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Force des choses

    • Ang. Weight of the circumstances

L’argumentation de la force majeure, par le poids ou la nature des choses, ou par les contraintes extérieures, applique au monde social et politique les mécanismes de l’argumentation par la cause telle qu’elle vaut pour le monde physique. Elle présente par exemple une décision comme déterminée causalement par le contexte : “nous n’avons pas le choix”, “aucune autre politique n’est possible” ; “ce qui se passe dans le monde nous contraint à agir ainsi”.

Les accords d’Évian mettant fin à la guerre de décolonisation de l’Algérie (1954-1962) ont été ratifiés par référendum le 1er juillet 1962. Ce référendum a été précédé d’une allocution télévisée du Général de Gaule, Président de la République Française, appelant à voter “oui” à la question : « Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclarations du 19 mars 1962 ?»
(
oui : 99,72% des voix). Le passage suivant est extrait de cette allocution.

Personne ne peut avoir de doute sur l’importance extrême que va revêtir la réponse du pays. Pour l’Algérie, le droit reconnu à ses populations de disposer de leur sort marquera le début d’une vie toute nouvelle. Certains peuvent regretter que des préventions, des routines, des craintes aient empêché naguère l’assimilation pure et simple des Musulmans, à supposer qu’elle fût possible. Mais le fait qu’ils forment les huit-neuvièmes de la population et que cette proportion ne cesse de croître en leur faveur, l’évolution déclenchée dans les gens et dans les choses par les événements, et notamment par l’insurrection, et enfin ce qui s’est passé et ce qui se passe dans l’univers, rendent chimériques ces considérations et superflus ces regrets.
Charles de Gaulle, Allocution radiotélévisée du 20 décembre 1960.[1]

À cette argumentation, par le poids des choses, s’oppose l’argumentation volontariste, qui nie précisément ce déterminisme : “là où il y a une volonté, il y a un chemin”.

En mai-juin 1940, les armées belges, britanniques, françaises et néerlandaises sont mises en déroute par l’armée allemande nazie. Dans une situation qui semblait à beaucoup totalement désespérée, le Général Charles de Gaulle rejeta l’armistice qui venait d’être signé par le Maréchal Pétain, et depuis Londres, appela sur la BBC à la poursuite de la lutte.

Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l’ennemi. Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui.
Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
[…]
Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.
Charles de Gaulle, Appel du 18 juin 1940. [2]

Argumentation volontariste et argumentation par la force des choses peuvent se combiner.

Argument naturaliste

En droit, l’argument naturaliste renvoie à l’hypothèse d’un législateur impuissant parce qu’il est impossible de légiférer dans certains domaines, ou d’un juge impuissant qui renonce à faire appliquer la loi, dans certaines occasions, V. Topique juridique.

L’argument naturaliste est également exploité dans le domaine de la loi religieuse.

Luther utilise cet argument à propos de l’interdiction du mariage des prêtres dans l’église catholique romaine. Selon lui, la plupart des prêtres ne peuvent pas se passer de femme, ne serait-ce que pour leur ménage :

Le pape n’a pas pouvoir pour prononcer pareille interdiction, pas plus qu’il n’a pouvoir pour interdire le boire, le manger et les issues naturelles, ou pour défendre de grossir. Aussi personne n’est-il tenu à observer ses prescriptions.
Martin Luther, À la noblesse chrétienne de la nation allemande, sur l’amendement de l’état de chrétien [1520].[3]

La fallacie naturaliste (naturalistic fallacy valorise systématiquement le naturel, V. Fallacieux 3. L’accusation de fallacie naturaliste peut servir à réfuter l’argument de la force des choses.

L’argument naturaliste n’a rien à voir avec la fallacie descriptiviste (descriptive fallacy, qui est une forme de fallacie d’expression.


[1] http://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00063/allocution-du-20-decembre-1960.html, (20-09-2013).
[2] http://www. charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/1940-1944-la-seconde-guerre-mondiale/l-appel-du-18-juin/documents/l-appel-du-18-juin-1940.php] (20-09-2013).
[3] Martin Luther, Les grands écrits réformateurs, trad. par M. Gravier, Paris, GF-Flammarion, p. 158.


 

Force d’un argument

Force d’un argument

On parle de force au sens de argument par la force; argument de la force des choses; et de la force d’un argument.

— Argument par la force: V. Menace ; Dilemme
— Argument de la force des choses
Force d’un argument

Force d’un argument

Un argument peut être dit fort dans l’absolu ou relativement à un autre argument. La notion graduelle de force d’un argument s’oppose à la notion binaire d’argumentation valide ou non valide. Cette force est évaluée en fonction de différents critères.

1. Force inhérente à certains types d’arguments

Dans les domaines scientifiques, pour être fort, un argument doit avant tout être probant, démonstratif. Pour cela, il doit relever d’un ou de plusieurs domaines scientifiques, et l’argumentation qu’il soutient se développer selon les méthodes acceptées dans ce ou ces domaine et reposer sur des calculs corrects,
L’argument fort correspond à l’argument ad judicium au sens de Locke.

Dans le langage ordinaire, on peut considérer que certains schèmes d’argumentation sont par nature plus forts que d’autres par exemple, un partisan de la loi naturelle estime qu’un argument fondé sur la nature des choses, telle que l’exprime une définition essentialiste, est plus fort qu’un argument pragmatique. Un esprit pragmatique pensera l’inverse, V.  Définition 1 ;

2. Force et efficacité

Estimée par rapport à un but comme la persuasion, l’argument le plus fort sera celui qui fait le mieux et le plus rapidement atteindre ce but, qu’il s’agisse de vendre un produit ou de faire élire un candidat. Le degré de force d’un argument lui est attribué après une étude d’impact sur le public concerné, V. Persuasion.

3. Force d’un argument et acceptation par un type d’auditoire

La Nouvelle rhétorique définit la force de l’argument en fonction de l’ampleur et de la qualité des auditoires qui l’acceptent, V. Persuader ; Orateur.

4. Force et renforcement linguistique des arguments

Les arguments orientés vers une certaine conclusion appartiennent à la même classe argumentative ; ils possèdent tous, en ce sens, une certaine force pour cette conclusion. Au sein de la même classe argumentative, la force d’un argument peut être déterminée en référence à une gradation objective comme l’échelle des températures, ou être simplement attribuée à l’argument par le locuteur qui valorise tel argument par rapport à tel autre. Cette différence est marquée au moyen de morphèmes argumentatifs.
Les transformations des agencements des arguments selon leur force relative sur les échelles argumentatives sont régies par les lois de discours.


 

Fond, Arg. sur le —

Argument portant sur le FOND de la discussion

Les arguments sur le fond traitent de l’objet du débat, l’ensemble des arguments qui contribuent à construire une réponse pertinente à la question. L’argument sur le fond n’est pas un type d’argument.

Dire qu’un argument porte sur le fond du débat c’est dire qu’il est pertinent pour le débat, et qu’il constitue une contribution substantielle à la discussion.
En anglais, ils sont dits argument addressed to the thing ; to the point, to the matter; on the merits ou on the substance of the case;  dealing with the matter (at hand).

D’un point de vue évaluatif, les arguments sur le fond sont les seuls dont la force et la valeur méritent d’être discutées et qui doivent être conservées dans le dossier de l’affaire.
Cela ne signifie pas qu’ils sont automatiquement validés. Une partie peut, par exemple, invoquer un précédent, ce qui est clairement une démarche légitime et substantielle. Le précédent peut cependant être critiqué et rejeté, par un argument montrant que les faits allégués comme des précédents ne sont pas suffisamment similaires aux faits discutés. Bien que sur le fond, cet argument  est finalement déclaré non pertinent pour la présente discussion.

La discussion sur le fond est évitée, par exemple, lorsqu’une personne accusée de corruption et de détournement de fonds publics répond à l’accusation par une contre-accusation de misogynie, en utilisant un argument classique substituant une arrière-pensée privée et potentiellement honteuse à une bonne raison publique et honorable, V. Mobiles et motifs

Comme les arguments dits ad judicium ou ad rem,  les arguments sur le fond ne sont pas des types d’argument, c’est-à-dire des formes de raisonnements menant à une conclusion, comme le raisonnement par analogie ou par les contraires. N’importe quel type d’argument peut en principe être ou ne pas être utilisé pour discuter du fond ou de la forme d’un débat.

1. Argument sur le fond et argument sur la forme

Les arguments sur le fond du débat sont complémentaires des arguments sur la forme du débat, qui portent sur les conditions dans lesquelles se déroule la discussion. Ces derniers ont trait au cadre, à la procédure et aux règles selon lesquels la question est traitée.
Par exemple, les participants peuvent objecter à la tenue d’une réunion que les documents nécessaires à leur bonne information ne leur ont pas été distribués à temps ; ou que le quorum n’est pas atteint.

2. Argument sur le fond et argument  fondés sur le logos

Des associations trompeuses pourraient conduire à penser que les arguments liés au logos sont logiques et donc objectifs, qu’ils traitent des objets eux-mêmes et, par conséquent, de la substance et du fond des choses en discussion. En tant que tels, les arguments dérivés du logos s’opposeraient alors aux arguments éthotiques et pathémiques, ces derniers étant davantage liés à la subjectivité, du moins en apparence.

Dans l’argumentation quotidienne, tout comme les arguments “logo-iques”, les arguments éthotiques et pathémiques exploitent le logos, entendu comme langage et discours. Dans une situation argumentative, c’est la question seule qui détermine l’objet, la substance du débat. Autrement dit, il ne suffit pas pour un argument de se référer à un objet ou à un événement, il faut encore que cet objet soit l’objet du débat.

