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Sorite Chinois

SORITE CHINOIS


S
orite progressif et régressif

Masson-Oursel (1912) [1] oppose le sorite progressif et le sorite régressif.
— Le sorite progressif part d’une première étape, d’un état initial où s’amorce le processus, et énumère les étapes de son développement menant jusqu’à un but ou un résultat ultime.
— Le sorite régressif part du but ou du résultat, et  énumère les étapes à rebours, en remontant jusqu’à un état initial, source du développement qui vient d’être retracé.

Schème d’inférence  temporel  dans le sorite progressif:
               E0 (État initial);  après E0 = E1; après E1E2; …  = Em (État final, Climax)

Dans le sorite régressif:
               Em (état final, climax;  avant Em = El; avant ElEk; …  = Eo (état initial)

Idem pour la cause et l’effet, l’antécédent et le conséquent., etc.

Selon que l’état final est désirable ou non, le sorite peut être dit positif ou négatif.
Le sorite positif progressif est pédagogique ; il précise le plan de la tâche à accomplir, plan d’étude ou de transformation de la personne. Le sorite positif régressif permet de magnifier quelque peu l’état final, il fixe l’objet du désir
Le sorite  régressif négatif est dissuasif; il s’appuie sur un enchaînement d’événements négatifs de plus en plus graves. Le sorite régressif négatif peut servir à réfuter un désir.

Le processus du sorite repose sur l’explicitation d’un mécanisme par étapes. Le sorite progressif négatif procède comme l’argument de la pente glissante ou du petit doigt dans l’engrenage (slippery slope). La différence étant que la réfutation par la pente glissante se contente souvent d’évoquer la seconde étape et tout ce qui se passe avant que ne surgisse la catastrophe finale. Le sorite précise les étapes, mais se montre tout aussi discret sur les processus.

La grande étude en deux sorites

Le bref traité de Confucius intitulé La Grande Étude  (Dàxué ,Great Learning) articule un premier sorite régressif suivi d’un sorite progressif sur un contenu identique.

Le sorite régressif va du désir suprême des anciens rois, l’exaltation universelle des vertus, et pose sa raison immédiate : pour cela, il leur a fallu et il faut d’abord gouverner leur pays ; pour gouverner le pays, il leur a fallu et il faut faire régner l’ordre dans leur maison ; et ainsi de suite, on remonte à la nature des choses.

Les anciens (rois) qui voulaient faire briller les brillantes vertus dans l’univers auparavant gouvernaient leur (propre pays).
Voulant gouverner leur pays, auparavant ils faisaient régner l’ordre dans leur maison.
Voulant faire régner l’ordre dans leur maison, auparavant ils se cultivaient eux-mêmes.
Voulant se cultiver eux-mêmes, auparavant ils corrigeaient leur cœur.
Voulant corriger leur cœur, auparavant ils rendaient sincère leur pensée.
Voulant rendre sincère leur pensée, auparavant ils tendaient à développer leur connaissance.
Tendre à développer sa connaissance, c’est saisir la nature des choses.
(Trad. Masson-Oursel, 1912, p. 20; notre présentation et numérotation)

Toujours selon Masson-Oursel, ce sorite régressif correspond au sorite progressif suivant, qui prend pour première étape la personne parfaite du Sage et parvient au monde parfait.

Quand la réalité est atteinte, alors la connaissance est complète ;
quand la connaissance est complète, alors les pensées sont sincères ;
quand les pensées sont sincères, alors le cœur est rectifié ;
quand le cœur est rectifié, alors le moi est cultivé ;
quand le moi est cultivé, alors la famille est réglée ;
quand la famille est réglée, alors l’État est bien gouverné ;
quand l’État est bien gouverné, alors le monde est en paix. [3]

