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Raisonnement à deux termes

RAISONNEMENT À DEUX TERMES

On regroupe sous cet intitulé le raisonnement transductif de Piaget et de Grize, et le raisonnement à deux termes de Gardet & Anawati.

1. Raisonnement transductif

La notion de raisonnement transductif a été élaborée par Piaget ([1924], p. 185) dans le cadre de l’analyse du développement de l’intelligence de l’enfant, où le raisonnement transductif est défini comme un mode de pensée prélogique et intuitif du jeune enfant. C’est un raisonnement qui passe directement d’un individu ou d’un fait particulier à un autre individu ou un autre fait particulier, sans l’intermédiaire d’une loi générale.
D’après Grize, « le jeune enfant qui dit “Ce n’est pas l’après-midi parce qu’il n’y a pas eu de sieste” s’appuie sur son expérience quotidienne qui fait de la sieste un ingrédient de l’après-midi », procède par transduction (1996, p. 107), c’est-à-dire sans intervention d’un principe général sous-jacent de la forme “qui dit après-midi dit sieste”, “nous sommes dans l’après-midi seulement s’il y a eu sieste”.
L’association transductive “sieste = après-midi” donne, par application du topos des contraires : “pas sieste = pas après-midi”. Dans le langage de la logique naturelle, le terme sieste est « un ingrédient » du faisceau lié au terme après-midi, En pratique, tout se passe comme si “ faire la sieste” était un trait essentiel définitoire de “après-midi”.
Grize observe que les adultes utilisent aussi ce type de raisonnement :

Lorsque nous disons que nous nous sommes arrêtés au feu parce qu’il était au rouge, […] notre pensée ne passe pas par l’intermédiaire d’une loi générale du genre : “tout feu de la circulation de couleur rouge implique arrêt.” (Ibid.)

Il n’y a peut-être là qu’un pur réflexe associatif, stimulus-réponse. Toutefois l’adulte n’applique pas la négation comme l’enfant : “ce n’est pas un feu rouge puisque je ne me suis pas arrêté”. On raconte cependant qu’un automobiliste profondément imprégné du respect dû au Code de la route refusait de croire qu’il avait été heurté de plein fouet par un autre véhicule parce que la rue où il circulait était en sens unique, soit :

je n’ai pas été heurté de plein fouet par un autre véhicule puisque la rue est en sens interdit

— Ce qui n’est pas une réaction insensée : un immeuble a pu s’effondrer, quelque chose a pu tomber de l’étage.

2. Raisonnement à deux termes

Dans un cadre très différent, Gardet et Anawati parlent d’un « raisonnement à deux termes » caractéristique « [d’] un rythme de pensée proprement sémitique que le génie de l’arabe a su utiliser avec un rare bonheur » (Gardet et Anawati [1967], p. 89), et qui semble être de même nature que le raisonnement transductif.

La logique “dialectique”, connaturelle au génie arabe, s’organise selon des modes de raisonnement à deux termes qui procèdent du singulier au singulier, par affirmation ou négation, sans moyen terme universel. Faut-il dire, comme on l’a fait parfois, que ce dernier, non explicitement saisi, n’en est pas moins explicite dans l’esprit qui raisonne ? Nous ne le croyons pas. Sans doute, on peut “traduire” en syllogisme à trois termes un raisonnement à deux termes […]. Mais dans le mécanisme logique de la pensée, c’est bien de la mise en regard, par opposition, similitude ou inclusion, des deux termes du raisonnement qui donne à la “preuve” valeur de conviction. Le moyen terme universel n’est point présent dans l’esprit, même sous mode implicite. Il ne s’agit pas d’établir une preuve discursive, mais de promouvoir une évidence de certitude. (Bouamrane, Gardet 1984, p. 75)

Dans cette tradition, le théologien et logicien al-Sumnânî a distingué différents procédés rationnels (types d’arguments), relevant du raisonnement à deux termes. Il s’agit :

de constatations, puis d’un mouvement de l’esprit qui opère soit par élimination, soit par analogie du semblable au contraire ou du semblable au semblable. Il s’agit toujours de passer du fait “présent”, du “témoin” (shâhid) [l’argument, CP], à l’absent, (gha’ib) [la conclusion, CP]. Aucune recherche abstractive d’un principe universel. (Gardet, Anawati [1948], p. 365-367).

En l’absence d’informations supplémentaires, on peut comprendre que le raisonnement est uniquement fondé sur la catégorisation, combinée à la négation : ceci est / n’est pas dans la même classe que cela.


 

Question rhétorique

QUESTION RHÉTORIQUE

L’interrogation dite rhétorique est une forme de monologisation de la question argumentative. Dans un cadre politique, elle renforce le consensus qu’elle présuppose, et lance un « défi » (Fontanier) aux éventuels opposants, à qui, par ailleurs, elle ne laisse pas la possibilité de se faire entendre.

Dans leurs fonctions habituelles, les questions sont posées principalement
— Pour rechercher des informations auprès de l’interlocuteur : Quelle heure est-il ?.
— Pour solliciter directement son action : Pourriez-vous me passer le sel ?
— Les questions d’examen vérifient que l’interlocuteur connaît la réponse : Quelle est la date de la chute du mur de Berlin ?
— L’enquêteur pose de telles questions : Avez-vous rencontré Untel le jour d’avant ? afin de recouper ses informations : il  connaît la réponse, feint de ne pas la connaître.

Une transposition monologale de la question argumentative

La question rhétorique est une fausse mise en question d’un consensus qu’on travaille à renforcer. C’est une des trois formes de transposition monologale de la question argumentative, l’interrogatio, V. Question argumentative, §5. Alors que la question posée sur le mode de la subjection ouvre une séquence argumentative substantielle justifiant sa réponse à la question argumentative ; par l’interrogation rhétorique, le locuteur prend possession de la question argumentative et la “désambiguïse”, au sens argumentatif du terme, en lui imposant une réponse présentée comme consensuelle.

Un défi aux opposants

Selon Fontanier [1], l’interrogation “figurée” (ou i. rhétorique) consiste à

Prendre le tour interrogatif non pas pour marquer un doute et provoquer une réponse mais pour indiquer, au contraire, la plus grande persuasion, et défier ceux à qui l’on parle de pouvoir nier ou même répondre.  (P. 368) [1]
Mais avec une singularité frappante, c’est qu’avec la négation elle affirme, et que sans négation, elle nie. (Id. P. 369)

La question rhétorique permet à l’orateur de faire coup double, face à un auditoire partagé entre, d’une part, ceux qui partagent cette “plus grande persuasion” de l’orateur et, d’autre part, des opposants, qu’il s’agit de museler.
Considérons un meeting politique de soutien au candidat X, en compétition électorale avec Y. L’orateur O parle sur la base d’un consensus : il soutient X, et postule que son public soutient X.

(i) O X est-il un meilleur candidat que Y ?
Réponse provoquée / attendue : Oui !  X est ovationné et Y hué.

Hors contexte, la question (i) admet les réponses oui/non. Ici, sur la base du consensus présupposé, cette réponse est Oui !
Formellement, la question semble mettre en débat ce consensus, “X est un meilleur candidat que Y”, en laissant ouverte la possibilité que Y soit un meilleur candidat que X. O feint de vouloir relancer un débat qui est clos pour l’assistance. La question rhétorique titille l’assistance.

(ii) O      — X n’est-il pas un meilleur candidat que Y ?
Réponse provoquée / attendue : Si !  X est ovationné et Y hué.

Hors contexte, la question de O admet les réponses oui! – si !/non. Du fait du consensus établi, cette réponse est Si !
Dans son emploi standard, l’interronégative “X n’est-il pas M” présuppose que “X est M”, alors que quelque élément du contexte pourrait laisser penser le contraire [2].
En fait, la structure de l’énoncé reproduit en miroir celle de l’assistance : consensus présupposé et possibilité d’opposant dans l’assistance.