Les arguments faisant référence à des personnes, à leurs valeurs et à leurs émotions sont substantiels (ad rem et ad judicium) dans la mesure où ils sont pertinents pour la question. Le rappel des condamnations antérieures d’une personne n’est pas dénué de pertinence dans tous les contextes. La description de l’état de choc émotionnel dans lequel la victime a été trouvée, par exemple, peut être pertinente pour le tribunal. Le problème est de distinguer les aspects de la personnalité qui sont pertinents pour la discussion de ceux qui ne le sont pas.

3. Argument sur le fond et argument périphérique

Il en va de même pour les arguments indirects périphériques qui exploitent les circonstances  des  événements constituant l’affaire discutée.
Un argument sur la personne, par exemple, peut être un argument sur le fond selon sa pertinence pour la discussion : “Le témoin déclare avoir vu le suspect près du lieu du crime, au moment du crime” ; ou non : “Le témoin déclare que le suspect est un bon ami à lui”.


 

Foi — Superstition

Foi – Superstition

Foi vient du latin fidesfoi, confiance, force persuasive”.
Fides et foi appartiennt au lexique rhétorique du latin comme du français contemporain, où ils désignent le résultatif de l’acte de persuader, la persuasion:

fidei causa Sall. J. 85, 29, pour inspirer confiance ;
res quæ ad fidem faciendam valent Cic. de Or. 2, 121,
les ressorts qui servent à emporter l’adhésion (persuader)
imminuere orationis fidem Cic. de Or. 2, 156,
affaiblir la (confiance dans un discours) force persuasive d’un discours


1. Foi et argumentation

1.1 Les contenus révélés comme arguments

Les vérités révélées peuvent être utilisées comme arguments condamnant ou justifiant une certaine conduite ; nous suivons la Loi parce que notre Dieu nous l’a donnée ; parce que nous l’aimons ; parce qu’Il récompensera ses fidèles, les bons, et punira les méchants ; nous nous abstenons de telle nourriture parce qu’Il l’a voulu ainsi.

Les appels aux croyances religieuses peuvent être rejetés comme des appels à la superstition.

1.2 Les contenus révélées comme vérités

Certains théologiens opposent la foi à la raison et à l’argumentation. Selon saint Ambroise, cité par Thomas d’Aquin « qu’on rejette les arguments là où c’est la foi qu’on cherche » (Thomas d’Aquin, Somme, Part. 1, Quest. 1, Art. 8 Cette doctrine argumente-t-elle ?). Les vérités révélées ont la préséance sur toutes les autres formes de vérité ; essayer de démontrer une vérité révélée serait la dégrader.
Par ailleurs, pour un croyant, les arguments fondés sur la foi ne doivent pas être confondus avec les arguments fondés sur l’autorité ; la première est d’origine divine, la seconde humaine. Savoir si la tradition religieuse est d’origine humaine ou divine est une question qui divise les théologiens. En tout cas, la foi est autre chose que la soumission à l’autorité.

Mais la préséance de la foi n’invalide pas la nécessité de l’argumentation ; Thomas d’Aquin distingue trois types de situations argumentative, selon que le prédicateur ou le missionnaire s’adresse à des chrétiens, à des hérétiques ou à des incroyants.

Vis-à-vis d’un auditoire chrétien, l’argumentation est utile dans deux cas, d’une part pour mettre en relation deux articles de foi, dont on montre que l’un est logiquement déductible de l’autre, par exemple, si l’on croit à la résurrection du Christ, on doit croire à la résurrection des morts.
D’autre part, elle permet d’étendre le domaine de la foi à des vérités secondes, dérivées des vérités premières. L’argumentation permet la manifestation de ces vérités secondes.
Ces argumentations renforcent la cohérence du corps de doctrine.

Face aux hérétiques qui sont d’accord sur un point du dogme, l’argumentation permet de montrer qu’ils doivent aussi accepter les autres. On retrouve le premier des cas précédents. C’est une argumentation par la cohérence du dogme.
Pour les hérétiques comme pour les croyants, l’argumentation de la foi est fondée sur des arguments postulés comme vrais parce que tirés du corpus des vérités révélées.

Face aux incroyants, l’argumentation par la cohérence du dogme ne fonctionne pas, puisqu’il n’y a pas de connaissance partagée.
L’argumentation est alors essentiellement ad hominem. On montre par l’argumentation que leurs croyances sont contradictoires (Trottman 1999, p. 148-151).

On voit que le Docteur Angélique n’excluait pas du champ de l’argumentation les situations de désaccord profond, V. Désaccord.

2. Ad superstitionem, “Appel à la superstition”

Lat. arg. ad superstitionem, de superstitio, « superstition ; observation trop scrupuleuse ; objet de crainte religieuse ; vénération » (Gaffiot, Superstitio).

Un croyant légitime certaines de ses actions par ses croyances :

Je ne travaille pas le dimanche, parce que Dieu l’a ordonné ; parce que lui-même s’est reposé le dimanche
Je suis contre le mariage homosexuel parce que Dieu a créé l’homme homme, et la femme, femme.

Un libre penseur considère que ces croyances sont des superstitions et que ces justifications sont fallacieuses.

L’étiquette “appel à la superstition” a été introduite par Bentham en lien avec les institutions politiques. Si l’on croit que ces institutions sont fondées dans la loi divine, alors elles sont tout aussi intouchables que la Parole qui les a établies : le Régime existant est sacré, et nous avons juré de le conserver.
Bentham considère que ce genre de justification de l’immobilisme est sophistique, V. Topiques politiques :

Sophisme des serments ; ad superstitionem : “Mais nous avons juré !
Sophisme des lois irrévocables : “Mais cela nous obligerait à changer la loi !” ([1824], p. 402)

Il soutient que les institutions et les lois doivent évoluer, et qu’en conséquence, il n’y a pas d’engagement irrévocable (irrevocable commitment).
Dans une conception religieuse du pouvoir, les engagements politiques pris sous serment engagent la divinité ou quelque pouvoir surnaturel sacré. Les Pères Fondateurs “qui en savaient plus que nous” et “à qui nous devons tout” sont sacralisés. Manquer à cet engagement constituerait non seulement un manque de respect vis-à-vis des Puissances fondatrices, mais aussi une faute religieuse ou morale susceptible d’attirer une vengeance surnaturelle.
On peut supposer que ces menaces sont la contrepartie de promesses récompensant la soumission à la loi surnaturelle. Dans ce cas, l’argument représente une version quelque peu matérialiste de l’argument de la foi.

Les citoyens ordinaires, non cyniques, considèrent que les politiciens doivent honorer leurs engagements électoraux. Il serait difficile pour les politiciens défaillants d’invoquer le sophisme d’engagement irrévocable pour justifier perpétuellement leurs renversements d’alliance et de programmes.

___________
Lat. ad fidem; de fides, “foi; confiance”
fidei causa Sall. J. 85, 29, pour inspirer confiance ;
res quæ ad fidem faciendam valent Cic. de Or. 2, 121, les ressorts qui servent à emporter l’adhésion (persuader)
imminuere orationis fidem Cic. de Or. 2, 156, affaiblir la (confiance dans un discours) force persuasive d’un discours

 


 

Vague — Flou

Sens INDÉTERMINÉ – VAGUE – FLOU

1. Variétés de l’indétermination du sens

Les langages logiques, formels et scientifiques se distinguent du langage naturel par leur univocité. À chaque chaîne signifiante (terme ou expression), simple ou complexe, correspond une référence unique, et une seule une signification ; ces langages n’admettent pas l’interprétation.
De telles chaînes ne connaissent ni le vide de sens (le non-sens), ni l’obscurité, ni le flou (le vague), ni l’ambiguité, ni la multiplicité des sens (ambiguïté), ni les variations de sens dans un discours comme dans domaine.

Dans le langage ordinaire, l’interprétabilité des chaînes signifiantes n’est pas garantie. Une chaîne signifiante peut être :
— Vide de sens, ou ininterprétable (non-sens) : “abo rolo”
Dans le cas le plus général, il est impossible d’attribuer au segment linguistique un sens quelconque. On ne lui trouve pas de paraphrase satisfaisante  (acceptable dans ce contexte). Le texte est totalement obscur, il pose un défi interprétatif, il est inexploitable par le récepteur, qui peut éventuellement se rabattre sur des associations, libres ou savantes, fondées sur le signifiant de la chaîne linguistique considérée.

— Obscure. La chaîne signifiante est formée de mots ou de quasi-mots.  Il est difficile de lui attacher la moindre interprétation : Prophéties de Nostradamus.
Un texte énigmatique n’est pas un texte obscur, dans la mesure où on suppose que l’énigme a une clé, qui peut éventuellement être trouvée au terme d’un cheminement interprétatif.
La coexistence dans un même discours d’orientations incompatibles est une cause majeure d’obscurité pragmatique.

— Floue ou vague. Il est possible d’attacher à la même chaîne signifiante  plusieurs interprétations également douteuses et discutables.
On parle de flou et de vague à propos de phénomènes limites qui apparaissent particulièrement à propos de la catégorisation et de la définition.
Le vague du discours peut être également lié aux questions de généralisation et de particularisation.