Les marqueurs du sorite progressif sont les suivants :
— La transition est marquée par l’expression tse, “alors” […] (Id., p. 19)
— Le schème du raisonnement est : « Ceci, alors cela ». Ainsi s’exprime en chinois le jugement hypothétique, rendu en français par si ou quand. […] — La connexion peut également « s’affirmer très énergiquement par la formule : A ne peut pas aller sans B » (id.) ce qui définit A comme une condition suffisante de B, “A => B
— « La condition première fait pour ainsi dire tache d’huile et se propage en des conditions nouvelles issues les unes des autres. Ainsi, dans Mencius IV, 1, 27, chaque terme s’unit au suivant par l’expression : “le principal fruit (chĕu) de A est B” ». (Id., p. 19).

La différence entre sorite progressif et régressif est purement dans l’organisation textuelle des étapes qui les composent. Ces étapes sont énumérées sous forme de parallélismes : “quand A, alors B”. Quand… appartient à la famille des connecteurs temporels comme à la famille “si… alors”, utilisée pour noter l’implication logique.

Masson-Oursel propose une seconde formulation exprimant la progression (ou la régression) caractéristique du sorite :

Chaque pas en avant représente une anticipation qui se justifie après coup, grâce à la formule:  “en vue de B, il y a un moyen, une voie à suivre (yeou tao) ; A étant donné, alors (seu) B est donné” (Masson Oursel, 1912, p. 20).

Le sorite progressif répond à la question : quelle sera la conséquence de tel acte initial ? le sorite régressif à la question quelles sont les conditions qui permettent d’atteindre A ?:
Le sorite progressif propose un chemin à suivre, une voie sur laquelle sont marquées des étapes successives. On est  autant dans le registre de la méthode que de l’inférence logique. Le sorite régressif énumère les conditions sous lesquelles il est possible d’atteindre un but souhaité.
En somme, le sorite propose un chemin à suivre, une “Voie” sur laquelle sont marquées des étapes successives. On serait alors plus dans le registre de la méthode, ou du parcours,  que de l’inférence logique.


[1] Masson-Oursel, Paul 1912. Esquisse d’une théorie comparée du sorite. Revue de Métaphysique et de Morale, 20e année, n° 6, novembre 1912. 810-824. Cité d’après Études de philosophie comparée, p. 20. Chineancienne, Pierre Palpant 2006, p.20. http://classiques.uqac.ca/classiques/masson_oursel_paul/etudes_philo_comparee/etudes_philo_comparee.html
[2] Confucius,Tseng-tseu Ta Hio, ou La Grande Étude. Trad. par Guillaume Pauthier. La Revue Encyclopédique, tome LIV, avril-juin 1832, pages 344-364. Cité d’après Chineancienne, P. Palpant www.chineancienne.fr

Secundum quid

Fallacie SECUNDUM QUID
ou fallacie d’OMISSION DES RESTRICTIONS LINGUISTIQUES PERTINENTES


L’étiquette “fallacie d’omission des restrictions linguistiques pertinentes” cherche à rendre la définition latine “fallacia a dicto secundum quid ad dictum simpliciter” soit

fallacie par laquelle on passe d’une affirmation restreinte (a dicto secundum quid) à une affirmation  absolue, (ad dictum simpliciter).
dictum, “parole, mot”
secundum quid, “derrière quelque chose” marque la dépendance
simpliciter
, “simplement, isolément, séparément”, d’où absolument.

La préposition a marque le point de départ, l’affirmation originelle, et la préposition ad le point d’arrivée, l’affirmation transformée.
L’étiquette “fallacie secundum quid” est détachée de cette définition. Elle reprend le point fondamental, l’idée de termes liés, conditionnés, inséparables d’une construction plus ample.

Supposons que la séance se soit mal terminée pour Pierre, et qu’il soit sorti de la pièce. On peut rapporter cet épisode en disant (1) “Pierre a pris la porte”. Dans les circonstances normales de la conversation, on ne peut ni inférer ni comprendre que (b) “Pierre a pris quelque chose”, et demander (c) “qu’est-ce qu’il a pris ?”. Dans l’expression figée pris la porte, pris est utilisé secundum quid, dans (b) et (c) il est utilisé simpliciter, dans son sens le plus courant.