Des questions “sur- chargées”

La question rhétorique est d’abord une question radicalement orientée par son contexte, mais elle peut en outre porter la même orientation dans son expression même. Elle peut cumuler différents modes et degrés de rhétoricité, selon le type de contrainte mis en œuvre pour influencer la réponse.

(iii) Un tel individu pourrait-il faire un meilleur président que notre candidat ?

L’orientation est donnée par le terme orienté individu. Elle peut être renforcée de toute une argumentation :

(iv) Alors maintenant, Y, ce candidat de dernière minute. Peut-on prendre au sérieux un candidat qui a l’air de ne pas trop savoir s’il est candidat ?

Le consensus affiché est contre Y. Face à un interlocuteur ou à un public qui ne partage pas les orientations du locuteur, la question rhétorique prend une allure de défi. Il serait tout de même embarrassant de répondre “Oui !” à la question, dans la mesure où il est facile d’interpréter ce oui à la lettre pour en faire une approbation donnée à “Je soutiens un candidat qui a l’air de ne pas savoir s’il est candidat”.

Il reste à l’opposant la ressource de la protestation explicite. Pour cela, il doit remonter la pente, c’est-à-dire réfuter le reproche d’indécision fait à Y, et, pour cela, exposer ses raisons positives de le soutenir. Il doit donc contredire l’orateur, c’est-à-dire, le cas échéant, briser l’atmosphère empathique créée par la préférence pour l’accord, et assumer la polémique, comme dans le cas de rejet du présupposé.
Dans une conversation, tout cela peut se faire dès le prochain tour de parole. Mais dans une interaction publique institutionnellement réglée, il doit attendre qu’on lui donne la parole, et justement, on ne la lui donne pas. La question rhétorique est une façon d’imposer le silence à l’interlocuteur rebelle, et d’inférer de ce silence que tout le monde partage l’orientation du locuteur.

Cette manœuvre rappelle celle qui est utilisée dans l’argument sur l’ignorance §1.1. Par ailleurs, la difficulté dans laquelle est mis l’opposant face à une question rhétorique est du même ordre que la difficulté de celui qui veut réfuter une métaphore, §4 ; mais les métaphores sont plus faciles à rejeter que les questions rhétoriques.


[1] Pierre Fontanier,
— (1977 [1827]), Traité général des figures du discours autres que les tropes.
— (1977 [1831]), Manuel classique pour l’étude des tropes ou Elémens de la science des mots.
Textes réunis dans Les Figures du discours. Introduction par G. Genette, Paris, Flammarion.


 

Question délibérative

QUESTION DÉLIBÉRATIVE

En linguistique, les questions délibératives sont définies comme des questions n’exprimant pas une demande d’information mais une demande de conseil. C’est une forme de dubitatio, V. Question argumentative, §2.2.3.

D’un point de vue pragmatique, ces questions semblent véhiculer un acte de délibération, c’est-à-dire l’expression d’une réflexion sur le bien-fondé d’une action. […] Certaines langues disposent d’une forme spécifique pour exprimer cet acte. C’est le cas du grec et de son subjonctif dit délibératif. (Faure 2012, p. 4)

L1 : — Que dois-je faire ?
L2 : — Partir ! / Pars ! (D’après id., p. 3)

Lorsqu’elle est posée à soi-même, la question délibérative introduit un débat intérieur destiné à produire une décision dans une situation ouverte par exemple (d’après Douglas 2013, p. 124-125) :

Dois-je aller au concert ? Comment vais-je m’habiller ?

Ces questions ont été étudiées en philosophie du langage par Wheatly (1955).

La question délibérative correspond à la figure de dubitatio ; la question argumentative qui l’oriente est formatée comme une question ouverte à laquelle le locuteur construit une réponse en temps réel, au théâtre sous la forme d’un monologue intérieur polyphonique à haute voix.

Rien n’empêche d’utiliser également l’expression “question délibérative” pour désigner une question argumentative délibérative débattue non plus sous la forme du monologue intérieur mais dans un dialogue impliquant plusieurs participants.


 

Question chargée

QUESTION CHARGÉE

Une question est dite chargée si elle contient plusieurs jugements, que le locuteur présente comme allant de soi. Cette opération qui peut être une manœuvre pour rendre leur contestation plus difficile.

Une fallacie dialectique

Le problème des questions chargées (questions pièges ou questions multiples) [1] est examiné par Aristote dans le cadre de l’échange dialectique, où le travail intellectuel est divisé entre un Répondant et un Questionneur. Dans ce cadre, une question est dite chargée si, en la posant, le questionneur « réunit plusieurs questions en une seule » (R. S., 167b35 ; p. 22).

Les questions chargées sont des questions contenant des implicites qu’elles tentent de faire ratifier subrepticement par l’interlocuteur  :

L1 : — Vous devriez vous interroger sur les raisons de l’échec de votre politique.
L2 : — Mais notre politique n’a pas échoué !

L2 rejette le présupposé de L1 votre politique a échoué”.

L’imposition d’un jugement présupposé est contraire au principe logique et dialectique qui veut qu’un énoncé exprime un seul jugement. Si un énoncé contient plusieurs jugements, notamment à titre de présupposés, il ne peut pas être accepté ou refusé tel quel, autrement dit, il est fallacieux,
Pour être évaluable, il doit être décomposé en une conjonction de propositions exprimant chacune un seul jugement, et chacun de ces jugements doit être examiné et ratifié ou rejeté séparément.
L1 ne pourrait donc poser à L2 la question “Pourquoi P ?” que si L1 et L2 sont d’accord sur l’existence  factuelle de P.
Dans une perspective perelmanienne, la question des présupposés devrait être réglée dans le cadre des accords préalables, V. Conditions de discussion.

Un jeu de langage ordinaire

Dans la langue ordinaire, tous les énoncés sont plus ou moins chargés, en premier lieu du fait de leur orientation. Il est toujours possible d’extraire des présupposés et, d’une façon générale, des sous-entendus, pour les reprocher à l’interlocuteur. Soit une discussion entre un particulier mécontent et son banquier habituel qui lui a proposé un crédit à un taux peu avantageux.

L11 : — Je suis allé à la banque dans la rue en face de chez moi, et ils m’ont immédiatement proposé un prêt à un taux inférieur à celui que vous-même m’aviez proposé.
L2 : — C’est parce qu’ils voulaient vous avoir comme client.
L12 : — Parce que vous, vous ne voulez pas me conserver comme client ?

L12 impute à L2, ou reconstruit à partir de son intervention, un sous-entendu que L2 refuse certainement mais qui lui montre néanmoins que sa justification est contestable.

La question des présupposés touche toute l’organisation de l’interaction

L1 effectue un virement d’argent liquide auprès de son banquier. La transaction en est au stade de préclôture. L1 demande :

L1 : — (Vous ne donnez) pas de reçu ?

La forme interro-négative active un présupposé situationnel, inscrit dans le script de la transaction “faire un dépôt d’argent liquide à sa banque”. Ici, le banquier n’a pas l’air de penser au reçu, et L1 s’en inquiète. Son intervention peut être décompressée en quatre énoncés :

Habituellement, quand on dépose de l’argent à la banque, on reçoit un reçu
Je vous ai fait un dépôt
Vous ne m’avez pas donné de reçu
Donnez-moi un reçu !

Cette question surchargée n’a évidemment rien de fallacieux.  Les énoncés informatifs sont également chargés de présupposés :

L1 : — Il est 8h  (introduit le thème de l’heure qu’il est)
L2 : — Pourquoi tu me dis ça?

L’énoncé informatif apparemment très élémentaire L1 présuppose néanmoins que l’information qu’il donne est pertinente pour l’interlocuteur, dans la situation présente. Il est au moins chargé de ce présupposé. On ne dit pas “il est 8h sans une telle intention, à moins d’être une horloge parlante.

