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Sophisme – Sophiste

On parle de sophismes et de sophistes dans deux contextes bien distincts, en philosophie et dans le langage ordinaire.

1. Les sophistes historiques

Les sophistes historiques représentent la première école de mise en pratique d’une philosophie du langage dans l’interaction sociale. Au moyen d’interventions discursives appelées sophismes, les sophistes déstabilisent les représentations courantes sur le langage, mettent en avant son arbitraire au sens saussurien, provoquent les locuteurs naïfs pour qui le langage est transparent et non problématique. Ces discours ont moins l’intention de tromper que de mettre leurs interlocuteurs face aux paradoxes de l’expression telle qu’on la pratique ordinairement.

Dans l’Euthydème, Platon met en scène Socrate en train d’examiner les raisonnements que le sophiste Dionysodore propose à son naïf interlocuteur, Ctèsippe, dont le suivant est un exemple.

— Dis-moi en effet : tu as un chien ?
— Oui, et très méchant dit Ctèsippe.
— A-t-il des petits ?
— Oui, et aussi méchants que lui.
— Le chien n’est-il pas leur père ?
— Je l’ai vu de mes yeux, répondit-il, couvrir la chienne.
— Eh bien, le chien n’est-il pas à toi ?
— Certainement, dit-il.
— Donc, il est père et à toi, en sorte que ce chien devient ton père, et toi frère des petits chiens.
Platon, Euthydème.[1] XXIV, 298a-299d ; Chambry, Paris, Garnier. p. 141-142.

Il est évident que ce discours n’est pas fait pour convaincre Ctèsippe qu’il est fils et frère de chien. Le discours sophistique ne trompe pas ses auditeurs, il les plonge dans le désarroi ou la fureur.

Les problèmes proposés par les sophistes, comme le paradoxe du menteur ou le paradoxe du tas (sorite) restent ouverts, De même, la question éthique des premiers devoirs de l’homme reste ouverte : sont-ils définis par la société ou directement dans une négociation de personne à personne ?

[Antiphon le sophiste affirmait que] la loi, en obligeant l’homme à témoigner la vérité devant les tribunaux, nous oblige souvent à faire tort à qui ne nous en a fait aucun, c’est-à-dire à contredire le premier précepte de la justice.
Émile. Bréhier, Histoire de la philosophie, [1928][2]

La sophistique représente, avec le scepticisme, un mouvement intellectuel essentiel pour l’argumentation, V. Assentiment.
Les sophistes ont formulé le principe du débat pied à pied entre discours contradictoires, les anti-logies (Antiphon, Disc.), la notion de point de vue, la réflexion sur le vraisemblable et les paradoxes du langage. Ces positions ont été stigmatisées par l’idéalisme platonicien, qui leur a imposé des déformations dont elles ont souffert au moins jusqu’à Hegel en philosophie et que le langage courant a seules retenues.
Les anciens sophistes n’étaient pas plus des sophistes au sens contemporain du terme que Duns Scott, le “Docteur subtil” n’était a dunce, “un cancre stupide”, alors que le mot dunce provient de son propre nom, Duns.

2. Sophisme, sophiste dans le parler contemporain

Dans le langage contemporain, un sophisme est un raisonnement éristique, c’est-à-dire fallacieux, paralogique. Du point de vue interactionnel, c’est un discours embarrassant, mensonger, manipulatoire et dangereux, dénoncé comme évidemment faux mais dont la réfutation est difficile. Quel que soit le type de discours qu’on dénonce en le mettant dans la catégorie de “sophisme”, le concept est essentiel pour l’analyse de la réception polémique du discours argumentatif.

Un sophisme est un paralogisme enveloppé dans un discours malintentionné, produit pour faire perdre pied à l’adversaire. La distinction sophisme / paralogisme repose sur une imputation d’intention inavouable, qui peut ou non être portée à bon droit. Le paralogisme est du côté de l’erreur et de la bêtise ; le sophisme est un paralogisme servant les intérêts ou les passions de son auteur. En vertu du principe “cherchez à qui profite le crime”, une telle “erreur” est chargée d’intention maligne par celui qui en est le destinataire et la victime potentielle. De la description on passe ainsi à l’accusation, que l’on retrouve dans l’orientation contemporaine négative de termes comme sophisme, sophiste, sophistique (adjectif), V. Fallacie; Évaluation du syllogisme; Preuve.


[1] XXIV, 298a-299d ; Chambry, Paris, Garnier. p. 141-142.
[2] T.I. Antiquité et Moyen Âge, Paris, PUF, 1981, p. 74.


 

Site argumentatif

Certaines questions argumentatives se résolvent en un temps relativement bref (“qui va sortir la poubelle ?”) ; d’autres ne peuvent pas se résoudre aussi facilement sur le seul plan privé, et sont portées devant des institutions spécialisées et réglées.Un site ou espace argumentatif est un lieu plus ou moins dédié et institutionnalisé, où sont débattues des questions argumentatives, en fonction des normes et usages d’une culture.
Les interventions qui s’y déroulent sont planifiées notamment par les conventions qui caractérisent le site, en tout premier lieu la codification spécifique des tours et des droits à la parole. Ces règles donnent un sens et une cohérence à l’expression rationalité locale. Cette approche située permet de dépasser une vision idéalisée de l’argumentation comme exercice soumis aux seules lois de la raison dialectique, réglant les échanges verbaux entre deux acteurs artificiellement a-socialisés, V. Rôles.
La question cruciale de la charge de la preuve est liée non seulement à l’état de l’opinion générale (la doxa) au moment de la discussion, mais aussi au site où se tient la discussion, V. Charge de la preuve.

