TERME – PROPOSITION – CARRÉ LOGIQUE –
INFÉRENCE IMMÉDIATE
Les propositions logiques analysées sont composées de termes. Elles ont la forme “S est P”, “Terme sujet — [est] — Terme Prédicat”. Elles expriment un jugement. Les relations de ces propositions sont représentées par le carré logique en fonction de la quantité de leur sujet (tous, aucun, certains S [est] / [n’est pas] P), et de leur qualité, négative ou positive.
1. Terme
Le langage logique utilise deux sortes de termes, les termes catégorématiques et les termes syncatégorématiques.
Termes catégorématiques
La proposition simple est une structure prédicative “Sujet – Prédicat” exprimant un jugement, “Paul court”. Ce jugement porte sur le sujet et s’exprime dans le prédicat.
Les termes catégorématiques fonctionnent comme noms d’individus (position sujet) ou noms de concepts (position prédicat).
La notion de terme catégorématique en logique correspond à celle de mot plein en grammaire (verbes, substantifs, adjectifs, adverbes).
Employé sans autre précision, le mot terme renvoie à un terme catégorématique.
Le langage logique utilise des symboles qui renvoient à des êtres (termes) ou à des jugements (propositions), ou à des particules réglant la combinaison des propositions, les connecteurs.
Les êtres et les propositions sont désignés par des lettres, majuscules ou minuscules. Les connecteurs sont notés par divers symboles définis en logique des propositions.
On pose que les lettres renvoient à un contenu non vide et stable, V. Présupposition.
L’emploi des lettres respecte le principe d’identité, considéré comme une loi de la pensée : “A = A ” ; toute chose est identique à elle-même ; toute chose est ce qu’elle est.
Si deux êtres sont identiques, ils sont indiscernables. Le principe d’indiscernabilité pose que si l’être désigné par la lettre A est identique à l’être désigné par la lettre B, alors tout ce qui est vrai de A est vrai de B. A et B partagent toutes leurs propriétés.
Il s’ensuit que si les êtres A et B sont indiscernables, leurs noms, “A” et “B” sont équivalents. Ils sont substituables l’un à l’autre dans tous les contextes, ils constituent des synonymes parfaits.
Dans un même raisonnement et dans un même langage, les êtres sont stables, leurs signifiants sont stables et non ambigus, et le lien des êtres à leurs signifiants respectifs est explicité dans une définition stable.
Contrairement au langage logique, les langues naturelles changent avec le temps et les usages. Les mots peuvent acquérir de nouvelles significations. Ils peuvent être polysémiques et homonymiques. Il n’y a pas de synonymes parfaits. Dans le même discours, ils peuvent passer d’une signification à une autre, etc.
Termes syncatégorématiques
Le sens des termes syncatégorématiques se limite à leur fonction. Cette notion logique correspond à celle de mots dits vides, dépourvus de contenu sémantique, comme les mots de liaison ou les particules discursives.
Ces termes syncatégorématiques sont notés par divers symboles.
— Les connecteurs logiques ‘&’ (et), ‘V’ (ou), ‘→’ (si… alors…), etc., sont définis en logique des propositions. Leur fonction est de construire des propositions complexes en combinant des propositions elles-mêmes simples ou complexes.
— La négation ‘¬’ (non, ne pas). Sa fonction est d’inverser la valeur de vérité d’une proposition.
— Les quantificateurs ‘∀’ (tous les), et ‘∃’ (il existe). Leur fonction est de noter l’extension du terme sujet.
2. Proposition
Les grammairiens et les logiciens définissent le concept de proposition dans le cadre de leurs objets d’étude et de leurs modèles théoriques respectifs. Dans ce qui suit, l’approche de la proposition grammaticale est inspirée du modèle actanciel de Tesnière (1959), et l’approche de la proposition logique est empruntée à la logique traditionnelle. Ces approches permettent de mettre en parallèle les structures grammaticales comme condition de l’expression et les exigences de la logique comme technique de pensée.
2.1 “Proposition” en grammaire
2.1.1 Proposition, phrase, énoncé, tour de parole
En grammaire, on reconnaît traditionnellement quatre types de phrase, la phrase assertive, interrogative, impérative et exclamative.
Chacune de ces phrases peut être affirmative ou négative. Une phrase est simple ou complexe selon qu’elle est composée d’une ou de plusieurs propositions. La phrase simple est définie comme un ensemble de termes sémantiquement cohérent, organisé autour d’un verbe conjugué et de ses compléments essentiels ou actants, sujet, complément direct, compléments indirects.