Les questions et les affirmations du langage ordinaire sont chargées, et ce fait sémantique est une des conditions d’exercice du langage ordinaire, V. Orientation ; Biais.


[1] Lat. fallacia quæstionis multiplicis. Ang. loaded questions, many questions.


 

Question argumentative

QUESTION ARGUMENTATIVE

La théorie des questions argumentatives est le premier chapitre de la théorie de l’argumentation. La détermination de la question argumentative à laquelle on a affaire est la première étape de l’analyse de l’argumentation.

1. Le jeu “Question => RéponseS » en dialogue

La notion de question argumentative a son origine dans la notion de stase, développée par la rhétorique argumentative sur le cas de l’interaction judiciaire.

Une question argumentative est produite au point où des discours, écrits ou oraux, se développant sur un même thème, divergent du point de vue même des locuteurs, qui sortent du procès collaboratif de co-construction du discours et de l’action, V. Désaccord. Lorsqu’elle est ratifiée et thématisée, cette divergence produit une question, un problème, un point controversé.
En conséquence, l’argumentation est vue comme un mode de construction des réponses à une question recevant des réponses également sensées mais incompatibles et se trouvant ainsi à la source d’un conflit discursif.

Ce processus de mise en question (problématisation) d’un thème discursif est une condition nécessaire au déroulement d’une argumentation. Il définit un état d’argumentation avant les arguments (segments discursifs en support d’une conclusion).

L’existence d’une telle question est à l’origine des paradoxes de l’argumentation.

1.1 Proposer, s’opposer, douter : la question argumentative

L’exemple suivant, construit autour de la question récurrente “Faut-il légaliser la drogue ?” permet de montrer schématiquement comment, à partir de la question, se distribuent les rôles argumentatifs, sur les trois actes argumentatifs fondamentaux, proposer, s’opposer, douter et s’interroger, V. Rôles argumentatifs

— Proposer
En Syldavie, “le commerce, la possession et la consommation de la drogue sont interdits”. Cet énoncé correspond à l’état de la législation, et est en principe conforme à l’opinion dominante, à la “doxa”. Il existe un autre discours orienté vers une proposition opposée à cette prohibition :

P : — Légalisons la consommation de certains de ces produits, par exemple le haschich ! Qui n’a jamais fumé son petit joint? ça fait du bien, c’est thérapeutique !

Le locuteur P prend le rôle argumentatif de proposant. Le proposant a l’initiative ; dans les futurs débats où il devra supporter la charge de la preuve, on lui donnera d’abord la parole.
Sa proposition est nécessairement accompagnée d’une forme d’argumentation, ici une forme de minimisation et une recatégorisation (ironique ou provocatrice) du haschich comme un médicament.
Les locuteurs alignés sur cette proposition sont ses alliés dans ce rôle.

— S’opposer
Un autre discours rejette cette proposition :

O : — C’est absurde ! Qu’est-ce qui faut pas entendre maintenant !!

À ce stade l’opposant peut se contenter de mépriser la proposition. Le locuteur O prend le rôle argumentatif d’opposant, et trouve également des alliés dans ce rôle.

— Douter et (s’)interroger : la question argumentative
Certains locuteurs ne s’alignent pas sur l’un ou l’autre de ces discours ; ils se trouvent dans la position de tiers, transformant ainsi la confrontation en question argumentative

T : — On ne sait plus qu’en penser. Faut-il maintenir l’interdit sur tous ces produits ?

Schématiquement :

Proposition VS Opposition => Question argumentative (QA)

La représentation équivalente suivante permet de visualiser l’asymétrie des discours, le proposant supportant la charge de la preuve. Cette asymétrie peut s’inverser, si, sur un site argumentatif, la charge de la preuve est transférée à l’opposant.

Sur la genèse de la question :  désaccordstase.

1.2 Échanges en situation argumentative

Dans une situation argumentative stabilisée, les interventions des participants sont globalement co-orientées avec :
Les argumentations confirmatives apportant des arguments positifs en faveur de leur position.
Les argumentations réfutatives rejetant les arguments de la partie adverse,
V. Schéma de Toulmin.

Le proposant doit assumer la charge de la preuve, et pour cela renforcer ses arguments en faveur de la nouveauté qu’il préconise :

Question argumentative : — Faut-il légaliser l’usage du haschich ?
Réponse — Conclusion du proposant : — Oui! Légalisons le haschich !
Arguments du proposant : — Le haschich n’est pas plus dangereux que l’alcool ou les anxiolytiques ; or l’alcool n’est pas interdit, et les anxiolytiques font même l’objet de prescriptions médicales. La légalisation réduira les maffias et la clandestinité qui alimente les fantasmes autour de la drogue
Réfutation de l’opposant : Et il faudrait quand même que vous réalisiez que votre régime de pénalisation à tout va favorise en fait les développements du marché de la drogue.

— Quant à l’opposant, il doit montrer que le discours du proposant est intenable. D’une part, il réfute les arguments du proposant (il détruit le discours de proposition), d’autre part, il contre-argumente en faveur d’une autre position, par exemple, le status quo :

Question argumentative : — Faut-il légaliser l’usage du haschich ?
Réponse — Conclusion de l’opposant – Certainement pas ! Rejetons cette proposition inepte!
Réfutation de la proposition – Quant à l’alcool, il fait partie de notre culture, pas le haschish. Et si on légalise le haschich, il faudra vite tout légaliser  (V. Pente glissante). En Sidonie, ils ont essayé de légaliser la drogue, et l’expérience a échoué. Nous en avons assez de ces expérimentations sociales nuisibles à notre jeunesse.
Arguments de l’opposant en faveur du status quo :  Nos lois fonctionnent et permettent aux honnêtes gens de vivre en paix. La situation est sous contrôle. Moi, je pencherai pour une application sans faiblesse de la législation en cours, et, le cas échéant, pour son renforcement. Il n’y a pas de solution indolore.

On voit que la doxa, qui normalement “va sans dire” doit maintenant se justifier.

Le discours de l’opposant se schématise selon les mêmes principes que celui de l’opposant. Cependant le proposant présente une argumentation délibérative, projective ; l’argumentation de l’opposant est justificative en faveur du maintient de l’existant; mais elle peut aussi faire une proposition différente relevant du même domaine : l’urgence c’est de soigner les malades.

La question étant stabilisée, chacun des deux partenaires argumentent pro et contra (on admet que D2 plaide a minima pour le maintien d’une politique répressive

Cette présentation symétrique de D1 et D2 correspond à un moment d’équilibre (isosthénie) des deux discours en présence.
Cet équilibre est rompu lorsqu’on passe sur un site donné, où la charge de la preuve pèse sur l’un ou l’autre discours.

1.3 La conclusion comme réponse à la question argumentative

La syntagmatique d’un discours argumentatif monologal supportant une prise de position peut se représenter comme suit :

Une question argumentative matérialise un conflit discursit ratifié. L’argumentation est vue comme une manière de construire des réponses sensées, bien construites mais incompatibles à de telles questions.
— La question trouve sa réponse dans la conclusion de l’argumentation
— L’argumentation est un mode de construction d’une réponse à une question argumentative.

1.4 Question argumentative et question informative

Les questions argumentatives sont bien distinctes des questions informatives. Les réponses aux questions informatives sont couramment directes et satisfaisantes pour l’interlocuteur, dans la limite de ce que peut savoir le répondeur :

 S0       — Et dans quel hôtel êtes-vous ?
 S1       — Au Grand Beach Hôtel, comme d’habitude.
 S0_1   — Très bien ! Vous faites quelque chose ce soir ?

Les questions argumentatives utilisées comme telles n’admettent pas ce genre de réponse (sauf dans les sondages d’opinion) :

S0       — Est-ce que la lutte contre le terrorisme autorise les limitations de la liberté d’expression ?
 S1       — Oui.
S0_1   — Ah très bien. Question suivante.

