PRINCIPE DE COOPÉRATION
Selon H. P. Grice,l’intelligibilité de la conversation est régie par
un principe général que les participants sont supposés (ceteris paribus) respecter, qui s’énonce comme suit :
Faites que votre contribution à la conversation soit telle qu’elle est attendue, au stade où elle est produite et en fonction du but commun ou de l’orientation de l’échange auquel vous participez (1975, p. 45).
Ce principe, appelé « Principe de coopération » demande aux participants de fournir des informations pertinentes, vraies, clairement exprimées et dans la juste quantité. Il se spécifie sous quatre formes, « Quantité, Qualité, Relation et Manière » (ibid.). Le principe de coopération porte sur la gestion de l’action conversationnelle, sur la façon de “faire de la conversation ensemble”.
— Le principe de quantité demande que soit fournie exactement la quantité d’information nécessaire, ni plus ni moins.
— Le principe de qualité demande que l’information soit vraie (ou crue vraie par le locuteur), condition que l’on retrouve dans tous les systèmes prétendant régler l’interaction argumentative.
— Le principe de relation “be relevant”, porte sur la pertinence de l’intervention. Il est lié au mode de relation de ce qui est dit au thème du dialogue ; Grice reconnaît qu’il est parfois difficile d’identifier ce qui est pertinent dans un échange. La règle pragma-dialectique no 4 porte sur cette même exigence, V. Pertinence ; Règle.
— Le principe de manière correspond à l’impératif “be perspicuous”, “soyez clairs”. Sous cette entrée, on retrouve le rejet de l’obscurité d’expression, V. Vague ; Généralisation ; de l’ambiguïté (la première des fallacies aristotéliciennes) ; de l’« unnecessary prolixity », correspondant à la fallacie de verbiage qui condamne l’amplification rhétorique.
Grice affirme que ces règles expriment le caractère rationnel des principes qui régissent la conversation :
Une de mes thèses explicites est de considérer la parole [talk] comme un cas particulier, un genre de comportement intentionnel [purposive], authentiquement [indeed] rationnel (1975, p. 47),
aussi bien que leur caractère raisonnable : il s’agit non seulement de
Quelque chose à quoi nous nous conformons EN FAIT, mais aussi de quelque chose qu’il est RAISONNABLE [reasonable] de faire, et que nous NE DEVONS PAS abandonner (ibid. ; majuscules dans le texte).
On peut rapprocher ces quatre impératifs de ceux qu’avance l’argumentation normative.
En situation argumentative, la notion de coopération est une question stratégique redéfinie par les participants, qui ne sont pas forcément disposés à coopérer à leur propre réfutation. Les règles spécifiques, qu’elles se réclament de la discussion honorable ou rationnelle, sont une imposition de coopération sur les participants.
Les énoncés violant des principes de Grice ne sont pas éliminés comme des fallacies, mais compris comme des actes de langage indirects. Lorsqu’un participant constate que quelque chose n’est pas conforme à telle règle conversationnelle, sa réaction n’est pas d’accuser le partenaire de faire une contribution non pertinente ou irrationnelle, mais bien de se demander ce que veut dire et faire celui qui semble ne pas respecter les règles, et pour quelles raisons il ne le fait pas. L’analyse des fallacies retrouve cette orientation interprétative toutes les fois qu’elle adjoint à sa logique une pragmatique qui prend en compte les conditions contextuelles de l’échange analysé.
Dans certains contextes stratégiques comme le tribunal, qui ne sont pas ceux envisagés par Grice, certains locuteurs sont institutionnellement déliés de certaines de leurs obligations de coopération, V. Politesse ; Silence §4 ; Charge de la preuve §1.3. Il n’y a rien de scandaleux ou de fallacieux à cela, dans la mesure où les partenaires sont conscients d’être dans un tel contexte intentionnellement opaque.