La phrase complexe est composée de plusieurs propositions par subordination ou coordination. Chacune de ces propositions correspond à l’intégration d’une phrase simple dans une structure complexe.
L’énoncé est une proposition assertée, autrement dit, produite par un locuteur dans un discours et dans des circonstances données. Il correspond à une occurrence d’une phrase, qui est un être linguistique abstrait. Il est oralisé selon une courbe intonative spécifique, précédée et suivie de pauses.
Dans une conversation, un tour de parole est une suite linguistique produite par un même participant.
2.1.2 Verbe, prédicat, actant
Dans un vocabulaire inspiré de la théorie des fonctions, on dit que la fonction ou prédicat correspond au verbe, centre organisateur de la phrase. Le prédicat peut avoir plusieurs arguments (au sens de place vide ou variable (V. Argument… Les mots), correspondant aux actants de la théorie grammaticale ; le sujet de la phrase est un actant parmi les autres.
D’une façon générale, les énoncés peuvent ainsi être schématisés selon la valence, le nombre de compléments demandé par leur pivot, le verbe. Les places vides d’un prédicat peuvent être notées par les lettres ‘x’, ‘y’, ‘z’… :
Dormir est un prédicat à 1 place (unaire), noté “– dort” ou “x dort”, “quelqu’un dort”.
Manger est un prédicat à 2 places (binaire), noté “– mange –”;
“x mange y”.
Donner est un prédicat à 3 places (trinaire), noté “– donne – à –” ; “x donne y à z”
Les places actancielles peuvent être occupées :
— Par des expressions indéfinies, quelque chose, quelqu’un, certains, tous, aucun…
Ces pronoms indéfinis correspondent à des quantificateurs avec ellipse du substantif support, qu’il est possible de récupérer en contexte : tous pensent = tous les x pensent.
— Par des expressions définies, termes ou syntagmes nominaux référentiels
Noms propres (“Pierre”), attachés de façon stable à des individus, Pierre mange.
Pronoms (“ceci”), Pierre a donné ceci à Paul. L’ancrage référentiel de pronoms comme “celui-ci”, “l’autre”, “le premier”, “le suivant” repose à la fois sur des manœuvres de désignation et sur des éléments de description définie récupérables dans le contexte.
Syntagmes référentiels : l’homme, l’homme assis, l’homme à la barbe blanche, l’homme qui fait semblant de regarder ailleurs.
Un même objet peut être rattaché à une infinité de prédicats. Le même objet peut satisfaire le prédicat “– est une voiture” ; “– est un moyen de transport” ; “– est un objet qu’on peut acheter” ; “– est un facteur de pollution” … Le discours peut en créer sans cesse de nouveaux, en fonction des intérêts des locuteurs, comme “–a circulé le 10 juin 1999” ; “– est disponible pour samedi prochain”.
Dans un prédicat à plusieurs places, une ou plusieurs de ces places peuvent être occupées par un syntagme référentiel désignant un individu particulier. Le schéma actantiel est alors dit partiellement saturé, ce qui produit un nouveau prédicat :
Prédicta à trois places : “– donne – à –”, “x donne y à z”,
Prédicat à deux places : “Paul donne – à –”, etc.
Prédicat à une place“ : Pierre donne — à Jean”, etc.
Cette notation simple explicite le squelette syntaxico-sémantique de la proposition et constitue la base d’une analyse sémantique plus détaillée de sa structure interne et de sa position dans le discours dans lequel elle s’intègre.
Les schémas argumentatifs sont couramment exprimés dans une telle notation semi-symbolique, par exemple l’argumentation par les contraires.
2.2 Proposition en logique
En logique classique, une proposition exprime un jugement, susceptible de prendre pour valeur de vérité le vrai (noté V) ou le faux (noté F) (ou est ici exclusif, voir Connecteur logique ; Vrai. Ce jugement est grammaticalement une assertion. Les interrogations, ordres, exclamations ne sont pas des propositions au sens logique du mot. Les actes de langage performatifs (je te promets de venir) ont la forme d’une assertion (je lui dis de venir), mais ne peuvent pas être dits vrais ou faux, seulement sincères ou insincères.
Un énoncé comme Pierre est ici est vrai ou faux selon la personne appelée Pierre et les circonstances de temps et de lieu, V. Subjectivité. Détaché de ses conditions d’énonciation, on en saisit seulement le sens ; il est en principe ramenable à une proposition vraie ou fausse si l’on explicite ses coordonnées de personne, d’espace et de temps dans un univers de discours donné.