Ambigüe. Une  chaîne signifiante est ambigüe si on peut lui plusieurs interprétations nettes, stables,  distinctes et incompatibles. L’interprétation hésite entre deux ou plusieurs sens possibles pour le même segment. Le contexte peut faire disparaître l’ambiguïté

— Instable. Le sens d’une même chaîne peut varier ou s’obscurcir,  dans un même discours, V. Objet de discours.

Globalement, ces cinq caractéristiques — non-sens, obscurité, flou, ambiguïté, instabilité — opposent le langage scientifique, qui est le prototype du langage transparent, au langage naturel qui comporte nécessairement une part d’opacité.

Si l’on définit l’activité de raisonnement à partir du raisonnement logico-scientifique, alors l’incertitude du sens dans le discours ordinaire fait apparaître le langage naturel comme un mauvais milieu particulièrement peu favorable au développement du raisonnement.

2. Exploitation argumentative de l’incertitude sémantique

Le sens d’un discours est le produit d’une activité rhétorique d’expression et d’une activité herméneutique d’interprétation. Le sentiment d’incertitude du sens, peut avoir sa source  dans l’incertitude de l’expression ou dans celle l’interprétation.
Ce sentiment d’indétermination se matérialise par un jugement porté par le récepteur. Comme le jugement de clarté, il peut varier avec les récepteurs.

Dans le cas de discours argumentatifs, le jugement d’incertitude porté sur un discours sert à le réfuter.  Le discours cible est invalidé sur le plan logique et rejeté sur le plan interactionnel, V. Destruction du discours. On lui dénie toute pertinence pour l’échange en cours. Comme tous les jugements, le jugement d’incertitude demande donc à être justifié.
Dans certains genres de discours et d’interaction, le sentiment d’incertitude peut être vu, à juste titre, comme une richesse stimulant l’interprétation. Ces discours exploitent positivement ce que le discours argumentatif rejette comme fallacieux.

L’interprétation d’un discours tient compte du genre et du type d’échange dans lesquels entrent ce discours, et avant tout de son contexte immédiat, de l’échange auquel il apporte une contribution. On peut réfuter une accusation d’indétermination en montrant que l’indétermination est levée par la prise en compte d’un ou plusieurs de ces éléments.

Le dialogue collaboratif joue un rôle essentiel dans la levée de l’indétermination ou de la sous-détermination, lorsque le discours n’atteint pas le niveau de pertinence requis par l’échange.

3. Flou

3.1 Le mot flou

Flou se dit d’un style artistique (dessin, gravure, peinture, sculpture, photographie) où les traits et les coloris sont “légers, estompés, adoucis, indécis, dégradés” (d’après TLFi, Flou).  Jugé du point de vue d’une esthétique classique, ce caractère flou est vu comme un « manque de vigueur, de netteté » et interprété comme une insuffisance technique. L’expression “flou artistique” renvoie à l’usage calculé du flou dans un but esthétique, ou dans une tentative de dissimuler des insuffisances de tous ordres. De façon analogue, un discours flou est suspecté de dissimuler des intentions cachées.
Le flou s’oppose au net. La perception des objets est nette si ses contours se détachent de leur environnement, et si on peut observer les détails. Elle est floue si la forme des objets n’est pas perceptible. De façon analogue, le flou brouille les frontières entre les catégories, efface leurs différences, mettant ainsi en continuité des catégories distinctes.
Flou et vague se définissent réciproquement, et s’opposent également au clair, au net et au distinct. Ils ont la même orientation négative.

3.2 Frontières inter-catégorielles et chevauchement des catégories

L’appartenance à une catégorie peut être définie en référence à un ensemble d’êtres appartenant typiquement à la catégorie. On doit alors distinguer, à la périphérie de la zone nette qui rassembles les êtres prototypiques de la catégorie, une zone de plus en plus floue. Cette zone est peuplée de cas-limites, constitués par les objets qui appartiennent de moins en moins à la catégorie, et qui relèvent plutôt d’autres catégories.
Les arguments a pari, a contrario et par les contraires jouent sur les phénomènes de continuité / discontinuité des catégories, en privilégiant le rattachement d’un être à telle catégorie ou à telle autre. Cette zone frontière est une zone de discussion.

— Le flou comme zone  ouverte à la discussion
Peirce (1902) définit le mot anglais vague en relation avec les variations de jugement des locuteurs.

Vague (in logic) [Lat, vagus, rambling, indefinite]: Ger. unbestimmt ; Fr. vague ; ­Ital. vago. Indeterminate in intention.
A proposition is vague when there are states of things concerning which it is intrinsically uncertain whether, had they been contemplated by the speaker, he would have regarded them as excluded or allowed by the proposition. By intrinsically uncertain we mean not uncertain in consequence of any ignorance of the interpreter, but because the speaker’s habits of language were indeterminate ; so that one day he would regard the proposition as excluding, another as admitting, those states of things. Yet this must be understood to have reference to what might be deduced from a perfect knowledge of his state of mind ; for it is precisely because these questions never did, or did not frequently, present themselves that his habit remained indeterminate.

— La logique floue (fuzzy logic) formalise la notion de flou comme zone frontière où fusionnent deux zones sur une échelle graduée. Par exemple, sur l’échelle des températures, la zone “il fait bon” chevauche les zones “il fait froid” et “il fait chaud”.

Ce que dit Pierce au sujet des zones floues comme zones de variabilité des jugements individuels s’applique au cas de l’échelle des températures. Peirce pose le problème dans le cadre de la psychologie individuelle où l’on pourrait avoir accès à « une connaissance parfaite de son état d’esprit. » Il considère que l’errance des jugements est liée au fait que les situations de flou sont « peu fréquentes », ce qui est discutable.
La situation peut être décrite non plus comme une variation du jugement individuel mais comme une variation des jugements interindividuels, qui peuvent ouvrir, dans le cas des températures, une discussion, pas forcément inoffensive sur le temps qu’il fait. Les zones floues sont des zones argumentatives.

Unanimité de jugement : 1 : il fait froid
3 : il fait bon
5 : il fait chaud
On en discute :  2 : il fait froid / il fait bon
4 : il fait bon / il fait chaud

À l’intérieur de la zone correspondant aux lexèmes froid resp. chaud, l’intensifieur très définit deux sous-zones argumentatives auxquelles s’appliquent la même représentation :

On en discute : TF: il fait froid / il fait très froid
TC: il fait chaud / il fait très chaud

3. Vague, précis, pertinent

Une information peut être dite floue, vague ou précise. Selon le principe de quantité de Grice, la pertinence d’une information est relative à la conversation qu’elle alimente. Le principe de quantité demande que soit fournie exactement la quantité d’information nécessaire, ni plus ni moins (V. Principe de coopération). Trois amis voient passer une belle auto:

L1        — Ça peut coûter combien, une belle auto comme ça?
L2        —  Bien 50 000 euros
L3        —  58225 euros hors taxe, plus les options

La réponse L2  n’est ni floue ni vague mais suffisante, elle fournit un ordre de grandeur qui est parfaitement approprié au fil d’une conversation de bistrot. Si les participants ont des revenus très moyens,  elle donne à la conversation une orientation claire  :

Il faut tout de même être riche pour avoir une voiture comme ça.

La réponse L3 est plus précise, mais le degré de précision est inutile pour cette conversation.

Un acheteur avec un vendeur :

L1      — Et ce modèle, il vaut combien?
L2      — Dans les 50 000 euros
L3      — 58225 euros hors taxe, plus les options.

Les réponses de L2 et L3ne viennent pas au même moment de l’interaction. La réponse de L2 n’est pas floue, au sens où elle donne un ordre de grandeur parfaitement adapté alors que le client parcourt les allées de la salle d’exposition. En revanche, la réponse L3 est seule adaptée au moment de signer la vente.


 

 

Figures

Le terme figure est utilisé en rhétorique, en syllogistique et en théorie des fallacies.

— En logique, les figures du syllogisme correspondent aux différentes formes du syllogisme, en fonction de la position du moyen terme dans les prémisses.

— En théorie des fallacies la fallacie d’expression trompeuse [misleading expression] est parfois désignée comme fallacie de figure du discours.

— La théorie des figures est une composante essentielle de la construction du discours argumentatif, V. Rhétorique.

1. Les figures en contexte argumentatif

Les figures de rhétorique sont des variations dans la manière de signifier « qui donnent au discours plus de grâce et de vivacité, d’éclat et d’énergie » (Littré, Figure). La rhétorique des figures distingue d’une part, les figures de mots ou tropes, comme la métaphore et, d’autre part, les figures de discours, comme le parallélisme ou l’ellipse.

Toute forme d’organisation discursive saillante et récurrente peut être considérée comme une figure de discours, à commencer par l’argumentation ou la description en général. L’enthymème peut être considéré comme une figure de discours (enthymémisme), ainsi que la réfutation, la prolepse, ou encore l’antanaclase qui renverse les orientations argumentatives, l’analogie, ainsi que tous les schèmes argumentatifs, par exemple les figures dires d’annomination jouant sur les noms propres et l’interprétation.

Les figures d’opposition sont toutes directement interprétables comme argumentatives, dans la mesure où elles correspondent à divers formats de la confrontation Discours / Contre-discours. D’autres types de figures jouent un rôle dans la construction des formes argumentatives. Par exemple, une figure de disposition syntaxique, comme le parallélisme, peut jouer le rôle de marqueur d’analogie ou d’antithèse ; elle caractérise l’argumentation par le cas parallèle.