Les tribunaux et les assemblées politiques peuvent être considérés comme des forums typiques. Il existe bien d’autres forums, marchés et foires aux arguments, où les points de vue s’expriment, se confrontent et s’ajustent, où se construisent la démocratie des échanges quotidiens.
Soit la dispute sur la légalisation de la drogue en France ; elle peut être agitée en des lieux aussi divers que le compartiment de métro, la table familiale, le bistrot du coin, les médias, la salle polyvalente, la salle du parti où est mise au point la position officielle, la commission des lois, , l’Assemblée nationale, etc. Certains de ces forums ont pouvoir décisionnaire, d’autres non, et visent plutôt l’amplification du débat que sa clôture.

1. Des sites argumentatifs dédiés

Le texte suivant est extrait d’un discours prononcé par Alfredo Cristiani en 2002. Alfredo Cristiani a été président du Salvador de 1989 à 1994. Sous sa présidence ont été signés les accords de paix de Chapultepec, qui mettaient fin, en 1992, à la guerre civile entre l’extrême droite et la guérilla marxiste qui durait depuis 1980. Son discours de 2002 a été prononcé à l’occasion du dixième anniversaire de la signature de ces accords. Il souligne le rôle crucial de l’existence d’espaces dédiés à la discussion argumentées pour la vie démocratique.

On ne peut pas comprendre l’importance de ce qui s’est passé au Salvador si on se limite au passé récent. La crise qui a emporté la nation salvadorienne au courant de la dernière décennie n’est pas surgie du néant, pas plus qu’elle n’a été le fruit de volontés isolées. Cette crise si douloureuse et tragique a d’anciennes et profondes racines sociales, politiques, économiques et culturelles. Par le passé, une des failles pernicieuses de notre forme de vie nationale fut l’inexistence ou l’insuffisance des espaces et des mécanismes nécessaires pour permettre le libre jeu des idées, le développement naturel des différents projets politiques qui découlent de la liberté de penser et d’agir, en bref, l’absence d’un véritable cadre de vie démocratique.
Discours d’Alfredo Cristiani pour la cérémonie anniversaire de la signature des Accords de paix[1] ; (nous soulignons).

2. Dialectique au bord de l’Illisos

Les échanges ayant lieu sur les sites argumentatifs publics sont forcément marqués par la forte implication des participants, V. Émotion. Selon Platon, le discours sophistique règne sur les forums publics et les lieux institutionnels, en particulier sur le tribunal et l’assemblée, dominés par les sophistes professionnels.

C’est pourquoi l’interaction dialectique socratique, orientée uniquement par la recherche de la vérité, se déroule dans un lieu argumentatif très particulier et désocialisé, dans le cadre typique d’un locus amœnus un lieu et un moment parfaits : une journée chaude, un ruisseau, un arbre, une brise légère et de l’herbe pour s’allonger.

Phèdre : — Mais où veux-tu que nous allions asseoir pour faire cette lecture [du discours de Lysias] ?
Socrate :     Tournons par ici et descendons l’Ilissos ; nous nous assoirons tranquillement à l’endroit qui nous plaira.
Phèdre :      J’ai bien fait, je vois, de venir pieds nus ; pour toi, tu l’es toujours ainsi nous pourrons très bien entrer dans l’eau et nous baigner les pieds, ce qui ne sera pas désagréable, surtout en cette saison, à cette heure.
Socrate :     Avance donc, et cherche en même temps un endroit pour nous asseoir.
Phèdre :      Vois-tu là-bas ce platane si élevé ?
Socrate :     Eh bien !
 Phèdre :     Il y a là de l’ombre, une brise légère et du gazon pour nous asseoir ou, si nous voulons, pour nous coucher.
Socrate :     Avance donc !
Phèdre :      Dis-moi, Socrate, n’est-ce pas ici près, au bord de l’Ilissos, que Borée enleva, dit-on, Orythye ?
Socrate :     On le dit.
Phèdre :      N’est-ce donc pas ici ? Ce mince courant paraît si charmant, si pur, si transparent, et ses bords sont si propices aux ébats des jeunes filles !
Platon, Phèdre, II, 228b-229c, Le Banquet. Phèdre ; Chambry, p. 87-88.


[1] http://www.elsalvador.com/noticias/especiales/acuerdosdepaz2002/nota18.html (20-09-2013)


 

Silence

On peut distinguer deux statuts du silence, selon qu’il est intentionnel ou non intentionnel

— Silence non intentionnel :  absence d’information
Cette absence d’information peut être exploitée par un argument classique du silence (§1). Dans un texte juridique, le silence de la loi constitue une lacune (§2)

— Silence stratégique : choix du silence
“Silence” a ici son sens de base,  “ne rien dire”; ce silence est audible, qu’il s’agisse du silence de l’accusé (§4) ou du silence du participant ratifié à une discussion (§5)

Les médias  étant pas supposé inventer des faits, ils font normalement silence sur les faits qui n’existent pas ; leur silence sur un fait notoire attesté relève du silence stratégique (intentionnel) (§3).