1.5 Phénomènes caractéristiques du discours argumentatif

Contagion argumentative
Ce principe pose que, dans une situation argumentative, tous les actes sémiotiques produits par les participants sont interprétables en termes d’argumentation, c’est-à-dire sont 1) des soutiens de leurs positions respectives ; 2) des réfutations de celle à laquelle ils s’opposent ; ou 3) des concessions faites à l’autre partie.

Maximisation / minimisation argumentative
Les participants maximisent l’argumentativité de leur propre discours et minimisent l’argumentativité du discours de leurs opposants :Si c’est tout ce que vous avez à nous opposer / proposer, je pense que la discussion est close.”

Sorties de la situation argumentative
La question argumentative est par nature ouverte, dans la mesure où une certaine validité est reconnue aux interventions pour et contre qu’elle recouvre.
S’il est parfois possible de la clore, parce qu’une réponse s’impose à une autre, à d’autres moments, s’il subsiste un certain doute lié à la conclusion retenu et à la décision prise, elle peut être rouverte.
La réponse ne peut être totalement séparée de la question et du contre-discours qu’elle a produit. Imposer au jeu argumentatif une fin avec un perdant et un gagnant, délégitimer la survie du doute dans l’échange, c’est rendre l’argumentation non révisable, V. Règles.

La clôture dépend de la nature de la question, de la qualité des arguments et de l’existence d’une instance de décision, c’est-à-dire du cadre socio-institutionnel dans lequel la question est traitée. En fonction de ces paramètres il est parfois possible de clore la question, une réponse, définitive ou provisoire, s’imposant ou étant imposée aux participants
Le fait qu’une question soit tranchée sur un site institutionnel n’entraîne pas qu’elle le soit sur tous les autres sites où peuvent continuer à se rencontrer les participants.

Une réponse est plus ou moins stable ; elle n’est pas totalement détachable de la question et de l’ensemble des discours “pro-” et “contra-” qui l’ont engendrée. Le principe “fire and forget”, « tire et oublie” ne s’applique pas.

Question et positions sont des objets de discours 
Les positions exprimées dans la séquence d’ouverture et définissant la question peuvent être modifiées au cours de l’échange, et lors de la décision qui n’est que partiellement conditionnée par l’argumentation ui
La question argumentative et les réponses qui lui sont associées (positions argumentatives, conclusions) sont des objets de discours tout aussi malléables que les autres. La décision peut ne pas avoir grand’chose à voir avec l’une ou l’autre des positions initiales.

Effets de la double contrainte sur l’argumentation des parties
L’argumentation se construit sous une double contrainte, elle est orientée par une question, et elle est soumise à la pression d’un contre-discours. Des phénomènes macro discursifs caractérisent cette situation :
— Bipolarisation des discours : Les locuteurs intéressés sont attirés dans le champ de parole structuré par la question. Ils s’identifient aux argumentateurs en vedette, normalisent leur langage et l’alignent sur l’un ou l’autre des discours en présence ; symétriquement, ils excluent les tenants du discours opposé (nous vs eux).
— Répétition et figement : sémantisation argumentative des discours confrontés, production d’antinomies, tendance à la stéréotypisation, congélation des arguments en argumentaires ou scripts prêts à énoncer.
— Apparition de mécanismes de résistance à la réfutation : présentation des argumentations sous forme d’énoncés auto-argumentés, mimant l’analyticité, V. Auto-argumentation.

Question et pertinence
La question fonctionne comme principe de pertinence pour les contributions argumentatives :— Pertinence des arguments pour la conclusion.
— Pertinence de la conclusion comme réponse à la question.
— Pertinence de la question elle-même : la question peut être elle-même “mise en question”, et être contestée comme mal posée, biaisée, ou secondaire par rapport à des questions “plus profondes”.

Changements d’opinion comme changement de rôle
Au cours de l’échange, et non seulement à son terme, les participants peuvent réaliser un quatrième type d’acte, peut-être le plus complexe : changer d’avis et de langage, c’est-à-dire changer de rôle argumentatif.

2. Le jeu “Question => RéponseS” en monologue

L’approche précédente de l’argumentation est opératoire en monologue comme dans les interactions.

2.1 Monologue ne donnant pas la parole au contre-discours

L’argumentation peut être monologale monologique c’est-à-dire exclusivement orientée vers la construction d’une conclusion, sans référence aux objections qu’on pourrait lui adresser, c’est-àdire sans faire entendre la voix du “challenger” (V. Modèle de Toulmin). Une telle argumentation n’en est pas moins conditionnée par l’existence d’un contexte de discussion polyphonique. Il faut alors rechercher dans l’environnement de ce discours s’il existe des interventions répondant au même genre de question argumentative. Selon le “postulat structuraliste”, le plaidoyer en faveur de P est mieux compris si on le met en relation avec la question qui l’organise et les réponses qui sont apportées à cette question ailleurs et par d’autres.

2.2 Monologue argumentatif mettant en scène la question

Dans l’argumentation monologale dialogique le locuteur met en scène les discours développés autour de la même question, et les attribue à des figures reconstruites des participants réels ou potentiels à la même discussion, V. Réfutation; Destruction. En prenant seul en charge le jeu question-réponse, l’énonciateur transforme le dialogue en monologue.
Ce phagocytage de la parole des autres, opposants ou tiers, lui permet de s’avancer sous diverses figures, en redistribuant à sa guise les rôles argumentatifs de proposant, d’opposant, et de tiers. En conséquence, l’affirmation est introduite sous un voile de participation des opposants et des tiers.

Les différentes stratégies de monologisation de la question sont identifiées dans la rhétorique ancienne comme des figures de phrase, selon trois modalités :
— Le locuteur considère que la question a une réponse évidente, ne nécessitant pas d’argumentation
— Le locuteur apporte une réponse argumentée à la question.
— Le locuteur laisse apparaitre ses doutes et modalise sa réponse.

(1) Le locuteur considère que la question a une réponse évidente, ne nécessitant pas d’argumentation : Question rhétorique (interrogatio[1])

(2) Le locuteur apporte une réponse argumentée et catégorique à la question (subjectio [2])

La question est suivie de son traitement argumentatif qui aboutit à une seule réponse. Le discours tend vers la clarification et l’explication; le locuteur est le seul maître de l’espace argumentatif, les contre-discours possibles sont mentionnés et réfutés. C’est cette construction argumentative de la réponse qui fait la différence avec la question rhétorique.

Le locuteur prend la position de l’enquêteur ou du professeur qui pose la bonne question et la résout objectivement. L’interlocuteur est mis en position d’assumer la question directrice et le traitement proposé pour les réponses, qui sont avancées selon une logique de co-construction pédagogique.

Voici la situation, voici les données et voici la question. On peut penser à trois réponses différentes… La solution (a) est une variante de la solution (b), comme nous allons le montrer. Pour telle et telle bonne raison, la solution (c) doit être préférée à la solution (b). Donc, la bonne réponse est (c).

Les exposés scientifiques utilisent cette stratégie de présentation. Pendant la séance de discussion, les auditeurs sont invités à re-dialectiser le monologue, par exemple en exprimant différemment la solution proposée, en inversant l’évaluation de (c) par rapport à (b) ou en proposant une nouvelle solution (d).

(3) Le locuteur laisse apparaître ses doutes, modalise sa réponse et laisse ouverte la question (dubitatio) [3])

La question est présentée comme une question ouverte, à laquelle le locuteur tente d’apporter une réponse en temps réel. Le locuteur se donne la place du tiers, de l’ignorant qui doute et qui soumet la question à l’auditoire. Par une forme d’inversion des rôles, l’interlocuteur est placé dans la position haute de l’auxiliaire ou du conseiller (Lausberg [1960], § 766 sq.).

Ces trois formes de monologisation de la situation argumentative jouent sur la préférence pour l’accord. Le locuteur prévient la parole de l’interlocuteur pour la canaliser ou pour se l’approprier, via un repositionnement de la question.