Cette fallacie fait partie de la liste originelle des fallacies dressée par Aristote, qui la considère comme une fallacie hors du langage. Il s’agit de distinguer « si une expression est employée au sens absolu ou sous un certain aspect excluant son sens propre », car la fallacie survient,

quand une expression employée particulièrement est prise comme employée absolument. Tel est l’argument* : Si le non-être est objet d’opinion, le non-être est.
(*) “comme c’est le cas dans l’argument suivant”
Aristote, R. S., 5, 166b35 ; p. 15

De cet argument, on tire la conclusion suivante : [Si tu dis que le non-être est objet d’opinion, alors tu dis que le non-être est].

— Dans cette argumentation, l‘argument proprement dit est « le non-être est objet d’opinion », en d’autres termes, “certaines personnes défendent des opinions au sujet de ce qui n’est pas, de ce qui n’existe pas, du néant”. C’est un énoncé sémantiquement complet, syntaxiquement intégré, correspondant à un acte de parole unique, et qui se trouve être vrai.
— On tire de cet argument la conclusion que « le non-être est ». Cette conclusion est construite en soustrayant de l’énoncé argument le segment “objet d’opinion”. L’énoncé est relu comme suit “[Si tu dis que le non être est objet d’opinion, alors tu dis que le non être est]”

Cette argumentation est un sophisme. Dans l’argument, est est un pur support de la prédication, dont tout le contenu sémantique est donné par l’attribut “objet d’opinion”. Dans la rude terminologie utilisée dans la traduction, est est employé secundum quid, en dépendance de “objet d’opinion”. Dans le second énoncé, est est employé absolument, comme prédicat d’existence.

Radicalisation de la position citée par suppression des limites qu’elle s’imposait

Dans des cas moins sophistiqués, la manipulation permet de radicaliser les affirmations de l’adversaire par suppression des qualifications qui restreignaient la portée de l’affirmation originelle. Ce qui avait été affirmé sous réserve, dans un contexte particulier, avec des intentions bien précises est radicalisé :

L dit : “En temps de pandémie, il est nécessaire de restreindre la liberté de circulation”
Première reprise : Il a dit qu’il fallait restreindre la liberté de circulation.
Autre reprise : Il a dit qu’il fallait restreindre les libertés.

À l’accusation de raisonnement manipulatoire, on répond en disant que l’intention de ceux qui restreignent la liberté de circulation en temps de pandémie est de restreindre la liberté de circulation en général, pour, dans une troisième phase, restreindre les libertés tout court, V. Mobiles

Inversion de l’orientation argumentative de la position citée

La manœuvre est particulièrement vicieuse lorsqu’elle fait prendre en charge par un locuteur ce qu’il avait fait dire à un énonciateur auquel il ne s’identifiait pas, autrement dit, on lui fait prendre en charge ce qu’il n’avait admis qu’à titre de concession :

Premier Ministre, PM : — 1. La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais 2. elle doit en prendre sa part. (Notre numérotation)
Reprise par un opposant politique O :Comme le dit notre Premier Ministre, “La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde.

 

Dans l’affirmation P1, le PM cite une position politique, soutenue par des énonciateurs non précisés, qui, reformulée de son point de vue, donne “La France peut accueillir toute la misère du monde”, et, il rejette cette position.

Son adversaire O cite 1. sans le lier à 2., qui préconise un aoccueil des réfugiés. O préconise la fermeture des frontières, se fait un allié du Premier Ministre qui en fait rejette cette position de fermeture.

Alors que le PM citait le propos 1. pour le rejeter, O le lui fait prendre en charge.