Métaphore, métonymie, synecdoque et ironie sont considérées par Burke comme les quatre principaux tropes (« four master tropes »).
La métaphore comme modèle tendant vers l’identification des domaines a une fonction argumentative bien spécifique.
D’autre part, il y a une correspondance entre les mécanismes de la métonymie et de la synecdoque et ceux qui légitiment le passage d’un argument à une conclusion.
L’ironie est un cas très particulier d’argumentation, où le locuteur réfute une assertion en la répétant dans une situation où elle est clairement intenable.

 

Sans prétendre ramener toutes les figures à la situation argumentative, on peut observer que la définition rationaliste classique de l’argumentation repose sur l’idée qu’argumenter c’est tenter de faire admettre un discours (la conclusion) sur la base de bonnes raisons (arguments). Or faire admettre, c’est d’abord faire paraphraser et faire répéter ; pour faire répéter il faut faciliter la mémorisation, et on peut employer pour cela des figures de sons, des parallélismes ou n’importe quel autre format d’expression.

Les dictionnaires de rhétorique littéraire incluent des entrées relevant du champ de l’argumentation. Dans Gradus. Les procédés littéraires – Dictionnaire de Dupriez (1984), on trouve par exemple, les entrées argumentation, argument, déduction, enthymème, épichérème, exemple, induction, réfutation, paralogisme, prémisse, raisonnement, sophisme… ainsi que divers types d’arguments. Ces concepts de base du champ de l’argumentation ne relèvent pas spécifiquement du domaine littéraire.

2. Figures et projet persuasif

Dans la Poétique, Aristote définit la métaphore comme « l’application à une chose d’un nom qui lui est étranger par un glissement du genre à l’espèce, de l’espèce au genre, de l’espèce à l’espèce, ou bien selon un rapport d’analogie » (1457b5 ; Magnien, p. 139). Cette définition couvre largement le domaine des figures des mots, dont la métaphore est un cas particulier. Les exemples de métaphore, au sens contemporain du terme, cités par Aristote sont des métaphores proportionnelles, a / b :: c / d :

Une coupe entretient avec Dionysos le même rapport qu’un bouclier avec Arès. On dira donc que la coupe est le “le bouclier de Dionysos” et que le bouclier est “la coupe d’Arès” ; ou encore, la vieillesse entretient avec la vie le même rapport que le soir avec la journée, on dira donc que le soir est “la vieillesse du jour” et la vieillesse “le soir de la vie”.
1457b20 ; Magnien, p. 140

soit : bouclier / Dyonysos :: coupe / Arès

La Rhétorique traite de la recherche des moyens de persuasion disponibles dans une affaire donnée. Ces moyens sont tirés du pathos, du pathos, de l’éthos et du logos :

La persuasion résulte toujours ou bien des sentiments qu’éprouvent les juges eux-mêmes, ou bien de l’image qu’ils se font de l’orateur, ou bien d’une démonstration. (1403b10 ; Chiron, p. 425)

La persuasion par le logos est tirée de « ce qui donne aux faits eux-mêmes la capacité de persuader » (1403b15 ; id., p. 426). Idéalement, « ce qui est juste, c’est de débattre à l’aide des faits eux-mêmes » (1404a, id. p. 427), la persuasion éthotique et pathémique est alors superflue. Mais cela n’est pas possible « à cause de la médiocrité de la vie politique […] [et] « des auditeurs » (1403a30 ; id. p. 427); (1404a5 ; ibid.). Il s’ensuit que les arts du langage, de l’action et du style « ont quand même un petit quelque chose de nécessaire dans tout enseignement » (1404a5 ; ibid.) — mais pas dans la science : « personne n’en tient compte pour enseigner la géométrie » (1404b10 ; ibid.).

 

En situation oratoire, pathos et ethos sont des outils de persuasion efficaces. À l’oral, la persuasion par l’émotion et l’image de soi est produite par l’action oratoire, en particulier par la voix, et à l’écrit, par le style, « car les discours écrits tirent leur force davantage du style que de la pensée » (1404a15 ; Chiron, p. 428). Et dans tous les discours, en poésie comme en prose, c’est la métaphore (c’est-à-dire la figure) qui a « le plus grand pouvoir » (1405a1; Chiron, p. 433); elle donne au langage « clarté, agrément et étrangeté » (1405a1; p. 405). La conclusion générale est claire : la métaphore est l’arme ultime d’une persuasion efficace.
Néanmoins, selon la Rhétorique, pour être efficaces, le travail de l’expression « [doit] passer inaperçu » ; l’orateur doit « faire l’effet de parler de façon non pas fabriquée mais naturelle » (1404b15 ; p. 431), car seul le naturel est persuasif — la métaphore doit concilier étrangeté et naturel.
Quoi qu’il en soit, la figure est dite convaincante dans la mesure où elle est astucieusement enfouie dans le discours, ce qui est tout à fait opposé au concept baroque moderne de métaphore surprenante et brillante, qui soumet les auditeurs par le plaisir qu’elle leur procure.

3. Critique des figures

V. Ornement et argument


Fausse piste

La stratégie de la fausse piste est une stratégie de diversion ayant pour but d’éviter la question, V. Pertinence.

Cette stratégie est désignée en anglais par l’expression figurée “red herring fallacy”. Le red herring est le hareng fumé, devenu plus ou moins rouge au cours du traitement, dont on dit qu’il était utilisé par les fugitifs pour lancer les chiens des traîneaux de leurs poursuivants sur une fausse piste. L’expression, très usitée en anglais, est utilisée au sens figuré pour désigner quelque chose permettant de « distraire l’attention de la question fondamentale. » (OED, Red Herring).

Un red herring est un distracteur faisant dévier la discussion vers d’autresune fausse piste.


 

Fallacieux 4 : Les modernes, Port-Royal, Bacon, Locke

Fallacieux 4 : Les Modernes
BACON – PORT-ROYAL – LOCKE

LaLogique de Port-Royal (1662) présente une nouvelle série de sophismes de nature anthropologique et morale. Dans le Novum Organum (1620) Francis Bacon groupe les sophismes particuliers sous quatre “sources” qui conditionnent le fonctionnement de l’esprit humain.
Dans son Essai… (1690) Locke redéfinit la notion de fallacie hors de toute problématique aristotélicienne, et reconnaît comme seuls valides les arguments positifs de type scientifique,
ad judicium.

1. Fallacies et théorie de l’esprit : Bacon, Novum Organum, 1620

Hamblin considère que le New Organon (“Nouvel Organon”) de Francis Bacon marque un tournant psychologique dans la conception des fallacies (Hamblin 1970, p. 146 ; voir Walton, 1999). Bacon rompt le lien des fallacies à la logique et à la dialectique pour réorienter leur étude vers le champ des sciences empiriques et du développement du savoir. Le savoir étant construit par observation et induction, les fallacies sont le produit de déformations de la perception, auxquelles il assigne quatre sources, ou “idoles”. Le terme grec d’où est tiré idole signifie « simulacre, fantôme » (Bailly [1901], [eidolon]) ; littéralement, une fallacie est un simulacre, un fantôme d’argument.

XXXIX Quatre espèces d’Idoles assaillent l’esprit humain, et pour plus de précision, nous leur avons donné des noms, appelant les première Idoles de la Tribu (I. of the Tribe], les deuxièmes idoles de la Caverne (I. of the Den), les troisièmes Idoles du Marché (I. of the Market) et les quatrièmes Idoles du théâtre (I. of the Theater) ([1620], p. 20).

Les idoles de la tribu, c’est-à-dire de l’humanité, correspondent aux déformations que l’esprit humain impose, de par sa structure, à la réalité. L’esprit n’est pas une table rase mais un miroir déformant ; ce fait est à la source des fallacies de subjectivité épistémique V. Fond.

Les idoles de la caverne sont le produit de l’éducation et de l’histoire de chaque individu, c’est-à-dire les préjugés et les fausses évidences, notamment celles qui sont attachées à l’autorité.

— Les idoles de la place publique sont les mots eux-mêmes, qui souffrent d’ambiguïté et imposent à la pensée de fausses apparences. Ils « font violence à l’entendement, jettent tout dans la confusion et entraînent l’humanité dans de vaines et innombrables controverses et fallacies » (p. 21), V. Fallacieux (III); Topique politique (§2).

— Les idoles du théâtre correspondent aux dogmes des systèmes de philosophie, et aux perversions des règles de la démonstration (p. 22) (Bacon [1620], § 39-44 ; p. 17-20).

Cette énumération rassemble des inférences fallacieuses et des fallacies substantielles.

2. Une perspective anthropologique et morale sur le débat,
Arnauld et Nicole, La logique ou l’art de penser, 1662

La Logique ou l’art de penser, dite “Logique de Port-Royal” d’Arnauld et Nicole (1662) reprend les paralogismes aristotéliciens dans son chapitre XIX « Des manières de mal raisonner qu’on appelle sophismes », alors que son chapitre XX « Des mauvais raisonnements que l’on commet dans la vie civile, & dans les discours ordinaires » consacre à la fois l’éclatement de la notion de fallacie et son ouverture sur l’anthropologie et la morale. Les citations suivantes respectent l’orthographe, l’accentuation et la ponctuation du texte de l’édition de référence, Clair & Girbal 1965.

