui sont incapables de mener à terme un raisonnement soutenu (voir la définition dite rhétorique de l’enthymème) ni de décider par eux–mêmes, qui risquent de se laisser manipuler, et qu’il faut donc guider, V. Orateur — Auditoire.
Dans les domaines religieux et politique , la persuasion est le nom décent du prêche et de la propagande ; convertisseurs et propagandistes se veulent également “hommes de bien” désireux de persuader. À l’époque même du Traité, Domenach attribue à la propagande la fonction de « créer, transformer ou confirmer des opinions » ([1950], p. 8), la fonction même que la Nouvelle rhétorique attribue à l’argumentation, V. Manipulation.
Persuader, c’est convertir ou « coloniser les esprits », selon l’expression de Margaret Mead (Dascal 2009), pour les sauver de quelque mal et les orienter vers quelque bien dont ils ne sont ni persuadés ni convaincus. Pas plus que de juges et de tribunaux, les dictatures et les intégrismes n’ont jamais manqué de persuadeurs. V. Dissensus.
On peut répondre à ce discours contre la persuasion qu’il y a plusieurs différences essentielles entre argumentation et propagande.
— D’une part, l’argumentation est une activité critique, qui suppose un dialogue entre partenaires en principe égaux ; encore faut–il que leurs droits politiques et humains et leur sécurité soient assurés et qu’ils disposent du temps nécessaire à la réflexion et à la discussion.
— L‘argumentation est par nature ouverte. L‘intention persuasive s’avoue comme telle, alors que l’influence exercée par la propagande est infraconsciente, et se dissimule pour paraître refléter la nature des choses. La propagande est diffuse et lancinante. Elle met en œuvre tous les moyens, y compris l’argumentation. Bien au–delà du langage, elle a recours à la suggestion, la théâtralisation, la ritualisation, et s’articule bien avec l’action violente, V. Probable §3.
8. Argumenter dans une structure d’échange
La théorie de la persuasion rhétorique est discutée dans le cadre d’une interaction orateur-aditoire sans structure d’échange, ce qui explique le rôle essentiellement passif attribué à l’auditoire.
L’argumentation dialectique : réduire la diversité des positions
La pragma–dialectique part non pas d’une opinion à transmettre, mais d’une différence d’opinion, qui accorde à chaque opinion une égale dignité de principe, le but final étant de réduire cette différence. Elle « prend pour objet la résolution des divergences d’opinions par le moyen du discours argumentatif » (van Eemeren & Grootendorst 1992, p. 18). Elle ouvre au maximum, dans sa règle 1 l’espace du débat et de la controverse :
Liberté – Les parties ne doivent pas faire obstacle à la libre expression des points de vue ou à leur mise en doute.
Eemeren, Grootendorst, Snoeck Henkemans 2002, p.182–183
Elle se propose de parvenir à un consensus rationnel, par élimination du doute ou du point de vue mis en doute. Cette résolution se fait par élimination de l’opinion qui n’a pas été défendue de façon concluante :
Clôture — si un point de vue n’a pas été défendu de façon concluante, celui qui l’a avancé doit le retirer. Si un point de vue a été défendu de façon concluante, l’autre partie doit retirer les doutes qu’il avait émis vis–à–vis de ce point de vue. (Ibid.)
Ces opérations doivent conduire à un consensus soit sur l’opinion, soit sur son retrait de l’interaction actuelle, sinon de l’esprit de l’autre, du moins de l’interaction actuelle. La persuasion pragma–dialectique valide l’opinion qui a soutenu l’épreuve du feu de la critique.
Approches interactionnelles : combiner les positions
Les approches interactionnelles de l’argumentation s’orientent vers une direction différente, celle de la coconstruction des positions, qui substitue l’effort de coopération à l’effort de persuasion, et renonce à l’idée que l’autre point de vue peut / doit être éliminé. La thèse que l’on propose à l’assentiment de l’interlocuteur peut sortir profondément transformée de la rencontre. Mieux que par élimination des différences, le consensus peut être obtenu par fusion des points de vue primitifs ou par coconstruction d’une nouvelle argumentation produisant un nouveau point de vue. En somme, les interactants se comportent comme des dialecticiens évolutionnistes hégéliens procédant par synthèse des positions en présence, et non pas comme des dialecticiens aristotéliciens, qui avancent par élimination du faux, V. Dialectique.
[1] Les Caractères ou les mœurs de ce siècle [1688]. In Œuvres complètes. Texte établi et annoté par J. Benda, Paris, Gallimard, 1951.