Stratégie d’INDIRECTION
Utilisée pour contourner une censure : 1) Feindre de confirmer une position et la réfuter de fait ; (2) feindre de réfuter une position et la confirmer de fait. |
Une réponse à une question argumentative peut être apportée directement ou indirectement.
On adopte une stratégie d’indirection lorsqu’il peut être périlleux de dire ouvertement ce qu’il pense. Le paradoxes de la réfutation faible est un cas d’affirmation indirecte de la position que l’on combat en apparence. V. Paradoxe de l’argumentation, §3 ; Réfutation, §5.
Stratégies d’indirection dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert (1751-1772)
Les « articles détournés » de l’Encyclopédie se jouent d’une censure d’ailleurs disposée à fermer les yeux. Cette stratégie d’indirection est explicitée par Condorcet, un des collaborateurs de L’Encyclopédie.
[L’Encyclopédie], « est un dépôt où ceux qui n’ont pas le temps de se former une idée d’après eux-mêmes, devaient aller chercher celles qu’avaient eues les hommes les plus éclairés et les plus célèbres ; dans lequel enfin des erreurs respectées seraient ou trahies par la faiblesse de leurs preuves ou ébranlées par le seul voisinage des vérités qui en sapent le fondement. (Condorcet, Vie de Voltaire. 1798 [1])
« Trahies par la faiblesse de leurs preuves » : Un argument faible pour P affaiblit P , et une réfutation faible d’ une position renforce cette position
« Ébranlées par le seul voisinage des vérités qui en sapent le fondement » :
Les effets du mélange d’erreur et de vérité sont redoutables
— Un peu de vérité mélangé au mensonge fait passer le mensonge.
— Juxtaposée à une erreur , la vérité « ébranle » l’erreur traditionnelle, mais l’erreur nouvelle peut aussi bien ébranler la vérité scientifique. Quel que soit l’optimisme des Lumières, la vérité ne peut pas s’auto-certifier.
L’éditeur de Diderot, Jacques-André Naigeon, accompagne l’article de l’Encyclopédie Mosaïque et chrétienne philosophie, rédigé par Diderot, de l’avertissement suivant à propos du contraste entre les termes « si mesurés, si respectueux » de l’article et « les principes philosophiques » de leur auteur
Diderot n’avait donc pour ce qu’il appelle ici très pieusement les saintes écritures, qu’un respect apparent, et à proprement parler, de pure circonstance et il pensait même avec un savant théologal* dont les paroles sont remarquables, que toutes les religions ont cela, qu’elles sont étranges et horribles au sens commun : mais il écrivait sous le règne d’un tyran jaloux de son autorité à qui les prêtres répétaient sans cesse qu’il se rendrait d’autant plus puissant, qu’il saurait mieux faire respecter la religion, c’est-à-dire ses ministres. Il ne se dissimulait pas tout ce qu’il avait à craindre de ces apôtres du mensonge. ([2] P.. 411)
[Diderot] s’exprime avec la même circonspection dans tous les articles où il était à peu près sûr que ses ennemis iraient chercher curieusement** sa profession de foi mais dans d’autres articles détournés & dont les titres assez insignifiants semblent ne rien promettre de philosophique, il foule aux pieds ces mêmes préjugés religieux avec d’autant plus de mépris qu’il avait été forcé de les respecter ailleurs. ([2] p. 412-413)
(*) professeur de théologie (**) avec grand soin
[1] Cité d’après les Œuvres complètes de Voltaire. Tome I. Paris, Ozanne, 1838, p. 27-28.
[2] Naigeon, Œuvres de Denis Diderot. publiées, sur les manuscrits de l’auteur, par Jacques-André Naigeon. T. VI. Paris, Desray et Deterville, An VI – 1798 ; p. 411-413.