1.1 Reprise des sophismes aristotéliciens

La liste proposée au chapitre XIX fusionne les deux types de fallacies aristotéliciennes, dans et hors du discours, V. Fallacieux: Aristote. Les fallacies liées au discours sont regroupées sous deux rubriques, « passer du sens divisé au sens composé, ou du sens composé au sens divisé » et «abuser de l’ambiguïté des mots, ce qui se peut faire en diverses manières» (homonymie, amphibolie, accentuation, forme du discours). Quant aux fallacies hors du discours, la liste ajoute deux nouveaux types, la fallacie de dénombrement imparfait, V. Cas par Cas, et la fallacie d’induction défectueuse. Dans les deux cas, l’énumération des cas a été donnée pour complète, alors qu’elle n’a pas été poursuivie jusqu’aux cas qui invalidetn les conclusions.

1.2 Une approche anthropologique et morale des fallacies

Le chapitre XX ne correspond plus à un souci logique ou scientifique, et n’a aucun lien avec les exercices dialectiques. Il est orienté vers la construction d’une éthique, voire d’une ascèse du débat ; on peut en extraire des règles pour la discussion guidée par la recherche de la vérité. Dans ce qui suit, les différents sophismes sont désignés par une expression extraite de leur définition.

(1) « Prendre notre intérêt pour motif de croire une chose » — La première des causes qui déterminent la croyance est l’esprit d’appartenance à « une nation, une profession, un Institut … un païs… un Ordre » (p. 261-262). Les croyances d’un individu sont déterminées non par le vrai en soi, mais par sa position sociale ; il les emprunte au groupe où il trouve « son intérêt » et qui fonde son identité.

(2) « Sophismes et illusions du cœur » — Ce sophisme correspond aux fallacies d’amour et de haine (ad amicitiam, ad amorem, ad odium), c’est une forme d’argumentation pathétique.

De sorte qu’encore que [les hommes] ne fassent pas dans leur esprit ce raisonnement formel: Je l’aime, donc c’est le plus habile homme du monde : je le hai, donc c’est un homme de neant; ils le font en quelque sorte dans leur cœur. (p .263).

(3) « [Les personnes] qui veulent tout emporter par autorité »

[Elles] décident tout par un principe fort general & fort commode, qui est qu’ils ont raison, qu’ils connaissent la vérité; d’où il ne leur est pas difficile de conclure, que ceux qui ne sont pas de leurs sentimens se trompent : en effet, la conclusion est nécessaire. (P. 263).

La prétention à la vérité de la personne autoritaire lui apporte une certitude immédiate, dans le domaine profane comme dans le domaine sacré ; elle ne voit pas la nécessité de l’argumentation, V. Autorité.

(4) « L’habile homme » — Selon le sophisme de l’habile homme,

si cela étoit, je ne serois pas un habile homme, or je suis un habile homme, donc, cela n’est pas. (P. 264).

Ce sophisme est une spécification du précédent. C’est un sophisme un argument pathétique.
La Logique de Port-Royal a été publiée en 1662; le principe de la circulation du sang avait été découvert et publié 1628 par Harvey :

Quoi ? si le sang, disoient-ils, avoit une revolution circulaire dans le corps […] j’aurois ignoré des choses importantes dans l’Anatomie […]. Il faut donc que cela ne soit pas. (P. 264).

C’est une fallacie d’orgueil, ad superbiam. L’orgueil amène au rejet de la découverte, qui aurait dû rendre humble tous les orgueilleux qui ne l’ont pas faite, et qui auraient pu la faire.

Les sophismes (1) à (4)  relèvent de la psychologie individuelle.
Les sophismes suivants, de 5 à 9, énumèrent les pièges de l’argumentation en interaction.

(5) « Ceux qui ont raison, & ceux qui ont tort parlent presque le même langage »

Tout est dans le presque :

Il n’y a presque point de plaideurs qui ne s’entr’accusent d’allonger les procès, & de couvrir la verité par des adresses artificieuses* ; & ainsi ceux qui ont raison, & ceux qui ont tort parlent presque le même langage, & font les mêmes plaintes, & s’attribuent les uns aux autres les mêmes défauts. (*des artifices  ;  p. 261-262).

De ce constat dérive une recommandation, à l’adresse « des personnes sages et judicieuses », que l’on peut désigner comme une Première Règle :

[établir suffisamment] la verité & la justice de la cause qu’ils soutiennent (p. 265),

avant de passer à la méta-discussion critique sur la façon de discuter de leurs opposants. Ceci présuppose que l’argumentateur est capable d’établir la vérité et de rendre la justice hors dialogue.

(6) « La contradiction maligne et envieuse »

“C’est un autre que moi qui l’a dit, cela est donc faux : ce n’est pas moi qui ai fait ce Livre, il est donc mauvais”. C’est la source de l’esprit de contradiction si ordinaire parmi les hommes, & qui les porte, quand ils entendent ou lisent quelque chose d’autrui, à considérer peu les raisons qui les pourraient persuader, & à ne songer qu’à celles qu’ils croient pouvoir opposer. (p. 266).

De ce constat dérive une nouvelle recommandation sur la façon de se comporter vis-à-vis de ses opposants, soit une Deuxième Règle : « n’irriter que le moins qu’on peut leur envie & leur jalousie en parlant de soi », et « se cacher dans la presse* », c’est-à-dire ne pas se singulariser. (*la foule ; p. 266)

(7) « Les contredisans » ; « l’esprit de dispute »

Ainsi, à moins qu’on ne se soit accoûtumé par un long exercice à se posséder parfaitement, il est difficile qu’on ne perde de vûe la vérité dans les disputes, parce qu’il n’y a gueres d’activité qui excite plus les passions. (P. 270)

C’est ce qui rend les disputes interminables (ibid.). D’où la recommandation adressée aux disputeurs, Troisième Règle :

Ils n’accuseront jamais leurs adversaires d’opiniatreté, de temerité, de manquer de sens commun, avant que de l’avoir bien prouvé. Ils ne diront point, s’ils ne l’ont fait voir auparavant, qu’ils tombent en des absurdités & des extravagances insupportables : car les autres en diront autant de leur côté. (Id.)

On prendra soin « de ne tomber pas soi-même le premier dans ces defauts » (p. 271). Le défaut est dénoncé non pas comme violation d’un principe logique mais par une petite comédie de mœurs où est mis en scène un dialogue de sourds (p. 270-271). L’éducation au débat n’est pas confiée à la logique dialectique mais au théâtre.

Les observations (6) et (7) ont un lien évident avec le péché de contentio, V. Péchés de langue; Consensus et dissensus.

De la constatation que « parler de soi-même et des choses qui nous concernent » peut « exciter l’envie et la jalousie » découle une nouvelle recommandation : lorsqu’on défend la vérité, il convient de ne pas s’exhiber ; les argumentateurs devraient plutôt « chercher, en se cachant dans la foule, à échapper à l’observation, afin que la vérité qu’ils proposent puisse être vue seule dans leur discours » (p. 273).

(8) « Les complaisans »

Car comme les contredisans prennent pour vrai le contraire de ce qu’on leur dit, les complaisans semblent prendre pour vrai tout ce qu’on leur dit ; & cette accoûtumance corrompt premièrement leurs discours, & ensuite leur esprit.

Ce sophisme d’acceptation sans examen anticipe sur la fallacie de modestie (ad verecundiam) définie par Locke. Sont visés ceux qui « au milieu de la contestation se mutinent à se taire, affectant un orgueilleux mépris ou une sottement modeste fuite de contention », c’est-à-dire de la dispute (p. 270-271 ; nous soulignons).

(9) « Défendre son sentiment et non pas la vérité » — L’attachement à sa façon de penser fait que

L’on ne regarde plus dans les raisons dont on se sert si elles sont vraies ou fausses ; mais si elles peuvent servir à persuader ce que l’on soutient ; l’on emploie toute sorte d’arguments bons et mauvais, afin qu’il y en ait pour tout le monde. (p. 272).

C’est en somme ce que disait déjà le sophisme (1), avec la précision que non seulement la justification du préjugé remplace l’argumentation du vrai, mais que ces causes jugées bonnes s’accommodent fort bien d’être soutenues par de mauvais arguments.

Pour clore cette section, la Logique formule une nouvelle recommandation, qui correspond à une sorte de Règle préliminaire :

N’avoir pour fin que la verité, & n’examiner avec tant de soin les raisonnemens, que l’engagement même ne puisse pas tromper.  (p. 274).

— Mais c’est précisément ce que dira de lui-même chacun des disputeurs, voir (5). À travers cette recommandation se lit l’échec pratique de l’entreprise de dénonciation des sophismes.

3. Raisonnements scientifique vs raisonnements fallacieux :
Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, 1690

Dans une brève section de l’Essai, Locke présente

quatre sortes d’arguments dont les hommes ont accoutumé de se servir en raisonnant avec les autres hommes, pour les entraîner dans leurs propres sentiments, ou du moins pour les tenir dans une espèce de respect qui les empêche de contredire » ([1690], L. IV, chap. 17, De la raison, § 19-22) :

Ces arguments sont les arguments :

Ad judicium V. Fond
Ad verecundiam – V. Modestie
Ad ignorantiam –  V. Ignorance ; Vertige
Ad hominem.

Leur définition est conforme à la définition rhétorique de l’argument comme moyen de pression exercée sur l’auditoire, V. Logos – Ethos – Pathos.