1. Argument du silence du texte

Lat. argument a silentio ou ex silentio, du latin silentio, “silence”. Ang. from silence.

L’argument du silence est invoqué dans le cadre d’une recherche d’un événement ou d’un être à travers un texte (ou un corpus de textes).

— On montre que le texte interrogé est cohérent et pertinent pour la recherche
— On montre que l’être / l’événement devrait logiquement y être mentionné.
— Or le textes ne mentionnent pas cet être / cet événement.
— On conclut que l’événement lui-même n’a jamais eu lieu.

L’argument du silence dit que si les chroniqueurs ne mentionnent pas tel fait qui aurait dû attirer leur attention, c’est que ce fait ne s’est pas produit. Y a-t-il eu une tempête dévastatrice dans la région au cours d’une période donnée ? Les chroniqueurs, relèvent en principe tous les faits marquants de leur époque. Si un tel fait s’était produit,  ils  l’auraient mentionné (a fortiori, s’ils mentionnent des faits d’importance moindre). Or ils ne disent rien à ce sujet. Donc il n’y a pas eu de tempête dévastatrice pendant cette période considérée
La valeur de l’argument dépend de la quantité et de la qualité et de la documentation pertinente dont on dispose pour l’époque concernée. L’argument se renforce considérablement si on sait que les chroniqueurs notent régulièrement les événements atmosphériques.
Dans l’exemple suivant, l’argument du silence des historiographes a tout son poids:

Metz est peut-être la seule ville où les croisés n’aient pas trempé leurs mains dans le sang des juifs. Louis le Jeune, partant pour la Palestine, y assembla son armée, et cependant il n’est pas dit qu’ils y aient reçu aucun outrage. Le silence de l’histoire à cet égard vaut une preuve positive, si l’on considère que Metz avait alors des historiographes.
Abbé Grégoire, Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs, 1789. [1]

L’argument du silence est explicitement invoqué. La prolepse « si l’on considère que Metz avait alors des historiographes » répond à l’objection possible “Mais y avait-il des historiographes à Metz à l’époque ?”.

Dans ce cas, c’est la lecture de l’interprète qui produit le silence dont il tire argument. Ce silence n’est pas « audible”, le texte n’a pas choisi de rester silencieux.

L’argument sur l’ignorance affirme que puisqu’on ne peut pas prouver P, alors je dois admettre que non P.
L’argument du silence affirme que si le texte ne parle pas de P, alors non P. Dans le premier cas, il s’agit de savoir, dans le second, d’information.

1.1 Objection à l’argument du silence

On objecte à l’argument du silence que si tel fait n’est pas mentionné, c’est peut-être parce qu’il est courant et sans intérêt pour le texte considéré.
On répond ainsi à l’argument du silence par l’argument du chameau : on ne parle pas de chameau dans le Coran. Donc il n’y avait pas de chameaux dans l’Arabie du VIIe siècle, ce qui est absurde. La réfutation est belle, mais on parle de chameaux dans le Coran.

Accord
Les chameaux et le Coran: Gagnier, Gibbon, Borges et les autres

Dans son principe, l’objection est valide, et elle serait sans doute mieux illustrée par l’exemple suivant:

Le livre L’histoire de Belgique pour les nuls ne parle pas de frites.
Donc, les Belges ne n’ont jamais connu les frites. [2]

L’argument du silence est un argument indirect, qui ne peut être utilisé que par défaut, en l’absence de preuves ou d’informations directes.

1.2 Argument du silence et datation des événements

Les historiens utilisent l’argument du silence pour établir la datation relative des événements historiques, par exemple la date de publication d’un texte.

Pour être mentionné, le texte a dû être publié : la date de la mention la plus ancienne de ce texte fixe la limite supérieure (terminus ad quem) de la période où il été publié.
On peut également utiliser l’argument du silence. Marie de France a écrit les Lais (poèmes dont le thème est l’amour courtois) vers la fin du XIIe siècle. Peut-on préciser la date ? L’éditeur des Lais raisonne comme suit (d’après Rychner, 1978 [3]) :

1) « Pour dater plus précisément les Lais, on les situe par rapport aux autres œuvres de l’époque ».
2) Pour ce faire, Rychner s’appuie sur « un argument ex silentio, que l’on invoquera avec prudence, mais qu’il serait faux de négliger. »
3) « On ne relève chez Marie aucune trace certaine de la lecture de Chrétien de Troyes » [auteur du roman courtois Eneas, publié en 1178.
4) « Or j’ai peine à imaginer, pour ma part, que, l’ayant lu, elle eût pu rester si complètement elle-même et tellement différente de lui, dans son “écriture” comme dans inspiration générale. »
5) Conclusion : les Lais doivent avoir été écrit avant 1178.

Le point 4. répond à l’objection “Mais Christine de Pisan n’était pas intéressée par Chrétien de Troyes”.

2. Argument du silence de la loi

Alors que le texte du commentateur, était impeccable, le texte de la loi est lacunaire.