[1] Lat. interrogatio, “interrogation rhétorique, interrogation” (Gaffiot, Interrogatio).

[2] Lat. subjectio, « action de mettre sous, devant » (Ibid., Subjectio)

[3 Lat. dubitatio, “examen dubitatif, hésitation”

Question

QUESTION

1. Question informative

Une question informative est un énoncé qui cherche à obtenir une information de l’interlocuteur au moyen des morphèmes et des transformations syntaxiques caractéristiques de la forme interrogative à l’écrit, ainsi que par une intonation spécifique à l’oral.

2. Question chargée

Une question biaisée (chargée, orientée) est une interrogation portant sur un énoncé complexe, contenant plusieurs affirmations implicites notamment à titre de présupposés.
La question chargée présuppose la vérité de ces affirmations, et tente de les imposer à l’interlocuteur.

3. Question argumentative

Une question peut être un sujet de discussion, un problème. Dans ce sens, la question n’a pas nécessairement une forme interrogative, et ne renvoie pas à une quête d’information stricto sensu.
La question argumentative matérialise la confrontation discursive autour de laquelle se configure une situation argumentative.

4. Question rhétorique

Au sens traditionnel du terme, la question rhétorique restructure une question problème comme une question n’admettant qu’une seule réponse, donnée pour évidente et posée comme un défi lancé aux opposants

5. Question topique

Le système des questions topiques est constitué par l’ensemble des questions correspondant aux axes ontologiques définissant un événement. Ce système permet de définir, de recueillir ou de produire et d’organiser l’information pertinente relative à un événement concret, en particulier dans la perspective de son traitement argumentatif, V. Invention.


 

Quasi-logique

Argumentation “QUASI-LOGIQUE”

La notion d’argumentation quasi-logique est proposée par Perelman & Olbrechts-Tyteca.
Elle correspond à la première des trois catégories de « schèmes de liaison » “liant” un argument à une conclusion ([1958], p. 257). On comprend les arguments quasi-logiques :

en les rapprochant de la pensée formelle, de nature logique ou mathématique. Mais un argument quasi-logique diffère d’une déduction formelle par le fait qu’il présuppose toujours une adhésion à des thèses de nature non formelle, qui, seules permettent l’application de l’argument. (Perelman 1977, p. 65)

Six schèmes “quasi-logiques” sont analysés, trois formes relevant de « la logique » et trois « des mathématiques » :

Nous analyserons, parmi les arguments quasi-logiques, en premier lieu ceux qui font appel à des structures logiques – contradiction, identité totale ou partielle, transitivité ; en second lieu, ceux qui font appel à des relations mathématiques – rapport de la partie au tout, du plus petit au plus grand, rapport de fréquence. Bien d’autres relations pourraient évidemment être examinées. (1976, p. 261)

Perelman & Olbrechts-Tyteca considèrent que les définitions, « quand elles ne font pas partie d’un système formel, et qu’elles prétendent néanmoins identifier le definiens avec le definiendum, seront considérées par nous comme de l’argumentation quasi-logique » ([1958], p. 283), dont elles constituent « le type même » (([1958], p. 288).
Toute la problématique du sens des mots et de leur définition est ainsi considérée comme relevant d’une quasi-logique.

Les arguments quasi-logiques ont une caractéristique commune :

[Ils] prétendent à une certaine force de conviction, dans la mesure ils se présentent comme comparables à des raisonnements formels, logiques ou mathématiques. Pourtant, celui qui les soumet à l’analyse perçoit aussitôt les différences entre ces argumentations et les démonstrations formelles, car seul un effort de réduction ou de précision, de nature non-formelle, permet de donner à ces arguments une apparence démonstrative ; c’est la raison pour laquelle nous les qualifions de quasi-logiques. ([1958], p. 259).

Selon la définition traditionnelle, une fallacie est une argumentation qui ressemble à une argumentation valide mais qui ne l’est pas. De même, dans le Traité, les arguments quasi-logiques « se présentent comme comparables » aux raisonnements formels, mais ne le sont pas ; V. Fallacies; Logique; Typologies contemporaines.
La théorie logique des fallacies en conclurait que ces arguments sont pour cette raison fallacieux. La Nouvelle rhétorique échappe à cette conclusion, dans la mesure où elle conditionne la validité de l’argument à l’acceptabilité par l’auditoire universel.

Quasi-logique et mécanismes langagiers

L’étiquette quasi-logique est symptomatique de l’attitude des auteurs du Traité vis-à-vis de “la logique” que d’une part ils rejettent, mais par rapport à laquelle ils définissent l’argumentation en général, et ce type d’argument en particulier. Cette catégorie inclut toutes les stratégies argumentatives mettant en jeu des phénomènes langagiers comme la négation, la gradation, les transformations d’énoncés, les stéréotypes définitionnels, etc. : ce sont les mécanismes langagiers qui sont considérés comme une quasi-logique.

V. Définition ; Catégorisation ; A pari ; Réciprocité ; Relations ; Composition et division ; Proportion ; etc.

Proposition – Carré logique – Inférence immédiate

TERME – PROPOSITION – CARRÉ LOGIQUE –
INFÉRENCE IMMÉDIATE

Les propositions logiques analysées sont composées de termes. Elles ont la forme “S est P”, “Terme sujet — [est] — Terme Prédicat”. Elles expriment un jugement. Les relations de ces propositions sont représentées par le carré logique en fonction de la quantité de leur sujet (tous, aucun, certains S [est] / [n’est pas] P), et de leur qualité, négative ou positive.

1. Terme

Le langage logique utilise deux sortes de termes, les termes catégorématiques et les termes syncatégorématiques.

Termes catégorématiques

La proposition simple est une structure prédicative “Sujet – Prédicat” exprimant un jugement, “Paul court”. Ce jugement porte sur le sujet et s’exprime dans le prédicat.

Les termes catégorématiques fonctionnent comme noms d’individus (position sujet) ou noms de concepts (position prédicat).
La notion de terme catégorématique en logique correspond à celle de mot plein en grammaire (verbes, substantifs, adjectifs, adverbes).
Employé sans autre précision, le mot terme renvoie à un terme catégorématique.

Le langage logique utilise des symboles qui renvoient à des êtres (termes) ou à des jugements (propositions), ou à des particules réglant la combinaison des propositions, les connecteurs.
Les êtres et les propositions sont désignés par des lettres, majuscules ou minuscules. Les connecteurs sont notés par divers symboles définis en logique des propositions.

On pose que les lettres renvoient à un contenu non vide et stable, V. Présupposition.

L’emploi des lettres respecte le principe d’identité, considéré comme une loi de la pensée : “A = A ” ; toute chose est identique à elle-même ; toute chose est ce qu’elle est.
Si deux êtres sont identiques, ils sont indiscernables. Le principe d’indiscernabilité pose que si l’être désigné par la lettre A est identique à l’être désigné par la lettre B, alors tout ce qui est vrai de A est vrai de B. A et B partagent toutes leurs propriétés.
Il s’ensuit que si les êtres A et B sont indiscernables, leurs noms, “A” et “B” sont équivalents. Ils sont substituables l’un à l’autre dans tous les contextes, ils constituent des synonymes parfaits.

Dans un même raisonnement et dans un même langage, les êtres sont stables, leurs signifiants sont stables et non ambigus, et le lien des êtres à leurs signifiants respectifs est explicité dans une définition stable.
Contrairement au langage logique, les langues naturelles changent avec le temps et les usages. Les mots peuvent acquérir de nouvelles significations. Ils peuvent être polysémiques et homonymiques. Il n’y a pas de synonymes parfaits. Dans le même discours, ils peuvent passer d’une signification à une autre, etc.

Termes syncatégorématiques
Le sens des termes syncatégorématiques se limite à leur fonction. Cette notion logique correspond à celle de mots dits vides, dépourvus de contenu sémantique, comme les mots de liaison ou les particules discursives.
Ces termes syncatégorématiques sont notés par divers symboles.