Locke redéfinit la notion de fallacie hors de toute problématique aristotélicienne, et reconnaît comme seuls valides les arguments sur le fond (ad judicium), c’est-à-dire les « preuves tirées de quelqu’une des sources de la connaissance ou de la probabilité », éclairée par « une lumière qui naît de la nature des choses elles-mêmes » ([1690], p. 573-574). Il rejette les trois premiers arguments au motif que, au mieux, ils peuvent « me disposer peut-être à recevoir la vérité, mais il ne contribue en rien à m’en donner la connaissance » :

Car I. [ad verecundiam] de ce que je ne veux pas contredire un homme par respect, ou par quelque autre considération que celle de la conviction, il ne s’ensuit point que son opinion soit raisonnable. II. [ad ignorantiam] Ce n’est pas à dire qu’un autre homme soit dans le bon chemin, ou que je doive entrer dans le même chemin que lui par la raison que je n’en connais point de meilleur. III. [ad hominem] Dès-là qu’un homme m’a fait voir que j’ai tort, il ne s’ensuit pas qu’il ait raison lui-même. Je puis être modeste [ad verecundiam], et par cette raison ne point attaquer l’opinion d’un autre homme. Je puis être ignorant [ad ignorantiam], et n’être pas capable d’en produire une meilleure. Je puis être dans l’erreur [ad hominem], et un autre peut me faire voir que je me trompe. Tout cela peut me disposer peut-être à recevoir la vérité, mais il ne contribue en rien à m’en donner la connaissance : cela doit venir des preuves, des arguments, et d’une lumière qui naisse de la nature des choses mêmes, et non de ma timidité, de mon ignorance, ou de mes égarements. (Id)

On remarque que si les trois arguments fallacieux correspondent bien à des schémas d’argumentation, l’argument ad judicium ne correspond pas à un seul schéma d’argumentation mais à tout type de raisonnement reconnu comme scientifiquement valide.

Leibniz ([1765]) a nuancé cette vision des arguments fallacieux (voir aux entrées mentionnées ci-dessus).

NB
— L’approche aristotélicienne est introduite sous Fallacieux 3 : Aristote.
— Les approches contemporaines de la notion de fallacie sont présentées sous Fallacieux 2 : Définitions – Théories – Listes.


 

Fallacieux 3 : Aristote

Fallacieux 3 : LES LISTES D’ARISTOTE

Aristote distingue six fallacies liées au langage et sept paralogismes hors du discours. Seules certaines sont de nature inférentielles, les autres sont  liées à la violation des règles du jeu dialectique.

Les études d’argumentation se rattachent à deux sources aristotéliciennes, d’une part, les théories rhétoriques et dialectiques, exposées dans la Rhétorique et les Topiques, et d’autre part l’analyse critique des enchaînements fallacieux (paralogismes, enthymèmes apparents) dans les Premiers Analytiques, la Rhétorique et essentiellement dans les Réfutations sophistiques. Cette dernière ligne est à la base du « traitement standard des fallacies » dont Hamblin a retracé l’histoire (Fallacies, 1970).
— Les définitions des Réfutations sophistiques sont reprises par tous les ouvrages qui traitent des argumentations fallacieuses. L’intitulé  “Réfutations sophistiques” est ambigu : d’abord, selon la plaisanterie traditionnelle, il ne s’agit pas “d’une description adéquate du contenu de l’ouvrage”, c’est-à-dire d’un ensemble de réfutations (portant sur des thèses déterminées) qui seraient sophistiques, mais “des réfutations des argumentations des sophistes”. L’objet de l’ouvrage est l’analyse des réfutations telles que les pratiquent les sophistes.
Aristote y distingue deux classes de paralogismes, les paralogismes liés au langage et les paralogismes hors du langage. Par “langage”, il faut entendre langage utilisé dans le raisonnement, le discours contrôlé du raisonnement dialectique, V. Dialectique.

— À côté de la liste des 28 schèmes argumentatifs énumérés dans II, 23, la Rhétorique énumère dix « lieux des enthymèmes apparents » (Rhét., II, 24, 1400b35-01a5 ; Chiron, p. 403-412), qui sont des « paralogismes dus aux procédés de raisonnement », (Rhét. II, 24, note 1 à 1401b1 ; Dufour, p. 127). Ce voisinage pourrait laisser penser que les 28 enthymèmes de Rhét., II, 23 sont logiquement valides, ce qui n’est pas le cas, V. Typologies, anciennes) ; Expression.

1. Les paralogismes des Réfutations sophistiques

Six paralogismes liés au discours [in dictione] — « Les vices qui produisent la fausse apparence d’un argument en dépendance du discours sont au nombre de six : ce sont l’homonymie, l’amphibolie, la composition, la division, l’accentuation et la forme de l’expression » (Aristote, R. S. 165b, 20-30 ; p. 7).

Sept paralogismes hors du discours [extra dictionem] — Les paralogismes dits, de manière purement négative “hors du langage”, correspondent en fait à des erreurs de méthode et de raisonnement :

Pour les paralogismes indépendants du discours, il y en a sept espèces : premièrement, en raison de l’accident ; secondement, quand une expression est prise au sens absolu ou non absolu, mais sous un certain aspect, ou en considérant le lieu, ou le temps ou la relation ; troisièmement, en raison de l’ignorance de la réfutation ; quatrièmement, en raison de la conséquence ; cinquièmement, en raison de la pétition de principe ; sixièmement, c’est de poser comme cause ce qui n’est pas cause ; et septièmement, c’est de réunir plusieurs questions en une seule. (R. S., 166b, 20-30 ; p. 14)

Tableaux des paralogismes (enthymèmes apparents) — Ce tableau présente la liste des paralogismes des Réfutations Sophistiques. La première colonne les nomme d’après cet ouvrage, et renvoie à l’entrée qui traite du paralogisme considéré. Ces entrées prennent en compte, le cas échéant, les réflexions sur les paralogismes contenues dans la Rhétorique.
Première colonne : Les paralogismes des Réfutations Sophistiques (trad. Tricot).
Seconde colonne : Terme latin encore usité — Terme anglais — Entrée correspondante.

Six paralogismes « tenant au discours »
R. S., 165b-167a ; p. 7-14 — lat. in dictione ; ang. dependant on language ; verbal fallacies
1. Homonymie lat. æquivocatio — ang. ambiguity, equivocation, homonymy — V. Homonymie
2. Amphibolie lat. amphibolia — ang.amphiboly  ­­— V. Ambiguïté
3. Composition
4. Division
Lat. fallacia compositionis — ang. composition of words
Lat. fallacia divisionis — ang. division of words — V. Composition et division
5. Accentuation lat. fallacia accentis — ang. wrong accent — V. Paronymie
6. Forme du discours lat. fallacia figuræ dictionis — ang. form of expression ; misleading expression —
V. Expression

 

Sept paralogismes « indépendants du discours »
R. S., 166b-168b ; p. 14-23) (lat. extra dictionem ; ang. outside of language
1. « L’accident » (p.14) lat.fallacia accidentis — ang. accident
V. Accident ; Définition ; Catégorisation
2. « Quand une expression employée particulièrement est prise comme employée absolument » et inversement (p. 15) lat. a dicto secundum quid ad dictum simpliciter — ang. the use of words absolutely or in a certain respect
V. Circonstances; Distinguo
3. « on n’a pas défini ce qu’est la preuve ou la réfutation » (p. 17) lat. ignoratio elenchi ; ang. misconception of refutation ; evading the question ; red herring — V. Pertinence
4. « Pétition de principe » (p. 19) lat. petitio principii ; ang. assumption of the original point ; begging the question — V. Cercle vicieux
5. « en raison de la conséquence » (p. 14) lat. fallacia consequentis — ang. consequent 
Implication, Déduction, Causalité, Conséquence
6. « on prend comme cause ce qui n’est pas cause » (p. 20) lat. non causa pro causa — ang. non cause as cause
V. Causalité
7. « on réunit plusieurs questions en une seule » (p. 22) lat. fallacia quæstionis multiplicis — ang. many questions ; complex question V.  Questions chargées

Cette terminologie traditionnelle peut paraître obscure, mais le sens de l’entreprise est parfaitement clair. Il s’agit d’élaborer, par le biais d’une critique du langage et du discours, un programme de “grammaire pour l’argumentation”, dont la visée est de favoriser la production d’argumentations ouvertes, compréhensibles et critiquables.

2. Fallacies, jeu dialectique et inférences

Dans la terminologie contemporaine, on appelle fallacy une inférence invalide. Or, d’après Hintikka, la notion de fallacie, au sens aristotélicien, renvoie bien à quelque chose d’invalide, mais pas à une inférence invalide ; et par inférence, on peut entendre ici argumentation :

Je propose d’appeler “fallacie des fallacies” [fallacy of fallacies] l’erreur selon laquelle une fallacie serait une inférence invalide [mistaken inference], et j’espère qu’une fois reconnue, elle mettra un point final à la littérature traditionnelle sur les prétendues fallacies. (1987, p. 211)

Autrement dit, on ne peut pas définir une fallacie comme “une argumentation, fallacieuse” ; seules certaines fallacies peuvent être « considérées comme des erreurs d’inférence logiques ou conceptuelles » (ibid.). Positivement, Hintikka considère qu’originellement, une fallacie est un mouvement ne respectant pas une des règles du jeu dialectique. La notion de fallacie se comprend

dans le cadre de la théorie et de la pratique des jeux interrogatifs [interrogative games]. Les fallacies aristotéliciennes sont essentiellement des erreurs dans les jeux interrogatifs [questioning games], et accessoirement, il peut s’agir d’erreur dans un raisonnement déductif, ou, plus généralement, logique. (Ibid.).

C’est dans cette acception que la théorie pragma-dialectique utilise le terme.