Une proposition est dite inanalysée si on ne dispose d’aucune information sur sa structure interne. Une proposition inanalysée est notée A, B, C… Les connecteurs logiques et les lois de leurs combinatoires sont définis sur la base de propositions inanalysées. A, B, C… peuvent renvoyer à une proposition inanalysée simple, ou à une chaîne syntaxiquement bien formée de propositions simples.
Une proposition simple est dite analysée si on a des informations sur sa structure interne. Sa structure de base est formée d’un prédicat P, dit d’un sujet S, “s est P”.
Le sujet réfère spécifiquement (s’il s’agit d’une constante), ou généralement (s’il s’agit d’une variable) aux éléments de l’univers de référence.
Le prédicat dit quelque chose des êtres auxquels réfère le terme sujet.
La proposition logique affirme ou nie que le prédicat convienne au sujet. Elle est dite catégorique (sans condition ni alternative) ; elle ne comporte pas de modalité : peut-être, nécessairement…).
Une proposition est seulement une manière de dire le vrai ou le faux, abstraction faite de son sens et de ses conditions d’emploi.
En argumentation, pour noter actants et prédicats, on utilise souvent des lettres permettant de repérer aisément de quoi il s’agit, par exemple pour exprimer le topos des contraires :
arrêter le sport est facile, continuer le sport est difficile
A est F, C est D
A est F, non A est non F
3. Négation
3.2 Négation logique
On parle de la qualité d’une proposition pour renvoyer à ses deux dimensions, affirmative ou négative.
La négation d’une proposition logique est définie sur la base de deux principes fondamentaux, le principe de contradiction et le principe du tiers exclu. Ces principes sont considérés comme des lois de la pensée : leur vérité est dite apodictique, c’est-à-dire nécessaire, absolue et universelle.
Le principe de non-contradiction dit qu’on ne peut pas simultanément affirmer et nier la même proposition. Les deux propositions P et non P ne peuvent être simultanément vraies (V).
P |
non-P |
P & non-P |
|
V |
V |
F |
Non-contradiction : on ne peut pas simultanément
affirmer et nier la même proposition |
Le principe du tiers exclu (tertium non datur) dit que, pour toute proposition, soit elle est vraie, soit sa négation est vraie. Les deux propositions ne peuvent être simultanément fausses (F) :
P |
non-P |
P & non-P |
|
F |
F |
F |
Tiers exclu : Pour toute proposition, soit elle est vraie,
soit sa négation est vraie |
Pour définir la négation, à partir de ces principes, on considère d’abord P et nég P comme des propositions indépendantes du point de vue de leur valeur de vérité. On a 4 cas possibles, présentés dans les deux premières colonnes : P peut être vraie ou fausse ; nég P peut être vraie ou fausse. En combinant les deux, on obtient la définition de la négation logique :
P |
nég P |
nég P est la négation de P |
V |
V |
F (non contradiction : pas les deux) |
F |
V |
V |
V |
F |
V |
F |
F |
F (tiers exclu : au moins une) |
La langue ordinaire considère que la même affirmation peut être plus ou moins vraie, plus ou moins fausse ; aussi vraie que fausse. Autrement dit, le vrai et le faux sont les pôles d’un continuum, où chaque affirmation prend sa part de vrai et sa part de faux. C’est la situation qui prévaut en argumentation, où tout se passe comme si à chaque argument était attachée une part de vérité. Certains régimes de parole suspendent le vrai et le faux : l’humour, la littérature, etc., ce qui n’est jamais le cas en logique.
4. Quantité d’une proposition logique
La quantité de la proposition varie selon que le sujet réfère à un être, à certains êtres, à tous les êtres ou à aucun être de l’univers de référence. La quantité est exprimée par les quantificateurs, ‘∀’ (tous), et ‘∃’ (il existe). Les mots déterminants comme tous (tous les P, tout P, les P) ou certains (certains P, quelques P), les articles (le, les, un, portent des indications de quantité.
Selon leur quantité, les propositions sont dites universelles (tous les poètes, aucun poète) ou particulières (certains poètes). La proposition dite particulière ne réfère donc pas à un individu particulier. Sous sa forme traditionnelle, la logique ne traite pas de propositions prédiquant quelque chose d’un individu particulier, comme “Pierre” ou “ce poète”, V. Syllogisme.