 

Dans un contexte d’opposition politique radicale ou d’interrogatoire policier, tous les coups capables de déstabiliser l’interlocuteur sont permis, et il vaut mieux éviter de parler polyphoniquement, ou par antiphrase.

1.4 Omission du contexte non linguistique du dire

 

Dans les cas précédents, la manipulation portait sur des énoncés extraits de leurs contextes linguistiques explicites, effaçant ainsi les limites qui fixaient expressément la portée de ce qui avait été originellement dit.

 

Il est également possible de déformer un discours en le sortant de son contexte d’énonciation ; la déformation porte non plus sur le dit, sur ce qui a été dit, mais sur le dire, sur l’état du monde auquel s’appliquait le discours. Comme les circonstances peuvent rendre vraie ou fausse une affirmation empirique, il est toujours possible de la ridiculiser en la sortant de son contexte :

 

L1 :      Il fait vraiment beau temps ! (Dit le matin, alors qu’il fait beau).
L2 :      Ah ah il fait vraiment beau (dit avec ironie le lendemain, alors qu’il pleut).

chinese rhetors

RHETORIC TO THE SINGLE-PERSON AUDIENCE

The Chinese rhetors were not public speakers but persuaders primarily in a private setting, most often talking to a one-person audience, often assumed to be the ruler or a superior. (p.12)

Rhetoric to the single person audience developped special features. (P. 12)

Guiguzi, China’s first treatise on Rhetoric. A critical translation and commentary. Translated by Hui Wu. With commentaries by Hui Wu and C. Jan Swearingen. Carbondale, Southern Illinois University Press. 2016.

atcct – Débat Tsou Yen program

Accord Argumentation dans les textes classiques chinois traduits

1. “The disputers of the Tao” (Graham): Tsou-Yen program

• Warring States :
School of Forms and Names  — hsing ming chia.
the ‘Dialecticians’ — pien che

• Han  “school of namesming chia

• Aussi :
des disputeurs, bianzhe

There was one group of philosophers which was known as the School of Names (ming chia) by Han scholars, but which during the Warring Stares period was generally known as the ‘School of Forms and Names (hsing ming chia),’ or as the ‘Dialecticians’ (pien che). Fung Yu-lan, History… T1 1952, p. 192

La tradition des “disputers of the Tao”

Tsou Yen (Zou Yan) (-340, -260?)

« The least misleading appoach to Chinese disputation is through the thinkers who actually describe and operate the apparatus of disputation, the later Mohists.» (Graham, p.19-20)

Graham prend comme point de départ de cette tradition de disputers le “programme ” de Tsou Yen

Tsou Yen (Zou Yan) (-340, -260?) « joua un rôle déterminant dans le développement de la théorie du Yin-Yang et des Cinq éléments (W), metal, wood, water, fire, earth. La succession est régie par l’alternance du yin et du yang.

“Program”

The disputation recognised throughout the world has ‘five wins and three arrivals”. Th disputant distinguishes separate kinds of things so that

The disputant distinguishes separate kinds of things so that they do not interfere with each other, arranges in sequences different starting-points, so that they do not confuse each other,

dredges his ideas and makes his meaning intelligible, and clarifies what he has to say; he shares his knowledge with others and does not busy himself with misleading them.

In this way, the winner does not fail to make his point and the loser finds what he is seeking.

When it comes to elaborating style in order to put up a pretence, adorning phases in order to make nonsense of the other’s case, using subtle comparisons to make it shift his ground, stretching what he litterally says so that he cannot get back to his own idea, to behave like this is harmful to the Great Way.

Engaging in tangled debates and competing to keep talking the longest cannot but be harmful to being a gentleman

(Graham, p. 23)

Xun zi : Comment approcher le Maître?