Les fallacies liées au discours examinent les conditions de bonne formation d’une proposition, qui lui permettront de figurer comme prémisse dans une inférence syllogistique correcte ; la fallacie d’accident est le produit d’une erreur dans la méthodologie de la définition ; l’ignorance de la réfutation traduit une mauvaise conception des enjeux de la discussion et du problème, c’est une question de pertinence ; la fallacie de plusieurs questions est également un “coup interdit” dans le jeu dialectique, où l’on doit sérier les jugements et les problèmes, et ne pas impliciter les jugements. Ces différents cas manifestent clairement la nature non inférentielle des fallacies, et, pour les deux derniers, leurs liens à des contextes de discussion régis par des règles explicites et admises par les joueurs.

NB
— Les approches contemporaines de la notion de fallacie sont présentées sous Fallacieux 2 : Définitions – Théories – Listes.
— Les approches modernes de la notion de fallacie sont présentées sous Fallacieux 4 : Bacon – Port-Royal – Locke


 

Fallacieux 2 : Définitions, théories et listes

Fallacie 2 :
DÉFINITIONS, THÉORIES et LISTES

L’ouvrage de Hamblin, Fallacies (1970) a remis au centre des études contemporaines d’argumentation le courant critique issu des Réfutations Sophistiques d’Aristote. Les fallacies sont un des objets d’étude essentiels de la Logique informelle et de la Nouvelle dialectique.

1. Hamblin, Fallacies, 1970

De même que Perelman a fait revivre l’ancienne rhétorique argumentative à partir de la Rhétorique d’Aristote, Hamblin a réactivé l’autre source aristotélicienne de l’argumentation, comme théorie critique, à partir de l’ensemble Topiques Réfutations sophistiques dans son ouvrage de 1970, Fallacies, non traduit en français et peu commenté dans la littérature francophone. À sa suite, l’étude de l’argumentation a été développée comme une critique des argumentations fallacieuses, des vices du discours et du raisonnement. Le terme fallacy figure dans les titres de très nombreux ouvrages de critique du discours argumentifs en anglais.

Dans le domaine francophone, les théories de l’Argumentation dans la langue ou de la Logique naturelle n’abordent pas la question critique ; la Nouvelle Rhétorique propose une instance critique idéale, l’auditoire universel, dans une perspective différente de celle mise en œuvre dans les théories des fallacies, V. Persuader — Convaincre.

2. Le concept de fallacie

On trouve dans Fallacies les notes définitionnelles suivantes, à propos du concept de fallacy ; on remarquera que ces définitions conceptuelles correspondent étroitement à la définition lexicographique, V. Fallacieux 1 : Les mots.

Fallacy1

Le sens ordinaire de “croyance erronée”, est écarté par Hamblin :

Une fallacy est une argumentation fallacieuse […]. Dans une de ses acceptions courantes, le mot fallacy ne signifie rien d’autre que “croyance erronée” [false belief] (1970, p. 224).

En français, l’adjectif fallacieux peut avoir ce même sens : “.. l’usage fallacieux qu’on fait de la notion d’identité”.
Hamblin ajoute que certaines de ces fallacies ont reçu des noms spécifiques, alors il ne s’agit pas de fallacies au sens logique mais simplement de croyances erronées (ibid., p. 48) (voir infra).
Dans cet usage, le mot fallacy est lui-même trompeur [misleading], voire fallacieux. V. Expression.

Fallacy2

Dans ce second sens, le mot fallacy désigne une contrefaçon d’argument, pour reprendre un titre de Fearnside & Holther, Fallacies : the counterfeit of argument (1959, cité dans Hamblin 1970, p. 11) :

Selon pratiquement toutes les définitions depuis Aristote jusqu’à nos jours, une argumentation fallacieuse, est une argumentation qui semble valide mais qui ne l’est pas. (ibid., p. 12).

Cette définition reçue soulève plusieurs problèmes.

Que signifie “semble valide”?

À cause de son apparence psychologique, le mot semble a souvent été négligé par les logiciens, confortés dans leur croyance que l’étude des fallacies ne les concerne pas.  (ibid., p. 253).

Depuis Frege les logiciens formalistes ont en effet “dépsychologisé” la logique, qui, en devenant logique axiomatisée et a cessé d’être une théorie de la pensée, V. Logique, Art de penser. Du point de vue logique, la vérité est une, et si l’erreur est multiple, c’est précisément parce qu’elle est liée à la psychologie ; il n’y a pas de théorie logique de l’erreur.
En somme un fallacious argument est un argument ou une argumentation qui semblent valides à un lecteur négligent ou mal informé ; c’est le lecteur qui a un problème.

— Argument fallacieux ou argumentation fallacieuse?

Dans la définition citée supra, par « fallacious argument », Hamblin désigne une argumentation fallacieuse, puisqu’il parle de validité. Mais  le mot anglais argument peut non seulement une argumentation mais aussi un argument, V. Argument, argumenter… .
Une fallacy1 est une “croyance erronée” qui peut évidemment servir de prémisse à une argumentation. Comme l’argumentation ordinaire demande la vérité des arguments, une argumentation fondée sur une prémisse fausse est légitimement dite fallacieuse ; c’est une authentique fallacy2. Autrement dit, de cet argument fallacieux (fallacious argument1, croyance erronée) dérive une argumentation fallacieuse, soit un fallacious argument2. “Avoir l’air d’être vrai ou valide”, “avoir l’air honnête solide, admissible, croyable” est une propriété partagée par les arguments et les argumentations. Il n’y a pas de différence telle entre les premiers et les secondes qu’on puisse rejeter les uns sans rejeter les autres. Comme l’argumentation, la fallacie est un phénomène unitaire, à la fois substantiel et formel.

La distinction entre fallacie de substance (fallacies1) et de forme (fallacies2) est reprise en théorie de l’argumentation, par exemple dans le texte suivant :

On appelle parfois fallacies des postulats [assumptions], des principes, des façons de voir les choses. Des philosophes ont ainsi parlé de fallacie naturaliste [naturalistic fallacy], de fallacie génétique [genetic fallacy], de fallacie anthropomorphique [pathetic fallacy], de fallacie de réification des notions [fallacy of misplaced concreteness], de fallacie descriptiviste [descriptive fallacy], de fallacie d’intentionnalité [intentional fallacy], de fallacie d’émotions [affective fallacy], et de bien d’autres. En dehors de la philosophie, on entend aussi des gens brillants [sophisticated people] qui utilisent le mot “fallacy” pour désigner des choses qui ne sont ni des arguments ni des substituts d’arguments. Par exemple, le sinologue Philip Kuhn parle d’une “hardware fallacy” : il s’agit selon lui de la croyance erronée, courante chez les intellectuels chinois, que la Chine pourrait importer la science et la technologie occidentales sans importer en même temps les valeurs occidentales (c’est-à-dire décadentes) [1].
Fogelin & Duggan 1987, p. 255-256

La distinction forme / substance n’est pas facile à maintenir. Par exemple, la fallacie génétique, citée ici comme exemple de “façon de voir les choses”, relève en ce sens d’une définition substantielle des fallacies (fallacies1). Or cette fallacie désigne bien une forme d’argumentation (fallacy2) qui évalue les êtres et les choses en fonction de leur origine, et que d’ailleurs Hamblin admet dans sa liste des fallacies authentiques.

3. Listes de fallacies

Au chapitre intitulé « Le Traitement standard », Hamblin propose quatre listes :

(1) La liste d’Aristote dans les  Réfutations Sophistiques, V. Fallacieux 3 : Aristote

(2) Fallacies ou arguments ad —, V. Arguments en ad —

(3) Paralogismes syllogistiques V. Évaluation du syllogisme

(4) Fallacies de méthode scientifique.

Sous cet intitulé Hamblin propose les six cas suivants (ibid., p. 46):

a) Pseudo-simplicité (simplism or Pseudo-simplicity) : “L’explication la plus simple est forcément la meilleure”.

b) Linéarité stricte (exclusive linearity). Elle suppose qu’une série de facteurs s’ordonnent selon une progression strictement linéaire. La fallacie de linéarité néglige l’existence de singularités (seuils et ruptures) dans le développement des phénomènes. C’est une fallacie d’extrapolation : par exemple, la conductivité d’un métal ou d’une solution décroît régulièrement puis chute brutalement à l’approche du zéro absolu.

c) Fallacie génétique (genetic fallacy). Une idée ou une pratique sont condamnées sur la base de leur origine ou de leur provenance : “Le groupe des Méchants dit la même chose que toi”.

d) Induction invalide (invalid induction), V. Généralisation ; Induction ; Exemple.

e) Statistiques insuffisantes (insufficient statistics) : critique de l’usage laxiste des statistiques.

f) Généralisation hâtive  (hasty generalisation), qui peut correspondre à la fallacie d’accident ou d’induction.