— Les connecteurs logiques&’ (et), ‘V’ (ou), ‘’ (si… alors…), etc., sont définis en logique des propositions. Leur fonction est de construire des propositions complexes en combinant des propositions elles-mêmes simples ou complexes.
— La négation¬’ (non, ne pas). Sa fonction est d’inverser la valeur de vérité d’une proposition.
— Les quantificateurs ‘∀’ (tous les), et ‘’ (il existe). Leur fonction est de noter l’extension du terme sujet.

2. Proposition

Les grammairiens et les logiciens définissent le concept de proposition dans le cadre de leurs objets d’étude et de leurs modèles théoriques respectifs. Dans ce qui suit, l’approche de la proposition grammaticale est inspirée du modèle actanciel de Tesnière (1959), et l’approche de la proposition logique est empruntée à la logique traditionnelle. Ces approches permettent de mettre en parallèle les structures grammaticales comme condition de l’expression et les exigences de la logique comme technique de pensée.

2.1 “Proposition” en grammaire

2.1.1 Proposition, phrase, énoncé, tour de parole

En grammaire, on reconnaît traditionnellement quatre types de phrase, la phrase assertive, interrogative, impérative et exclamative.
Chacune de ces phrases peut être affirmative ou négative. Une phrase est simple ou complexe selon qu’elle est composée d’une ou de plusieurs propositions. La phrase simple est définie comme un ensemble de termes sémantiquement cohérent, organisé autour d’un verbe conjugué et de ses compléments essentiels ou actants, sujet, complément direct, compléments indirects.
La phrase complexe est composée de plusieurs propositions par subordination ou coordination. Chacune de ces propositions correspond à l’intégration d’une phrase simple dans une structure complexe.
L’énoncé est une proposition assertée, autrement dit, produite par un locuteur dans un discours et dans des circonstances données. Il correspond à une occurrence d’une phrase, qui est un être linguistique abstrait. Il est oralisé selon une courbe intonative spécifique, précédée et suivie de pauses.
Dans une conversation, un tour de parole est une suite linguistique produite par un même participant.

2.1.2 Verbe, prédicat, actant

Dans un vocabulaire inspiré de la théorie des fonctions, on dit que la fonction ou prédicat correspond au verbe, centre organisateur de la phrase. Le prédicat peut avoir plusieurs arguments (au sens de place vide ou variable (V. Argument… Les mots), correspondant aux actants de la théorie grammaticale ; le sujet de la phrase est un actant parmi les autres.

D’une façon générale, les énoncés peuvent ainsi être schématisés selon la valence, le nombre de compléments demandé par leur pivot, le verbe. Les places vides d’un prédicat peuvent être notées par les lettres ‘x’, ‘y’, ‘z’… :

Dormir est un prédicat à 1 place (unaire), noté “– dort” ou “x dort”, “quelqu’un dort”.
Manger est un prédicat à 2 places (binaire), noté “– mange –”;
“x mange y”.
Donner est un prédicat à 3 places (trinaire), noté “– donneà –” ; “x donne y à z”

Les places actancielles peuvent être occupées :

— Par des expressions indéfinies, quelque chose, quelqu’un, certains, tous, aucun
Ces pronoms indéfinis correspondent à des quantificateurs avec ellipse du substantif support, qu’il est possible de récupérer en contexte : tous pensent = tous les x pensent.

— Par des expressions définies, termes ou syntagmes nominaux référentiels

Noms propres (“Pierre”), attachés de façon stable à des individus, Pierre mange.
Pronoms (“ceci”), Pierre a donné ceci à Paul. L’ancrage référentiel de pronoms comme “celui-ci”, “l’autre”, “le premier”, “le suivant” repose à la fois sur des manœuvres de désignation et sur des éléments de description définie récupérables dans le contexte.
Syntagmes référentiels : l’homme, l’homme assis, l’homme à la barbe blanche, l’homme qui fait semblant de regarder ailleurs.

Un même objet peut être rattaché à une infinité de prédicats. Le même objet peut satisfaire le prédicat “– est une voiture” ; “– est un moyen de transport” ; “– est un objet qu’on peut acheter” ; “– est un facteur de pollution” … Le discours peut en créer sans cesse de nouveaux, en fonction des intérêts des locuteurs, comme “–a circulé le 10 juin 1999” ; “– est disponible pour samedi prochain”.
Dans un prédicat à plusieurs places, une ou plusieurs de ces places peuvent être occupées par un syntagme référentiel désignant un individu particulier. Le schéma actantiel est alors dit partiellement saturé, ce qui produit un nouveau prédicat :

Prédicta à trois places : “– donne – à –”, “x donne y à z”,
Prédicat à deux places : “Paul donne – à –”, etc.
Prédicat à une  place“ : Pierre donneà Jean”, etc.

Cette notation simple explicite le squelette syntaxico-sémantique de la proposition et constitue la base d’une analyse sémantique plus détaillée de sa structure interne et de sa position dans le discours dans lequel elle s’intègre.

Les schémas argumentatifs sont couramment exprimés dans une telle notation semi-symbolique, par exemple l’argumentation par les contraires.

2.2 Proposition en logique

En logique classique, une proposition exprime un jugement, susceptible de prendre pour valeur de vérité le vrai (noté V) ou le faux (noté F) (ou est ici exclusif, voir Connecteur logique ; Vrai. Ce jugement est grammaticalement une assertion. Les interrogations, ordres, exclamations ne sont pas des propositions au sens logique du mot. Les actes de langage performatifs (je te promets de venir) ont la forme d’une assertion (je lui dis de venir), mais ne peuvent pas être dits vrais ou faux, seulement sincères ou insincères.
Un énoncé comme Pierre est ici est vrai ou faux selon la personne appelée Pierre et les circonstances de temps et de lieu, V. Subjectivité. Détaché de ses conditions d’énonciation, on en saisit seulement le sens ; il est en principe ramenable à une proposition vraie ou fausse si l’on explicite ses coordonnées de personne, d’espace et de temps dans un univers de discours donné.

Une proposition est dite inanalysée si on ne dispose d’aucune information sur sa structure interne. Une proposition inanalysée est notée A, B, C… Les connecteurs logiques et les lois de leurs combinatoires sont définis sur la base de propositions inanalysées. A, B, C… peuvent renvoyer à une proposition inanalysée simple, ou à une chaîne syntaxiquement bien formée de propositions simples.
Une proposition simple est dite analysée si on a des informations sur sa structure interne. Sa structure de base est formée d’un prédicat P, dit d’un sujet S, s est P”.

Le sujet réfère spécifiquement (s’il s’agit d’une constante), ou généralement (s’il s’agit d’une variable) aux éléments de l’univers de référence.
Le prédicat dit quelque chose des êtres auxquels réfère le terme sujet.
La proposition logique affirme ou nie que le prédicat convienne au sujet. Elle est dite catégorique (sans condition ni alternative) ; elle ne comporte pas de modalité : peut-être, nécessairement…).

Une proposition est seulement une manière de dire le vrai ou le faux, abstraction faite de son sens et de ses conditions d’emploi.

En argumentation, pour noter actants et prédicats, on utilise souvent des lettres permettant de repérer aisément de quoi il s’agit, par exemple pour exprimer le topos des contraires :

arrêter le sport est facile, continuer le sport est difficile
A est F, C est D
A est F, non A est non F

3. Négation

3.1 Négation grammaticale, V. Négation – Dénégation

3.2 Négation logique

On parle de la qualité d’une proposition pour renvoyer à ses deux dimensions, affirmative ou négative.
La négation d’une proposition logique est définie sur la base de deux principes fondamentaux, le principe de contradiction et le principe du tiers exclu. Ces principes sont considérés comme des lois de la pensée : leur vérité est dite apodictique, c’est-à-dire nécessaire, absolue et universelle.