« Xun Zi ou Siun Tseu est un penseur chinois confucéen ayant vécu tout à la fin de la période des Royaumes combattants, au IIIe sièce av. J.-C. », (Wikipedia, Xun Zi)

Do not answer one who asks about something improper.
Do not ask questions of one who speaks on something improper.
Do not listen to one who tries to persuade you of something improper.
Do not debate with a person of combative demeanor.
Only if people approach you in the proper way should you receive them. And so, only if they follow ritual and are reverent should you discuss the methods of the Way with them.
Only if their countenance is agreeable should you discuss the pattern of the Way with them.
Only if their speech is calm should you discuss the culmination of the Way with them.
To discuss these things with those unfit to discuss them is called being presumtuous. Not to discuss these things with those fit to discuss them is called being secretive. To discuss these things without first observing the merson’s manner and countenance is called being blind.
The gentleman is neither presumptuous nor secretive nor blind; he carefully acts according to the other person’s character. The Odes says: The gentlemen are not indolent or haughty — Rewarded by the Son of Heaven shall they be.

Xunzi. The complete text. Chap. 1, “Exhortation to Learning”. Translated and with an Introduction by Eric L. Hutton. Princeton / Oxford, Princeton University Press. 2014. p. 6-7

 

 

Référence 2022-2024

Références ajoutées (2022-2024)

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Fable

FABLE

La fable est un genre littéraire argumentatif où se cumulent intentions esthétiques, politiques et didactiques. On peut la rapprocher de l’anecdote typique rapportée comme un témoignage vécu donneur de leçon politique ou sociale, et qui reste irréfutable à moins de provoquer un incident avec le narrateur.

Selon la Rhétorique d’Aristote, la fable est un des trois types d’exemples, les deux autres étant l’analogie, et le fait historique passé (ou précédent). La fable est porteuse de moralité, mais aussi de leçons sociales et politiques, comme le montre la fable du cheval voulant se venger du cerf et, ce faisant, s’est rendu esclave de l’homme, avec une application aux anciens sauveurs de la patrie qui se transforment en tyrans (Rhét., II, 20, 1393a30 ; Chiron, p. 359-360).

Une fable est un récit didactique, relativement bref, dont les acteurs sont des humains ou des animaux. Ce récit se déroule selon un schéma “situation initiale – complication – action – dénouement”, dont les différentes étapes sont rapidement parcourues.
La fable trouve son terme dans une maxime exprimant une norme morale ou sociale. Cette maxime est interprétée comme une vérité utile à la formation morale des enfants.

Si cette leçon est vue comme la conclusion tirée du récit qui l’accompagne, la fable a immédiatement une forme argumentative. Par exemple, dans “Le loup et l’agneau” (V. Réfutation par les faits), le récit présente un cas où le plus fort l’emporte contre le faible, alors que les raisons du faible sont irréfutables et que celles du fort sont nulles. La morale est une généralisation d’un constat fondé sur ce seul cas fictif, stylisé comme exemplaire.

La fable a la forme d’une paire < topos substantiel (le récit et sa morale) – enthymème correspondant (le récit fabuleux) >, soit non plus d’un énoncé, mais d’un topos autoargumenté.
Elle donne un corps à un principe argumentatif général qui sera mis en application dans des cas particuliers. L’ensemble, forme et substance, constitue un schème argumentatif, une forme unique à laquelle il suffit de faire allusion pour en tirer argument.

La fable fait autorité, et peut servir de précédent prototypique pour la catégorie de faits qu’elle met en scène. Elle a dans la vie civile, les mêmes vertus que l’exemplum dans la vie religieuse. Les deux ont le même pouvoir, de persuader de manière plaisante les enfants, petits et grands.

Réfuter les fables ? En France, les Fables de La Fontaine servent de modèle à ce genre. L’institution scolaire en fait un élément idéal de consensus (V. Doxa ; Croyances de l’auditoire). Comme dans le cas de la métaphore, la meilleure réfutation d’une fable serait une autre fable. La fable déterritorialise la discussion, dans un univers d’enfance et de fiction hors d’atteinte de la réfutation.