L’argument du silence de la loi est avancé par un juge pour motiver un refus de juger tel acte, en arguant que le Code des lois ne contient aucun article qui lui soit applicable.
L’argument du silence est récusé par un méta-principe qui impose au tribunal l’obligation de juger, sous peine de commettre un déni de justice :

Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice.
Dalloz, Prohibition du déni de justice.
[5]

L’institution répond donc à l’argument du silence de la loi par l’argument de la nécessité de l’interprétation, c’est-à-dire par l’obligation faite au juge de trouver dans le corpus de lois existant un article applicable au cas qui lui est soumis.

3. Silence des médias

Un texte informationnel est dit “silencieux” à propos d’un événement s’il ne le mentionne pas alors qu’il pourrait intéresser  son lectorat. Ce silence peut être intentionnel ou stratégique.

 À propos d’une information reçue provenant d’une source quelconque :
Tiens ! Je n’ai rien vu sur Twitter / Le journal n’en parle pas.

3.1 Silence non intentionnel

L’argument du silence des médias dit que telle chose — ce dont on parle, ce dont parle la rumeur —, n’a pas dû se produire puisque les médias n’en parlent pas.

C’est une variante de l’argument du silence classique. Les médias  étant pas supposé inventer des faits, ils font normalement silence sur les faits qui n’existent pas.
L’argument du silence fonctionne de façon routinière si l’événement est un fait divers; les médias ne disent rien de l’agression qui a tant ému le voisinage parce qu’il n’y a pas eu d’agression.

Mais pour savoir que les médias n’en parlent pas, il faut bien en avoir entendu parler. L’information sur la fausse agression apparaît lorsque la rumeur est démentie.

Dans le cas précédent, le silence de la loi correspond à une lacune de la loi. Ici, le silence des médias ne constitue pas une lacune de l’information.

3.2 Silence intentionnel

Mais si le fait est attesté et socialement ou politiquement exploitable, alors on déduit plutôt qu’il constitue une lacune suspecte dans l’information et que ce silence est une manipulation stratégique de l’information

Les médias sont silencieux sur tel point
— Parce qu’ils sont censurés par leur actionnaire principal ; par le pouvoir en place
— parce qu’ils sont des partenaires actifs du Système qui ne veut pas qu’on parle de ça ; ils entrent dans le vaste complot qui nous manipule et Satan conduit le bal.

Ce silence relève de la dissimulation, du mensonge par omission. Le silence est alors considéré comme un silence “assourdissant”, cet adjectif qui souligne le fait que l’omission est intentionnelle. On entre alors dans le processus des dénégations et démentis, et de leurs paradoxes.

4. Argument du silence de l’accusé et droit au silence

Appliqué au cas du prévenu interrogé qui refuse de répondre, l’adage courant “qui ne dit mot consent” pousse à interpréter le silence de l’accusé comme un aveu de culpabilité (V. Ignorance.)
Cette inférence est bloquée par un principe légal, le droit de se taire qui « découle du principe de présomption d’innocence », selon lequel c’est l’accusation qui doit prouver la culpabilité.
Il s’ensuit que l’accusé n’a pas à collaborer à la recherche de la vérité, qu’il a le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination (Dalloz, Droit de se taire [4])

5. Silence d’un participant ratifié

Dans une interaction argumentative où tous les participants ratifiés ont les mêmes droits à la parole, un participant peut néanmoins garder le silence.
Ce silence pleinement audible par les autres participants peut être sans lien avec la discussion : (J’ai un énorme mal de tête) ou être un acte sémiotique intentionnel
— de rejet de la discussion :  J’en ai marre de ces débats
— de réfutation visant la question discutée, V. Tranquillité :

Je n’interviens pas parce que :
— Nous n’avons pas à / je ne veux pas discuter de cela ici, maintenant, avec toi…
— Tout cela est résolu de façon satisfaisante depuis longtemps.
— Mon opinion est faite, et je n’ai pas l’intention de revenir sur ce sujet.


[1] Abbé [Henri Jean-Baptiste] Grégoire, Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs. Préface de R. Badinter. Paris, Stock, 1989, note p. 179.

[2] Je dois cet exemple à Michel Goldberg, qui m’a signalé que le Dictionnaire (2016) reproduisait l’erreur traditionnelle des chameaux et du Coran.

[3] Jean Rychner, Introduction aux Lais de Marie de France, Paris, Champion, 1978, p. X-XI

[4]  https://actu.dalloz-etudiant.fr/focus-sur/article/le-droit-de-se-taire-en-droit-penal/h/1bc5e68a0f69dab55c8216f26a7de43d.html (15-10-21)

[5] https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/prohibition-du-deni-de-justice-le-juge-ne-peut-echapper-a-levaluation-du-dommage/h/aade02cd02164fc021451a46b67f768b.html (15-10-21)


 

Serment — Promesse

1. Promesse

La promesse est une obligation librement contractée de faire quelque chose dans le futur.
Dans le langage ordinaire, la promesse est un simple renforcement  du dire ;

Je viendrai => il m’a dit qu’il viendrait
Je te promets de venir => il m’a promis de venir.

La promesse reçue est une bonne raison pour l’interlocuteur de croire en sa réalisation (Walton, V. Typologie Contemporaines).

Si Pierre a dit / promis à Paul de passer vers 8h, alors a l’obligation d’y aller. Cette obligation constitue à elle seule une bonne raison ; “On a promis d’y aller, on y va”.