Le principe de non-contradiction dit qu’on ne peut pas simultanément affirmer et nier la même proposition. Les deux propositions P et non P ne peuvent être simultanément vraies (V).

P non-P P & non-P  
V V F Non-contradiction : on ne peut pas simultanément
affirmer et nier la même proposition

Le principe du tiers exclu (tertium non datur) dit que, pour toute proposition, soit elle est vraie, soit sa négation est vraie. Les deux propositions ne peuvent être simultanément fausses (F) :

P non-P P & non-P  
F F F Tiers exclu : Pour toute proposition, soit elle est vraie,
soit sa négation est vraie

Pour définir la négation, à partir de ces principes, on considère d’abord P et nég P comme des propositions indépendantes du point de vue de leur valeur de vérité. On a 4 cas possibles, présentés dans les deux premières colonnes : P peut être vraie ou fausse ; nég P peut être vraie ou fausse. En combinant les deux, on obtient la définition de la négation logique :

P nég P nég P est la négation de P
V V F (non contradiction : pas les deux)
F V V
V F V
F F F (tiers exclu : au moins une)

La langue ordinaire considère que la même affirmation peut être plus ou moins vraie, plus ou moins fausse ; aussi vraie que fausse. Autrement dit, le vrai et le faux sont les pôles d’un continuum, où chaque affirmation prend sa part de vrai et sa part de faux. C’est la situation qui prévaut en argumentation, où tout se passe comme si à chaque argument était attachée une part de vérité. Certains régimes de parole suspendent le vrai et le faux : l’humour, la littérature, etc., ce qui n’est jamais le cas en logique.

4. Quantité d’une proposition logique

La quantité de la proposition varie selon que le sujet réfère à un être, à certains êtres, à tous les êtres ou à aucun être de l’univers de référence. La quantité est exprimée par les quantificateurs, ‘’ (tous), et ‘’ (il existe). Les mots déterminants comme tous (tous les P, tout P, les P) ou certains (certains P, quelques P), les articles (le, les, un, portent des indications de quantité.

Selon leur quantité, les propositions sont dites universelles (tous les poètes, aucun poète) ou particulières (certains poètes). La proposition dite particulière ne réfère donc pas à un individu particulier. Sous sa forme traditionnelle, la logique ne traite pas de propositions prédiquant quelque chose d’un individu particulier, comme “Pierre” ou “ce poète”, V. Syllogisme.

En combinant quantité et qualité, on distingue quatre formes de propositions. Traditionnellement, les affirmatives sont désignées par les lettres A et I (deux premières voyelles du verbe latin AffIrmo “j’affirme”) et les négatives par les lettres E et O (nEgO, “ je nie”) :

A       universelle affirmative            tous les S sont P
E       universelle négative                 aucun S n’est P
I        particulière affirmative            certains S sont P
O      particulière négative               certains S ne sont pas 

5. Inférence immédiate

5.1 Inférence immédiate sur les termes quantifiés

Une inférence immédiate est une inférence qui porte sur le contenu quantifié d’une seule proposition :

Tous les A sont B, donc certains B sont A

L’inférence immédiate est une inférence effectuée à partir d’une seule prémisse ; les deux termes de la prémisse unique se retrouvent dans la conclusion (exemples supra). Dans le cas du syllogisme, l’inférence se fait à partir de deux prémisses et de trois termes, le moyen terme fonctionnant comme un “médiateur”, un intermédiaire, entre le grand terme et le petit terme ; il disparaît dans la conclusion.

Dans le cas de l’inférence immédiate, il n’y a pas “médiation” par un moyen terme, elle s’opère “im-médiatement”. Les deux termes de cette prémisse unique se retrouvent dans la conclusion, seule change la quantité de la proposition. On peut discuter du fait qu’il s’agit ou non d’un “vrai raisonnement”.

L’inférence immédiate est une inférence, ce n’est pas une reformulation, qui suppose l’identité de sens des deux énoncés :

Certains A sont B, donc certains B sont A (conversion, voir infra).
Tous les A sont B, donc certains B sont A (subalternation, voir infra).

Dans le premier cas, l’inférence immédiate correspond à une équivalence, mais pas dans le second (du fait que certains B sont A on ne peut pas déduire que tous les A sont B).

5.2 Inférence immédiate sur les contenus des mots pleins en langue naturelle

Dans le discours naturel, l’inférence immédiate peut porter sur les pronoms indéfinis quantifieurs (voir supra), ainsi que sur les contenus des mots pleins.

— Les inférences immédiates correspondent à des principes sémantiques liant les uns aux autres les pronoms indéfinis quantifieurs tous, chaque, certains, d’autres, aucun, plusieurs, etc.

— L’argumentation par la définition constitue une inférence sémantique immédiate, une inférence substantielle à partir de la signification d’un mot plein.

Les deux types d’inférences fonctionnent comme des réflexes sémantiques en combinaison avec des calculs fondés sur les lois du discours et le principe de coopération. Le maniement de ces inférences passe souvent inaperçu à cause de son évidence apparente, mais il n’est toutefois pas libre d’erreurs. Il doit être pleinement pris en compte comme un élément essentiel de la compétence argumentative.

6. Carré logique

Le carré logique exprime un ensemble d’inférences immédiates entre les propositions analysées de la forme sujet – prédicat en fonction de leur qualité, affirmative ou négative, et de la quantité de leur sujet (A, E, I, O, voir supra).

 

Ces quatre propositions sont liées par les relations suivantes.

Contrariété, entre l’universelle affirmative A et l’universelle négative E. A et E ne sont pas simultanément vraies, mais peuvent être simultanément fausses. En termes d’inférence immédiate, de la vérité de l’une, on peut inférer immédiatement la fausseté de l’autre.

Subcontrariété, entre la particulière affirmative I et la particulière négative O. Au moins l’une des deux propositions I et O est vraie ; elles peuvent être simultanément vraies et ne peuvent pas être simultanément fausses. En termes d’inférence immédiate, de la fausseté de l’une, on peut inférer immédiatement la vérité de l’autre.

Contradiction, entre :

    • L’universelle négative E et la particulière affirmative I.
    • L’universelle affirmative A et la particulière négative O.

E et I ne peuvent pas être simultanément vraies ni simultanément fausses (l’une seulement d’entre elles est vraie). De même pour A et O. En termes d’inférence immédiate, de la vérité de l’une, on peut inférer immédiatement la fausseté de l’autre, et inversement.

— Subalternation entre :

    • A et I, l’universelle affirmative et la particulière affirmative ;
    • E et O, l’universelle négative et la particulière négative.

Si la superalterne est vraie, sa subalterne est vraie. Inférence immédiate :

Tout S est P, donc certains S sont P.

Si la subalterne est fausse, sa superalterne est fausse. Inférence immédiate :

Il est faux que certains S sont P, donc il est faux que tout S est P.

La subalterne peut être vraie et la superalterne fausse.

Convertibilité entre les propositions E et I : la proposition de départ a les mêmes conditions de vérité que la proposition obtenue en permutant sujet et prédicat :

E : aucun S n’est P si et seulement si aucun P n’est S
I : certains S sont P si et seulement si certains P sont S

 

Proportion – Rapport

Argument de la PROPORTION


L’analogie de proportion a reçu une définition mathématique en arithmétique et en géométrie. Dans sa définition générale, l’analogie de proportion affirme que deux couples d’êtres sont liés par le même genre de relation.

1. Métaphore et analogie de proportion

Dans la Poétique, Aristote définit la métaphore comme

l’application à une chose d’un nom qui lui est étranger, par un glissement du genre à l’espèce, de l’espèce au genre, de l’espèce à l’espèce, ou bien selon un rapport d’analogie. (Trad. Magnien, p. 139).