 


 

Fausse piste

La stratégie de la fausse piste est une stratégie de diversion ayant pour but d’éviter la question, V. Pertinence.

Cette stratégie est désignée en anglais par l’expression figurée “red herring fallacy”. Le red herring est le hareng fumé, devenu plus ou moins rouge au cours du traitement, dont on dit qu’il était utilisé par les fugitifs pour lancer les chiens des traîneaux de leurs poursuivants sur une fausse piste. L’expression, très usitée en anglais, est utilisée au sens figuré pour désigner quelque chose permettant de « distraire l’attention de la question fondamentale. » (OED, Red Herring).

Un red herring est un distracteur faisant dévier la discussion vers d’autresune fausse piste.


 

Ad incommodum

    • Lat. incommodum, “inconvénient”.

L’argument ad incommodum est défini par Bossuet comme « l’argument qui jette dans l’inconvénient » ([1677], p. 131). C’est une variante de l’usage réfutatif de l’argumentation pragmatique, par les conséquences inacceptables ou contradictoires, V. Absurde.

Bossuet illustre ce schème par un exemple destiné à réfuter les doctrines des opposants au pouvoir politique absolu sur les corps et à l’autorité ecclésiastique absolue sur les âmes.

S’il n’y avoit point d’autorité politique à laquelle on obéit sans résistance, les hommes se dévoreraient les uns les autres ; et s’il n’y avoit point d’autorité ecclésiastique à laquelle les particuliers fussent obligés de soumettre leur jugement, il y auroit autant de religions que de têtes. Or est-il qu’il est faux [mais il est faux] qu’on doive souffrir, ni que les hommes se dévorent les uns les autres, ni qu’il y ait autant de religions que de têtes. Donc, il faut admettre nécessairement une autorité politique à laquelle on obéisse sans résistance, et une autorité ecclésiastique à laquelle les particuliers soumettent leur jugement.
Jacques-Bénigne Bossuet, Logique du Dauphin [1677] [1]

La réfutation de Bossuet a la forme de deux syllogismes hypothétiques :

Sans d’autorité politique absolue, les hommes se dévoreraient : non AP D
Sans autorité religieuse absolue, les religions se multiplieraient : non AR M
Les hommes ne doivent pas se dévorer : non D
Les religions ne doivent pas se multiplie : non M
Donc il faut une autorité politique absolue :  AP
Donc il faut une autorité religieuse absolue : AR

Les deux argumentations sont présentées de façon strictement parallèle. Cet effet textuel ou stylistique a pour effet de solidariser les deux argumentations, donc les deux pouvoirs, jusqu’à l’identification. [2] Ce parallélisme est différent de celui qui est mis en œuvre dans l’argument des cas parallèles, fondé sur l’analogie de deux domaines asymétriques, un comparant et un comparé.


[1] Paris, Éditions universitaires, 1990, p. 131 (Orthographe originelle)

[2] Cette identification exclut par exemple la pluralité des religions dans une monarchie absolue, justifiant ainsi la Révocation de l’Édit de Nantes de 1685.


 

Généralisation (hâtive)

GÉNÉRALISATION

L’opération de généralisation à de nouveaux êtres ou de nouveaux cas permet d’étendre le domaine de validité d’un jugement empirique porté sur un nombre d’abord restreint d’êtres ou de cas. La généralisation peut aller jusqu’à l’affirmation de l’universalité du jugement originel.

Général, généralité

Un propos général n’est pas forcément un propos vague ou flou. Un discours d’introduction est un discours général qui renvoie à des discours plus spécifiques traitant de points particuliers. Du point de vue conceptuel, un discours général monte en abstraction pour couvrir plus d’objets, mais apporte moins d’information sur ces objets qu’une théorie particulière. L‘argument de la trop grande généralité permet de réfuter un discours général en l’accusant de ne pas préciser correctement le sens de ses termes et leur domaine d’application en fonction de ce qu’exige la question (manque de pertinence) : “Le propos est banal et envoie à des faits connus et admis par tout le monde ; il n’apporte pas d’information nouvelle ; tout cela ne fait pas avancer la discussion.”
En situation argumentative, on soutiendra un discours général en disant qu’il schématise les faits en mettant l’accent sur leurs traits essentiels, ou on le critiquera en disant qu’il appauvrit ses objets.