Fogelin (voir supra) ajoute les fallacies suivantes :

g) L’appel au naturel, ou fallacie naturaliste (appeal to nature, naturalistic fallacy). Moore définit cette fallacie de valorisation du “naturel” de la façon suivante : « soutenir [to argue] que quelque chose est “bon” [good] parce que c’est naturel ou “mauvais” [bad] parce que ce n’est pas naturel est certainement fallacieux ; et pourtant, de tels arguments sont très fréquents » (Moore [1903], p. 45).
Cette remarque revient à dire que le mot naturel a une orientation argumentative positive, pour bien des gens, mais pas pour le groupe auquel l’auteur s’identifie. La fallacie du naturel s’accompagne nécessairement d’une gamme de fallacies de valorisation de l’artificiel, du culturel, etc., V. Orientation ; Force des choses.

h) La fallacie descriptiviste (descriptive fallacy) est une forme de fallacie dite d’expression, V. Formulation trompeuse.

i) Fallacie de réification des notions : Whitehead a introduit l’expression (fallacy of misplaced concreteness) dans le domaine de la philosophie des sciences, pour désigner l’erreur consistant à oublier la distinction entre le modèle et la réalité, et, plus généralement, entre les mots et les choses.

j) Fallacie d’intentionnalité (intentional fallacy), est surtout invoquée en analyse littéraire, pour condamner les interprétations d’une œuvre fondées sur des intentions attribuées à l’auteur.
On note que, à l’inverse, dans le domaine du droit, l’argumentation fondée sur les intentions du législateur est reconnue comme pertinente.

k) Les fallacies d’engagement émotionnel (affective fallacy), V. Émotion ; Pathos.

4. “Logique non formelle” et “Pragma-dialectique”

À la suite de Hamblin, à partir des années 1970, la littérature sur les fallacies a connu des développements considérables, avec les travaux en logique informelle et en pragma-dialectique. D’une façon générale, ces travaux ont bien mis en évidence la nécessité d’une prise en compte systématique des contextes (linguistique et non linguistique) dans lesquelles s’exerce le raisonnement langagier ordinaire.
Woods et Walton représentent une première génération post-Hamblin, qui s’est interrogée sur les conditions logiques et pragmatiques de validité d’argumentations à première vue fallacieuses (Woods & Walton 1989, 1992). Woods met l’accent sur les « erreurs de raisonnement », insistant sur la nécessité du formalisme (Woods 2004, 2013). Walton a notamment développé et systématisé une nouvelle vision des schémas d’argumentation incluant leurs « conditions de réfutation » (Walton & al., 2008). La définition de l’argumentation se rapproche de plus en plus de celle du raisonnement par défaut (presumptive reasoning).

Les approches dialectiques développées à partir de Hamblin s’intéressent à la forme et à la structure des systèmes de règles pouvant servir de norme à l’argumentation. La théorie pragma-dialectique est un système de ce type (Eemeren et Grootendorst 1992). Elle propose un système de dix règles dont l’observation est une condition de réussite de l’échange argumentatif. Toute violation d’une ou plusieurs de ces règles, commise par l’une ou l’autre partie, quel que soit le stade de la discussion, porte préjudice à la tentative de résolution rationnelle de la différence d’opinion, et doit en conséquence être considérée comme un mouvement [a move] incorrect dans la discussion. Un tel mouvement constitue une fallacie (Eemeren et Grootendorst, 1995, s. p.).
En résumé, “Si vous voulez faire avancer votre discussion dans le sens de la résolution rationnelle de votre différend, vous avez plutôt intérêt à suivre cette procédure et à éviter tel et tel type de manœuvre, qui sont fallacieuses, c’est-à-dire contre-productives”.

Vouloir résoudre rationnellement un différend est la manifestation d’une volonté spécifique, légitime, qui n’est évidemment pas prérequise pour argumenter. On peut aussi argumenter non pas pour résoudre rationnellement le différend, mais pour le résoudre à son profit, à moindre mal, à tout prix, pour en finir avec cette histoire, pour établir la vérité, pour exprimer ses émotions, pour renforcer son ego, pour passer le temps… On peut également ne pas être intéressé à le résoudre, mais plutôt à l’approfondir ; par exemple lorsque la question est émergente on peut trouver plus intéressant, voire plus rationnel, de bien poser le problème et d’approfondir le différend plutôt que de s’attacher à le faire disparaître prématurément.

5. Critique d’une approche des fallacies

L’argumentation langagière se déroule dans des contextes où la question de la vérité est suspendue et parfois le restera au terme du débat. Elle s’exerce également dans le domaine de la décision à prendre d’urgence, alors qu’on est loin de disposer de toutes les informations nécessaires, et que, même si on les avait, la décision n’en découlerait pas mécaniquement.
Les arguments touchent des domaines de savoir différents, ils sont fortement hétérogènes ; il y a des arguments intéressants, qui contiennent une part de vérité, vérité dont on dit qu’il est rare qu’elle soit entièrement dans le même camp.
Il est donc difficile de faire intervenir un idéal régulateur unique dans toutes les situations argumentatives. D’autre part, un locuteur peut avancer un argument faible voire douteux, à titre exploratoire, tout en soulignant explicitement son caractère incertain : il n’y a là rien de fallacieux. Il est donc difficile de s’en tenir à une approche des fallacies fondée sur des concepts binaires de vérité et de validité tels qu’ils sont définis en logique traditionnelle pour seuls idéaux régulateurs de l’argumentation.

5.1 Atomisme discursif

La réduction de l’analyse de l’argumentation à la recherche des arguments et à leur validation / invalidation éventuelle suppose une première opération de découpage d’un bref passage discursif dans lequel l’analyste croit déceler tel argument ou tel paralogisme. Mais l’opération de base, la délimitation du fragment discursif pris en considération doit elle-même être techniquement justifiée. Elle est fallacieuse si le segment a été mal découpé, V. Balisage ; Connecteurs argumentatifs ; Morphèmes argumentatifs. L’argument est situé dans un contexte plus vaste délimité par la portée de la question argumentative, incluant non seulement les répliques des adversaires, V. Stase ; Question, l’environnement argumentatif de l’argument doit être traité avec l’argument lui-même, mais également d’autres débats sur la même question.

5.2 Mise hors-jeu de l’évaluateur

Qui porte le diagnostic de fallacy ? En principe le logicien, ou le quasi-logicien, supposé occuper la fonction “méta” d’évaluateur de manière neutre et objective, comme s’il n’avait pas d’intérêt pour la question substantielle déterminant les argumentations, mais seulement un intérêt pour la correction logique des discours, évaluée en fonction de règles a priori et externes au débat particulier qu’il s’agit d’évaluer. Des programmes entiers d’enseignement sont construits sur ce présupposé. Or cette position est difficilement tenable et pas forcément souhaitable dans le cas d’argumentations portant sur des questions éthiques ou sociales brûlantes [actual, practical argument]. Hamblin (1970, p. 244), le souligne fortement,  V. Normes. Les participants sont les premiers évaluateurs, et les évaluateurs ne sont pas hors-jeu, ils sont des participants comme les autres.

5.3 Élimination de la langue naturelle

Tous ces éléments  — mise hors-jeu de l’évaluateur, atomisme, réductionnisme — se retrouvent dans le conseil pratique par lequel se termine l’article de l’Encyclopedia of Philosophy sur les fallacies :

Un des instruments les plus efficaces contre les fallacies est la condensation par laquelle on extrait la substance de l’argumentation d’une masse de verbiage [a mass of verbiage]. Mais cette technique a aussi ses dangers : elle peut conduire à une simplification excessive, en d’autres termes au paralogisme a dicto secundum quid, qui omet certains traits pertinents de l’argumentation examinée. Quand nous suspectons une fallacy, nous devons d’abord dégager exactement l’argumentation ; et, en général, la meilleure façon de faire est d’en extraire d’abord les caractéristiques principales, puis de tenir compte de toutes les subtilités et de toutes les restrictions pertinentes. (Mackie 1967, p. 179)

Tout le monde en conviendra, mais les détails de la mise en pratique restent à déterminer. Même si l’on était d’accord avec la méthode, le problème de la mise en œuvre de la solution proposée resterait non résolu, rien n’étant dit sur la façon de traiter le langage naturel et la parole, perçus de manière quelque peu contradictoire comme un médium sans substance, mais pourtant vicieux.
Les argumentations communes sont menées en langue naturelle, accusée de travestir la logique, en lui ajoutant du verbiage insignifiant, d’être le vecteur de l’erreur, et de permettre le camouflage des intérêts égoïstes sous couvert de poursuite de la vérité. Dès lors, l’analyse des arguments et l’élimination des fallacies supposent le contournement du langage. La fée argumentation doit se dépouiller les oripeaux langagiers de la sorcière rhétorique.
À quoi on peut objecter que la langue naturelle est à l’argumentation naturelle ce que la résistance de l’air est au vol de la colombe légère :

C’est ainsi que la colombe légère, pourrait croire lorsqu’elle fend d’un vol rapide et libre l’air dont elle sent la résistance, qu’elle volerait encore plus rapidement dans le vide. (Kant [1781], p. 43)

La langue naturelle n’est pas un obstacle mais la condition de l’argumentation ordinaire.

5.4 Le diagnostic de fallacie doit être justifié 

La critique de l’argumentation n’échappe pas à l’argumentation. D’une façon générale, le concept de fallacie est un concept critique, qui doit lui-même être critiqué, ce qui ne signifie pas qu’il est sans pertinence. Dire qu’une argumentation est fallacieuse est une affirmation diagnostique, qu’on suppose appuyée par de bonnes raisons. Dans un second temps, l’argumentateur dit fallacieux peut exercer son droit de réponse et s’employer à réfuter l’accusation de sophisme; dans tous les cas, l’analyste doit tenter de faire entendre la position d’un challenger, comme le fait le modèle de Toulmin.

Cette réponse peut elle-même être contestée, et ainsi de suite. La clôture intervient sur décision des participants,le jeu lui-même n’ayant pas de principe de clôture.


[1] Exemple remarquable des conditions historiques sous-tendant le diagnostic de fallacy, si l’on considère la situation actuelle (2021).