Le « rapport d’analogie » est défini à l’aide d’exemples de métaphore proportionnelle :

Une coupe entretient avec Dionysos le même rapport qu’un bouclier avec Arès. On dira donc que la coupe est « le bouclier de Dionysos », et que le bouclier est « la coupe d’Arès ». Ou encore, la vieillesse entretient avec la vie, le même rapport que le soir avec la journée, on dira donc que le soir est « la vieillesse du jour» et la vieillesse […] « le soir de la vie », ou « le crépuscule de la vie ». (Id., p. 140)

La notion de proportion [1] est définie comme une analogie portant non pas entre des individus mais sur une relation entre deux ou plus de deux rapports, V. Analogie catégorielle; Analogie structurelle.

En mathématique, un rapport est une relation entre deux termes a/b, c/d/ e/f, 3/5, 2/3, 3/4… L’analogie de proportion met donc en jeu au moins quatre termes. Elle est notée :

 a/b ~ c/d
2/3 = 14/21

— En arithmétique, la proportion correspond à l’équation du premier degré à une inconnue,  équation qui formalise la “règle de trois” :

a/b = x/c d’où ac = bx et x = ac/b
— Trois œufs coûtent 1,2€, combien coûtent quatre œufs ?
— Quatre œufs coûtent 1€60, puisque trois œufs coûtent 1€20

— En géométrie, on parle de similitude. Deux figures semblables sont de même forme et de dimensions différentes. Deux triangles semblables ont leurs angles égaux et leurs côtés proportionnels.

— D’une façon générale, l’analogie de proportion affirme que deux couples d’êtres sont liés par le même genre de relation :

écaille : poisson      =       plume : oiseau
gant : main              =       chaussure : pied
chef : groupe           =       pilote : navire
vieillesse : vie          =       soir : jour

L’argumentation exploite l’analogie de proportion, par des mécanismes de parallélismes :

(Puisque) à tout navire il faut un pilote, à tout groupe il faut un chef !

Le processus de compréhension est le même pour l’arithmétique et pour l’argumentation parlée. Le raisonnement par lequel la valeur de x est extraite mathématiquement de la proportion arithmétique est le même que celui qui extrait la nécessité d’un chef de l’analogie de proportion pilote : navire = chef : groupe.

Destruction de l’analogie proportionnelle

La forme de base “Un A sans B, c’est comme un X sans Y” peut être utilisée pour détruire un discours qui argumente sur cette analogie de proportion :

L1 — Un groupe sans chef, c’est comme un pilote sans navire
L2 — Oui, et une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette ( MLF).

2. Mesure proportionnée

L’argument de la mesure proportionnée justifie une disposition en affirmant qu’elle est raisonnable, bien dosée, et qu’elle peut être modulée en fonction des évolutions de son objet.

L’idée de mesure proportionnée se retrouve sous deux étiquettes latines :
— Arg. ad modum, de modus “mesure”
— Arg. ad temperentiam, de temperentia, “juste mesure, juste proportion”.
Ang. arg. of gradualism


Une justice qui ne serait pas proportionnée (proportionnelle) appliquerait la même peine à tous les coupables.

L’argument de la proportionnalité est invoqué a contrario dans le communiqué récurrent :

(L’association, le syndicat, le gouvernement…) X condamne l’usage disproportionné de la force.

Cet argument suppose qu’il existe une échelle graduée de la gravité des troubles, ai une échelle graduée de la sévérité de la répression, en fonction de la gravité des troubles.

L’idée de proportion correspond à la covariance sur ces deux échelles.

plus / moins la manifestation “met en danger la sécurité de l’état, des citoyens, de leurs bien…”
plus / moins on doit s’attendre à une répression sévère.

Montrer ses muscles pour intimider
Montrer ses muscles, c’est annoncer une répression sévère, et par application de la loi de proportionalité, proclamer la force de l’ennemi.

Soit une situation de troubles, décrite comme l’œuvre de quelques factieux isolés. Selon le principe de proportionnalité de la répression, on s’attend à ce que les mesures de répression ordinaires soient suffisantes : manifestation peu dangereuse : répression légère.
Or les autorités décident d’organiser une grande exhibition militaire pour “impressionner l’adversaire” et “rassurer les populations”. L’argument de la mesure proportionnée permet un calcul qui met en échec cette stratégie psychologique :

La force étalée, loin de minimiser l’ennemi, le grandissait.
Pierre Miquel, La guerre d’Algérie, 1993[1]

La conclusion est fondée sur le topos : “on ne tire pas au canon contre des mouches” ; si on avait réellement affaire à quelques excités isolés, on ne positionnerait pas les chars devant les immeubles officiels. C’est donc qu’il s’agit d’un vrai soulèvement populaire.

On retrouve ce paradoxe dans le cas d’une réfutation forte d’une position déclarée faible, V. Paradoxes.

La mesure proportionnée est une forme d’argument sur la mesure juste, qui peut également être définie comme la mesure intermédiaire V. Juste milieu.


[1] Lat. proportio, “rapport ; analogie” ; traduit le grec analogia [ἀναλογία], “1. Proportion mathématique 2. Correspondance, analogie” (Bailly ἀναλογία)

[2] Paris, Fayard, p. 190.


 

Prolepse

PROLEPSE

Par la prolepse, le locuteur peut choisir de mettre ses arguments et ses conclusions en relation avec un contre-discours qu’il prévoit et qu’il rejette. Ce contre discours anticipé peut être une reformulation du discours originel, ce qui facilite d’autant sa réfutation Le locuteur  anticipe ainsi sur la parole d’un opposant qu’il met en scène polyphoniquement. La situation est la même s’il évoque des objections qui lui ont été adressées par un opposant réel, en une autre occasion sans le citer explicitement.
Dans les deux cas, il adopte une stratégie préventive, par phagocytage des objections ou de la réfutation qu’il sent poindre :

Je sais (mieux que vous) ce que vous allez me dire, et vous avez tort.

Les énoncés circonstanciels concessifs-réfutatifs, les énoncés coordonnés par mais sont de ce type : “Tu dis / tu vas me dire que (le restaurant est bon) mais il est cher”

La structure proleptique couvre des schémas discursifs plus amples, dont la configuration correspond à la mise en scène de deux discours antiorientés, avec identification du locuteur à l’un des énonciateurs, V. Interaction §3 Polyphonie
V. Destruction ; Concession; Réfutation

1. Traitement du contre-discours dans la prolepse

Dans la prolepse, le contre-discours peut être diversement reformulé.

— Il peut être maximisé, d’une façon qui le rend plus facilement réfutable, qui lui faire dire quelque chose d’absurde. Il peut être reformulé comme auto-réfutateur ce qui garantit son rejet,

S’agit-il pour nous de ruiner tous les petits épargnants ? Non, bien au contraire, et pour bien des raisons…

— Dans le processus de raisonnement par défaut, le contre-discours donne toute sa force à l’objection, tenue pour valide jusqu’à plus ample information. Le cas échéant, le contre-discours peut être explicitement et fidèlement cité.
La composante Modalisateur-Réfutation du modèle de Toulmin est interprétable comme une prolepse de ce dernier type.

Autres terminologies

La rhétorique utilise plusieurs termes pour décrire une telle situation.
— L’antéoccupation désigne une structure réfutative, composée d’une prolepse, qui évoque la position d’un opposant réel ou fictif, suivie d’une hypobole, qui réfute cette position (Molinié 1992, art. Antéoccupation), ou qui exprime la position effectivement soutenue par le locuteur. Les structures argumentatives en mais correspondent à l’antéoccupation.

— Lausberg ([1963], § 855) mentionne avec le même sens, les termes de préoccupation, où pré- est un préfixe ayant le sens de anté-, “par avance” ; et de métathèse, définie comme une configuration discursive par laquelle le locuteur « rappelle aux auditeurs des faits passés, leur présente les faits à venir, prévoit les objections » (Larousse du XXe siècle, cité in Dupriez 1984, p. 290). Le terme de métathèse désigne également le déplacement d’une lettre ou d’un son à l’intérieur d’un mot, ou une permutation de deux lettre ou deux sons.