Si Pierre a dit / promis à Paul de passer vers 8h, alors Paul a une bonne raison de croire que Pierre passera vers 8h, d’attendre Paul vers 8h, etc.

La promesse correspond au serment dit promissoire. Le serment purgatoire porte sur le passé et permet de se disculper d’une accusation, même hors de tout cadre juridique : “j’ai pas fait ça, je te jure / je te promets que je l’ai pas fait”.

2. Serment dans la rhétorique ancienne

Le serment dont il est question dans la rhétorique ancienne est le serment judiciaire, V. Preuves “techniques” et “non techniques”.
Prêté dans les formes requises devant le tribunal, il appelle les puissances surnaturelles à garantir de la vérité de ce qui est affirmé sous serment. Il a en conséquence la valeur d’une preuve absolue ou décisoire, devant emporter la décision. Le faux serment appelle la colère des Dieux.
Le serment décisoire certifie la vérité d’une déclaration, comme l’ordalie certifie l’innocence d’une personne :

A l’origine, le serment probatoire et décisoire ne se distingue pas de l’ordalie ou jugement de Dieu : l’ordalie est un serment en action ; le serment, une ordalie en parole. (Ibid., p. 762, col.2)

Le serment certifie la véridicité du témoignage, qui est réservé aux hommes. Le mot témoignage lui-même contient peut-être une trace du serment qui le fonde. Témoignage vient du latin testĭmōnǐum. Le mot latin testis est donné par Gaffiot comme homonyme entre “1. Témoin ; 2. Testicule”. Un lien entre les deux sens est peut-être fourni par le fait que le serment validant le témoignage aurait été accompagné d’un geste du témoin  sur ses testicules. La Genèse mentionne métonymiquement, un tel geste lors de la prestation de serment promissoire, mais sur la personne à qui on prête serment (ici, Abraham), non pas sur celle qui prête serment (ici le serviteur) :

2 Abraham dit à son plus ancien serviteur, […] : « Mets ta main sous ma cuisse 3 et je vais te faire jurer au nom de l’Éternel, […] 9 Le serviteur mit sa main sous la cuisse de son seigneur Abraham et lui jura de se conformer à ces paroles. [1]

3. Serment, charge de la preuve et présomption d’innocence

Dans le droit ancien, toute la procédure judiciaire est sous le signe du serment. Le juge, les orateurs, les parties prêtent serment, les témoins sont liés par le serment prêté par leur partie :

Dans le droit primitif, le serment des parties et celui des témoins se confondent presque, parce que les témoins se déclarent toujours pour l’une ou l’autre partie. Ils ne déposent pas sur ce qu’ils savent ; ils manifestent leurs préférences. Ils le font ouvertement, solennellement. Parents ou amis, ce sont des partisans assermentés, des cojureurs. (Daremberg & Saglio, Jusjurandum, p. 765, col. 1)

Toutes les preuves apportées par la “technique rhétorique” sont développées sur ce fond de témoignages et de serment supposées constituer des preuves absolues et décider de l’issue du procès.
Mais la force même du serment fait sa faiblesse : c’est un instrument trop puissant, que le droit a dû restreindre :

Les législateurs recherchèrent avec soin lequel des deux adversaires devait avoir un droit de préférence exclusive pour le serment ou, si on les faisait jurer tous les deux, lequel devait avoir un droit de priorité et être cru sur son serment. Le meilleur exemple de cette évolution est la loi de Gortyne. Le juge y doit juger d’après le serment de la partie dans des cas formellement déterminés lorsque la preuve ordinaire par témoignage est inapplicable ou insuffisante. Tantôt un seul des adversaires est obligé ou admis à prêter serment ; tantôt ils peuvent y être autorisés tous les deux, mais […] le plus souvent, le défendeur jure seul ou a l’avantage du serment privilégié. La règle, d’où l’on ne s’écarte que dans des circonstances spéciales, c’est encore la prestation du serment par le défendeur. (Ibid., p. 763, col. 1)

Le serment étant libératoire, chacune des parties serait sans doute heureuse de pouvoir prêter serment. Le juge doit donc arbitrer, c’est-à-dire déférer le serment, à la partie à laquelle il accorde de fait la possibilité de se disculper. En Grèce ancienne, le serment était déféré préférentiellement au défenseur, ce qui est une façon de lui accorder une présomption d’innocence, et de faire peser sur l’accusateur le poids de la charge de la preuve,

En déférant le serment au défenseur, le juge manifeste que l’accusateur n’a pas réussi à apporter la preuve incontestable de son accusation.
En pratique, le serment est déféré au défenseur pour suppléer à cette insuffisance des preuves apportées par l’accusateur. De décisoire, le serment devient simplement supplétoire.

Il s’ensuit que si la partie à qui le serment est déféré refuse de prêter serment, son refus sera considéré comme un aveu de culpabilité.

V. Force d’un argument


[1] Genèse 24, 2 et 24, 9, trad. Segond. https://saintebible.com/lsg/genesis/24.htm

 

 

Série, argumentations en –

L’argumentation  en série une argumentation où les conclusions obtenues sont immédiatement réutilisées comme arguments pour une nouvelle conclusion, jusqu’à une conclusion ultime.
L’argumentation en chaîne ou en série (ang. serial argumentation, Beardsley 1975, cité in Wreen 1999, p. 886) est également appelée argumentation subordonnée (subordinate argumentation, Eemeren et Grootendorst 1992). Elle est connue traditionnellement sous le nom de polysyllogisme ou de sorite.