En sciences, la généralité d’une théorie correspond au nombre de cas dont elle peut rendre compte. Sa capacité de généralisation est sa capacité à rendre compte de nouveaux cas. C’est une qualité essentielle d’une théorie.

En droit, le principe de généralité de la loi pose que l’application de la loi n’admet pas d’exception ; l’application de la loi est universelle.

Généralisation, généralisation hâtive

En termes logiques, la généralisation est l’opération par laquelle on fait porter le jugement sur une quantité croissante d’individus (on augmente la quantité du sujet d’un prédicat), de la proposition singulière ( à sujet concret) à la proposition particulière (certains), à la proposition universelle (V. Proposition), selon la progression :

Proposition singulière, proposition à sujet (unique) concret : Paul, l’homme qui…, ce…
Proposition particulière : plusieurs / certains / quelques (-uns) / beaucoup de (des) N
Proposition universelle : Tout, tous les, les, … X

On peut distinguer différents modes de généralisation.

Généralisation sur un cas exemplaire.
À la différence de la généralisation inductive, l’argument par l’exemple et l’exemplum procèdent à partir d’un seul cas érigé en paradigme.
La généralisation inductive opère en extension, alors que l’exemple rhétorique procède en intension.

Généralisation inductive
La généralisation à partir d’une série ouverte de cas (les X que je connais) correspond au passage du quantifieur certains X à (tous) les X. Cette généralisation définit une induction valide dans la mesure où elle repose sur un constat de fait, et où elle est posée comme révisable, en fonction des nouveaux cas qui se présenteront.
La généralisation est fallacieuse si elle s’appuie sur un nombre clos et insuffisant de cas.

Généralisation hâtive
En principe, la solidité du principe affirmé dépend du nombre de cas cités. On tire argument de leur petit nombre pour rejeter les conclusions qu’on en tire :

On n’a peut-être pas assez remarqué combien est toujours dérisoirement petit le nombre de ces exemples tirés de l’histoire sur lesquels on assied une “loi” qui prétend valoir pour toute l’évolution, passée et future, de l’humanité. Celui-ci (Vico) proclame que l’histoire est une suite d’alternances entre une période de progrès et une période de régression ; il en donne deux exemples ; celui-ci (Saint-Simon) qu’elle est une succession d’oscillations entre une époque organique et une époque critique ; il en donne deux exemples ; un troisième (Marx) qu’elle est une suite de régimes économiques dont chacun élimine son prédécesseur par la violence ; il en donne un exemple !
Julien Benda, La Trahison des clercs [1927]. [3]

On remarque également que le principe général affirmé par Benda : « le nombre de ces exemples tirés de l’histoire sur lesquels on assied une “loi” qui prétend valoir pour toute l’évolution, passée et future, de l’humanité est toujours dérisoirement petit » est lui-même appuyé sur trois exemples.
Les quelques cas cités ne procèdent pas selon la logique de la généralisation inductive , mais selon celle de l’exemple rhétorique, ou, dans le meilleur des cas, de l’ecthèse. Il est très difficile de faire mieux.

Généralisation sur un trait générique,
Pour la technique essentialiste de la définition et de la classification des êtres, le trait générique est caractéristique du genre. Le trait générique est général, mais tous les traits généraux ne sont pas génériques.
La généralisation à partir d’un seul cas est fallacieuse si elle prend pour base un trait accidentel (périphérique). Elle est valide si elle ne retient que les traits génériques  (essentiels), V. Ecthèse.