En combinant quantité et qualité, on distingue quatre formes de propositions. Traditionnellement, les affirmatives sont désignées par les lettres A et I (deux premières voyelles du verbe latin AffIrmo “j’affirme”) et les négatives par les lettres E et O (nEgO, “ je nie”) :
A universelle affirmative tous les S sont P
E universelle négative aucun S n’est P
I particulière affirmative certains S sont P
O particulière négative certains S ne sont pas
5. Inférence immédiate
5.1 Inférence immédiate sur les termes quantifiés
Une inférence immédiate est une inférence qui porte sur le contenu quantifié d’une seule proposition :
Tous les A sont B, donc certains B sont A
L’inférence immédiate est une inférence effectuée à partir d’une seule prémisse ; les deux termes de la prémisse unique se retrouvent dans la conclusion (exemples supra). Dans le cas du syllogisme, l’inférence se fait à partir de deux prémisses et de trois termes, le moyen terme fonctionnant comme un “médiateur”, un intermédiaire, entre le grand terme et le petit terme ; il disparaît dans la conclusion.
Dans le cas de l’inférence immédiate, il n’y a pas “médiation” par un moyen terme, elle s’opère “im-médiatement”. Les deux termes de cette prémisse unique se retrouvent dans la conclusion, seule change la quantité de la proposition. On peut discuter du fait qu’il s’agit ou non d’un “vrai raisonnement”.
L’inférence immédiate est une inférence, ce n’est pas une reformulation, qui suppose l’identité de sens des deux énoncés :
Certains A sont B, donc certains B sont A (conversion, voir infra).
Tous les A sont B, donc certains B sont A (subalternation, voir infra).
Dans le premier cas, l’inférence immédiate correspond à une équivalence, mais pas dans le second (du fait que certains B sont A on ne peut pas déduire que tous les A sont B).
5.2 Inférence immédiate sur les contenus des mots pleins en langue naturelle
Dans le discours naturel, l’inférence immédiate peut porter sur les pronoms indéfinis quantifieurs (voir supra), ainsi que sur les contenus des mots pleins.
— Les inférences immédiates correspondent à des principes sémantiques liant les uns aux autres les pronoms indéfinis quantifieurs tous, chaque, certains, d’autres, aucun, plusieurs, etc.
— L’argumentation par la définition constitue une inférence sémantique immédiate, une inférence substantielle à partir de la signification d’un mot plein.
Les deux types d’inférences fonctionnent comme des réflexes sémantiques en combinaison avec des calculs fondés sur les lois du discours et le principe de coopération. Le maniement de ces inférences passe souvent inaperçu à cause de son évidence apparente, mais il n’est toutefois pas libre d’erreurs. Il doit être pleinement pris en compte comme un élément essentiel de la compétence argumentative.
6. Carré logique
Le carré logique exprime un ensemble d’inférences immédiates entre les propositions analysées de la forme sujet – prédicat en fonction de leur qualité, affirmative ou négative, et de la quantité de leur sujet (A, E, I, O, voir supra).
Ces quatre propositions sont liées par les relations suivantes.
— Contrariété, entre l’universelle affirmative A et l’universelle négative E. A et E ne sont pas simultanément vraies, mais peuvent être simultanément fausses. En termes d’inférence immédiate, de la vérité de l’une, on peut inférer immédiatement la fausseté de l’autre.
— Subcontrariété, entre la particulière affirmative I et la particulière négative O. Au moins l’une des deux propositions I et O est vraie ; elles peuvent être simultanément vraies et ne peuvent pas être simultanément fausses. En termes d’inférence immédiate, de la fausseté de l’une, on peut inférer immédiatement la vérité de l’autre.
— Contradiction, entre :
-
- L’universelle négative E et la particulière affirmative I.
- L’universelle affirmative A et la particulière négative O.
E et I ne peuvent pas être simultanément vraies ni simultanément fausses (l’une seulement d’entre elles est vraie). De même pour A et O. En termes d’inférence immédiate, de la vérité de l’une, on peut inférer immédiatement la fausseté de l’autre, et inversement.
— Subalternation entre :
-
- A et I, l’universelle affirmative et la particulière affirmative ;
- E et O, l’universelle négative et la particulière négative.
Si la superalterne est vraie, sa subalterne est vraie. Inférence immédiate :
Tout S est P, donc certains S sont P.
Si la subalterne est fausse, sa superalterne est fausse. Inférence immédiate :
Il est faux que certains S sont P, donc il est faux que tout S est P.
La subalterne peut être vraie et la superalterne fausse.
— Convertibilité entre les propositions E et I : la proposition de départ a les mêmes conditions de vérité que la proposition obtenue en permutant sujet et prédicat :
E : aucun S n’est P |
si et seulement si |
aucun P n’est S |
I : certains S sont P |
si et seulement si |
certains P sont S |