L’argumentation en série se schématise comme suit :

Arg1 => Concl1 = Arg2 => Concl2 = Arg3 => … => Concln

Les argumentations élémentaires composant l’argumentation en série peuvent exploiter n’importe quel type d’argument, et avoir une structure d’argumentation simple, convergente ou liée.

Dans le cas d’une chaîne où chaque argumentation conclut par défaut, il y a un affaiblissement des conclusions au fur et à mesure que l’on tire de nouvelles conclusions sur la base des conclusions précédentes.  Dans ces séries, tout se passe comme si les poids des réfutations potentielles (Rebuttal, V. Modèle de Toulmin) allaient s’accumulant jusqu’à la rupture de la chaîne. C’est ce qui fait sans doute la principale faiblesse du raisonnement par défaut.

Argumentation en série et argumentation convergente

Certaines argumentations peuvent être représentées comme des argumentations en série ou des argumentations convergentes. L’exemple suivant est inspiré de Bassham (2003, p. 72) :

Pierre est têtu, c’est un Taureau, il ne saura pas négocier.

1. Première reconstruction, une argumentation en série

Pierre est Taureau DONC il est têtu, DONC il ne saura pas négocier.
Pierre est têtu, (EN EFFET, PUISQUE…) c’est un taureau, il ne saura pas négocier.

(A) Première argumentation (1) Pierre est Taureau, DONC (2) il est têtu.

(A.i) : Définition technique de “être un Taureau” :
« [Le Taureau] reste sur ses positions sans accepter d’en changer » [1]

(A.ii) : Instanciation de la définition et conclusion :
« Pierre reste sur ses positions sans accepter d’en changer ».

(A.iii) : Définition lexicale de têtu : « B.1a Qui est obstinément attaché à ses opinions, à ses décisions ; qui est insensible aux raisons, aux arguments qu’on lui oppose. » (TLFi, Têtu)

(A.iv) : (A.i) et (A.iii) sont dans une relation de paraphrase.

(A.v) : Conclusion, par substitution du défini (têtu) à la définition, (2) Pierre est têtu.

(B) Seconde argumentation, (2) Pierre est têtu, DONC (3) il ne saura pas négocier

(B.i) : Définition technique de négociation : « [La négociation] implique la confrontation d’intérêts incompatibles sur divers points (de négociation) que chaque interlocuteur va tenter de rendre compatibles par un jeu de concessions mutuelles » (Wikipedia, Conciliation, 20 – 09 – 2013).

(B.ii) : « Être têtu » (v. A.iii) et rentrer dans « un jeu de concessions mutuelles » sont des contraires.

(B.iii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.

(B.iv) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.

On donc affaire à une argumentation en série :

Arg1 => [Concl1 = Arg2] => Concl2

2. Seconde reconstruction, deux arguments convergent vers la même conclusion

(C) Première argumentation, (1) Pierre est un Taureau, (3) il ne saura pas négocier

(C.i) : Les deux définitions techniques (A.i) et (B.i) sont en relation de contrariété.

(C.ii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.

(C.iii) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.

ou bien :

(C.i’) : Définition technique : « le négociateur doit demeurer souple, calme, et faire preuve de sang-froid »[2]

(C.ii’) : « [la promptitude du Taureau] à accumuler aussi bien les sentiments et les rancunes le rend capable de fortes colères » [3]

(C.iii’) : (C.i’) et C.ii’) sont des contraires.

(C.iv’) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.

(C.v) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.

(D) Seconde argumentation, (2) Pierre est têtu, (3) il ne saura pas négocier :

(D.i) : (A.iii) et (B.i) sont des contraires, voir (B.ii).

(D.ii) : On ne peut pas affirmer les contraires d’un même sujet, Pierre.

(D.iii) : Conclusion : (3) Pierre ne saura pas négocier.

On a maintenant affaire à deux argumentations convergentes, qui soutiennent la même conclusion :

On peut également penser que le second énoncé “Pierre est têtu” ne fait qu’expliciter le premier énoncé “Pierre est Taureau”, et qu’il n’y a finalement qu’un seul et même argument dans cette argumentation.


 

Sens vrai du mot

La question du sens d’un mot courant est largement résolue par le recours aux dictionnaires de langue, celle d’un mot technique, par les dictionnaires spécialisés. Des désaccords peuvent cependant se manifester sur le “vrai sens” des mots ou des expressions qui jouent un rôle central dans le débat, et être formulés comme un défi porté à l’adversaire :

Qu’est-ce que ça veut dire “prestige” ?
Qu’est-ce que tu entends par “liberté” ?

On peut chercher alors le sens exact d’un mot ailleurs que dans son sens courant tel qu’il est, ou et en opposition avec lui. Chacune de ces sources du “vrai sens du mot” donne naissance à des argumentations spécifiques fondées sur :

— le sens étymologique ;
— le sens déduit de l’examen morphologique du mot ;
— le sens déduit du signifiant du mot ;
— le sens du mot correspondant dans une autre langue.

L’appel à ce genre de définition du sens du mot permet notamment de s’opposer à des discours qui utilisent le mot selon l’usage contemporain, et de produire une stase de définition, V. Définition (3).

