K_Une argumentation, plusieurs types

L’argument ad incommodum est défini par Bossuet comme « l’argument qui jette dans l’inconvénient » ([1677], p. 131). C’est une forme d’argumentation par l’absurde@, équivalent ici à une variante de l’usage réfutatif de l’argumentation pragmatique.

Cas n°1 Ad populum

Comme tous les cas d’appel aux passions, il y aurait substitution des passions au logos, donc ignorance de la question, hence a lack of relevance (Woods et Walton 1992, p. 76), V. Ignorance de la question.

 

Cas n°2 Ad populum II L’appel aux croyances d’un groupe —

L’argument ad populum est parfois défini comme un argument qui part de prémisses admises par l’auditoire, au lieu de partir de prémisses universelles. Elle viserait donc l’adhésion et non pas la vérité (Hamblin 1970, p. 41 ; Woods et Walton 1992, p. 69). En ce sens, toute argumentation rhétorique ou dialectique est ad populum. L’argumentation ad populum n’est alors pas différente de l’argumentation sur les croyances de l’auditoire, abondamment désignée comme argument ex concessis, ex datis, ou encore argument ad auditores. V. Croyances de l’auditoire.

Cas n°3 — Cercle vicieux et Lois générale ad hoc

— Les Topiques signalent le cas fréquent où l’on postule sous forme de loi universelle ce qui est en question dans un cas particulier (Aristote, Top. VIII, 12, 163a1 ; p. 360) :

ce politicien est menteur, corrompu… puisque les politiciens sont menteurs, corrompus.

Le locuteur postule un principe ad hoc, dont la seule fonction est de s’appliquer au cas concerné. On peut également analyser ces cas comme des définitions mal construites : on considère le fait d’être corrompu comme une caractéristique essentielle des politiciens, alors qu’elle n’est qu’une caractéristique accidentelle, V. Définition, Accident. C’est une forme d’argumentation extrêmement répandue.

Cas n°4 — La fidélité à soi-même

Le topos, illustré par l’enthymème suivant est présenté sous forme d’une question rhétorique :

« Alors que, quand nous étions en exil, nous nous sommes battus pour revenir, une fois revenus, nous exilerons pour ne pas nous battre ? » (Aristote, Id.).

On peut supposer la situation suivante. Dans le passé, des exilés ont combattu pour rentrer au pays, et ils y sont rentrés. Dans la situation actuelle, ils sont suspectés de refuser de se battre, et de préférer l’exil, accusation qu’ils réfutent par cet enthymème. Ce topos peut couvrir des enthymèmes comme :

Tu t’es battu pour obtenir ce poste, et maintenant tu accepterais qu’on t’en chasse comme ça ?

Ce topos est une revendication de cohérence : “vous nous saccusez d’incohérence!”. Il est donc à rapprocher de l’argument ad hominem positif (argument ex datis). L’enthymème semble présupposer une forme de gradualité : “si on s’est battu pour retrouver sa patrie, à plus forte raison on se battra pour ne pas en être chassé”.

Cas n°5

Réfutation par accusation d’omission de circonstances et recadrage d’un événement

Dans tous les cas précédents, la victime de la déformation peut toujours tenter de la rectifier, mais, les conditions de parole étant polémiques, il ne lui sera pas aisé de rétablir sa position.

Les circonstances d’un événement sont des événements ou des faits de second plan, qui accompagnent un événement de premier plan, thème central du discours ou de la discussion. Ces circonstances peuvent jouer ou non un rôle essentiel dans la discussion de l’événement focus. Nécessairement, tout discours portant sur un événement opère une sélection de circonstances qu’il considère comme secondaire, alors que l’opposant les mettra en avant parce qu’essentielles.

— Vous avez franchi la ligne jaune

— Oui, j’ai dû me déporter pour ne pas écraser un hérisson, c’est une espèce en danger.

On est dans le cas de réinterprétation d’une action, V. Interprétation. Toutes les excuses fonctionnent sur ce principe.

 

Cas n°5

Google sur :« il faut se préparer à combattre contre le Grand Roi et ne pas le laisser faire main basse sur l’Égypte »,

 

Cas n°6

Synedoque – partie/tout — signe

3.1 Synecdoques “Partie – Tout” and “Tout – Partie”

Aux synecdoques partie – tout et tout – partie correspondent les argumentations de la partie vers le tout et du tout vers la partie. Dans trouver un toit, toit renvoie à “habitation” de même, l’argumentation :

Le toit est en mauvais état, la maison ne doit pas être bien entretenue

transfère au tout le prédicat attaché à la partie, V. Tout et partie; Composition et division.

 

Cas n°7

4. L’arbre et les fruits

L’argumentation suivante a été avancée en défense de Paul Touvier, chef de la Milice à Lyon pendant l’occupation Nazie et condamné à la libération. Il s’agit d’un extrait d’une lettre adressée par le R. P. Blaise Arminjon, S. J., au Président de la République, Georges Pompidou, en date du 5 décembre 1970, afin d’appuyer le recours en grâce de Paul Touvier.

Comment comprendre qu’il puisse être un “criminel”, être un “mauvais Français”, celui dont la conduite depuis vingt-cinq ans, et l’éducation qu’il a donnée à ses enfants sont à ce point admirables? On reconnaît un arbre à ses fruits. (René Rémond et al., Paul Touvier et l’église, 1992[1])

Une analyse à la Toulmin lui est applicable, la loi de passage étant fournie par le topos biblique « on reconnaît un arbre à ses fruits » :

16Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons? 17Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits. 18Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. (Matthieu, 7)

On peut aussi bien décrire le transfert des valeurs par un mécanisme de métonymie. Parler de « la conduite de Touvier depuis vingt-cinq ans » c’est désigner métonymiquement Touvier; dire que cette conduite est « admirable », c’est dire métonymiquement que Touvier est admirable. De même, une évaluation positive portée sur l’acte, « l’éducation que Touvier a donnée à ses enfants » est « admirable », se transfère métonymiquement sur l’auteur de l’acte, le père, forcément tout aussi admirable. Le même phénomène s’analyse dans le langage des tropes ou dans celui de l’argumentation, les deux mettent en œuvre le même genre de rationalité.

 

[1] Paris, Fayard, 1992, p. 164. Texte intégral de la lettre p. 372