1. Argument par l’étymologie

L’étiquette “argument par l’étymologie” correspond à différentes formes d’arguments, selon le sens que l’on donne à étymologie.
Dans certains textes modernes, sous l’intitulé « du lieu de l’étymologie » sont décrits des phénomènes qui se rattachent au lieu des dérivés (Dupleix [1607], p. 303).
Au sens contemporain, l’étymologie d’un terme correspond au sens le plus ancien du mot ou de la racine que l’on puisse identifier dans l’histoire de ce mot. L’argumentation par l’étymologie considère que ce sens ancien correspond au sens vrai et permanent de ce mot, qui a été altéré par l’évolution historique pour donner le sens contemporain, affaibli et fallacieux. À partir de ce sens ancien, elle procède comme l’argumentation par la définition :

Atome signifie insécable ; donc on ne peut pas diviser l’atome.
Démocratie signifie gouvernement par le peuple. Chez nous, le peuple ne gouverne pas, il vote. Nous ne sommes donc pas en démocratie.

Cette forme d’argumentation est soutenue elle-même par une argumentation par l’étymologie, puisque le mot étymologie calque le mot grec etumologia (ἐτυμολογία), « sens véritable ou primitif d’un mot » ; cf. etumegoria (ἐτυμηγορία) « action de dire la vérité », « discours vrai » (Pape) [1]

La connaissance de l’étymologie étant culturellement valorisée, l’argument par l’étymologie donne au locuteur une certaine posture éthotique de majesté et d’autorité savante. Il sert très bien la stratégie de destruction du discours “tu ne connais pas la langue que tu parles”, V. Destruction.

2. Argument sur la structure du mot

Lat. ex notatione; lat. notatio, « action de marquer d’un signe […] de désigner […] de noter », ainsi que « étymologie » (Gaffiot [1934], Notatio).

Dans les Topiques, Cicéron définit l’argument « ex notatione » (VIII, 35 ; p. 78), traduit par “argument par l’étymologie”. Cette traduction prend le mot étymologie au sens du mot en grec ancien, “vrai”, le “vrai” sens étant ici celui qui est reconstruit par l’analyse correcte du mot dans son domaine d’application. L’un des exemples d’argumentation discutés par Cicéron traite d’un conflit d’interprétation d’un terme juridique composé (encore en usage actuellement), le postliminium, « droit de rentrer dans sa patrie » (Top., VIII, 36 ; p. 78), c’est-à-dire du droit qu’a un prisonnier rentrant dans sa patrie de récupérer ses biens et son état antérieur à sa captivité. La discussion de Cicéron porte sur l’établissement du sens correct du mot, en s’appuyant sur sa structure linguistique, sans allusion claire à son étymologie au sens historique du terme.

L’argumentation par la structure du mot est un moyen de sortir d’un conflit d’interprétation. Elle enchaîne deux argumentations :

— La première établit la signification du mot composé sur la base de la signification des termes qui le composent et de sa structure morphologique. Cette forme d’argumentation est pertinente pour tous les syntagmes figés ou semi-figés, dont le sens dépend plus ou moins de celui des termes qui les composent ; elle relève de la technique linguistique.

—La seconde exploite la “vraie” signification ainsi établie pour une certaine conclusion juridique, selon les mécanismes généraux de l’argumentation par la définition.

3. Argument sur le signifiant du mot

La définition d’un mot se fait principalement à partir de l’examen de ses usages ordinaires et scientifiques. Le lien signifiant-signifié est arbitraire, ce qui signifie que rien dans la forme signifiante (sonore ou graphique) du mot ne permet de déduire le signifié. Par exemple, on ne peut pas déduire le sens du mot à partir de l’examen des unités de première articulation (lettres, sons, syllabes) qui le composent. Par des argumentations et des méthodes différentes, le cratylisme et la Kabale soutiennent la position contraire.

Dans l’argumentation courante, un jeu de mot sur le signifiant d’un mot peut détruire radicalement le discours de l’adversaire, en forçant le changement du thème de la conversation. Par exemple, on peut jouer sur le fait que le mot imaginer a pour anagramme migraine :

Arrête d’imaginer, tu nous donnes la migraine.

On considère que le sens “migraine” est inscrit dans le signifiant imaginer. Les principes d’association sont très divers : anagramme, paronymie, rime, calembours…

Parisien, tête de chien : à ta place, je me méfierais.
Un tireur sans cible devient presque humain [2]

Le signifiant d’un mot-clé de l’argument se retrouve, ou trouve un écho, dans la conclusion, ce qui produit un effet d’analyticité, donc de vérité ou de validité. Le discours qui associe ces termes est auto-argumenté, il jouit d’une forme d’évidence. Il est difficile à réfuter dans son cadre ; il faudrait pour cela que la rétorsion se fasse sur la base d’un autre jeu de mot, valorisant, par exemple l’acte d’imaginer ou le fait d’être parisien. Cette technique est très efficace pour déstabiliser (désorienter) le sens d’un discours, V. Orientation.

On peut aller chercher le vrai sens du mot dans d’autres langues, qui pour des raisons diverses, sont considérées comme plus proche de “l’origine” ou de “l’essence des choses”, comme le chinois ou l’anglais. Par exemple en français, les différents sens du mot crise se rattachent à deux composantes sémantiques :

I.− [L’accent est mis sur l’idée de manifestation brusque et intense de certains phénomènes, marquant une rupture] (…)
II.− [L’accent est mis sur l’idée de trouble, de difficulté]
 (TLFi, Crise)

À la recherche du vrai sens de “la crise que nous traversons” on peut appeler le chinois à la rescousse. Le mot chinois signifiant “crise” est un composé de deux signes-mots “danger” et “opportunité”. Donc les crises sont des opportunités ; et, par une argumentation fondée sur la définition chinoise, on en déduit que :

L’approche opportuniste de la crise prend alors, selon nous tout son sens : ne pas tenter de saisir l’opportunité d’une crise, c’est laisser passer une chance, peut-être cachée, mais à portée de main.
Stéphane Saint Pol, Wei Ji, retour aux sources [3].

Tout se passe comme si la langue chinoise était considérée comme ayant un meilleur concept de crise, à la fois plus proche de l’essence de la chose et mieux adapté au monde moderne.


[1] https://outils.biblissima.fr/fr/eulexis-web/?lemma=&dict=Bailly
[2] http://cafet.1fr1.net/sequence-theatre-f28/comique-de-mots-les-calembours-t301-30.htm 20-09-2013)
[3] http://www.communication-sensible.com/articles/ article0151.php], (20 – 09 – 2013).


 

Sens strict

Lat. arg. a ratione legis stricta ; stricta lege; stricto sensu. Lat. ratio, “raison” ; lex, “loi” ; strictus, “serré, étroit” ; sensu “sens”.

1. Sens strict

Le principe de l’application stricte interdit de restreindre ou d’élargir les dispositions de la loi ou du règlement ; elles doivent être interprétées littéralement, stricto sensu, à la lettre. On peut y voir un cas particulier du principe “on n’interprète pas ce qui est clair”. V. Topique juridique.

Si l’âge légal du vote est de 18 ans, alors on ne peut pas interdire à quelqu’un de voter le jour de son anniversaire parce qu’il a “à peine” 18 ans, ni le lui permettre la veille de son anniversaire parce qu’il a “presque” 18 ans. Or :

il a presque 18 ans est linguistiquement co-orienté avec il a 18 ans ;
il a à peine 18 ans est linguistiquement co-orienté avec il n’a pas 18 ans.

Le principe d’interprétation stricto sensu annule ces co-orientations. La règle établit des seuils, et admet des effets de seuil alors que presque et à peine les effacent. V. Orientation ; Morphème argumentatif.

Le principe de la généralité de la loi pose que la loi doit être appliquée à tous les cas concrets qu’elle couvre.
Le principe du sens strict pose qu’elle doit être appliquée selon son sens évident à tous ces cas.

2. La lettre contre l’esprit

V. Appel à la lettre du discours
Lorsque la loi semble claire pour un juge mais pas pour son collègue, une stase émerge sur la nécessité de l’interprétation (distincte d’une stase d’interprétation, où deux interprétations s’affrontent).
La lecture au sens stric (stricto sensu); ou lecture selon la lettre (littérale, ad litteram), s’oppose à l’interprétation, au sens large (lato sensu), ou selon l’esprit de la loi, c’est-à-dire en prenant en compte, par exemple ,l’intention du  législateur.

Dans un contexte argumentatif ordinaire, une réponse à la lettre (ad litteram) s’en tient à ce que l’opposant a effectivement dit, par opposition à ce que l’opposant a voulu dire.


 

Script argumentatif

Certaines questions argumentatives peuvent se développer et se résorber lors brefs épisodes qui ne laissent aucune trace affective ou mémorielle.  Par exemple :

Quand pouvons-nous aller chez nos amis ?

D’autres questions, privées ou publiques, restent ouvertes, et peuvent se développer sur plusieurs épisodes plus ou moins corrélés.

Où allons-nous construire notre nouvelle maison ?

Les questions politiques, philosophiques et sociales, prises en charge professionnellement, ont une durée de vie indéterminée :

Faut-il légaliser la consommation des drogues douces ?
Faut-il réviser la constitution ?

Les ordinateurs peuvent-ils penser ? [1]
Les animaux ont-ils conscience d’eux-mêmes ?

De telles questions argumentatives ouvertes attirent les arguments, les contre-arguments et les réfutations. Ces ensembles se stabilisent en argumentaires et scripts argumentatifs, qui peuvent être représentés sous forme de cartes argumentatives.
Ces scripts sont à la disposition des acteurs prenant position sur cette question, que ce soit dans le rôle de proposant ou celui d’opposant.

1. Argumentaire et ligne argumentative

Le mot argumentaire est utilisé pour désigner les argumentations proposées par une partie : « argumentaire d’un parti politique, argumentaire de vente… » (Rey [1992], art. Argument, qui précise que le mot argumentaire est récent, 1960).

L’expression ligne argumentative peut être utilisée pour désigner un discours développant une série d’arguments co-orientés, ou l’ensemble des discours co-argumentés par différents locuteurs alliés au cours d’un débat.

2. Script

Le script argumentatif attaché à une question est constitué par l’ensemble des arguments et des réfutations standards mobilisés par l’une ou l’autre partie lorsque la question est débattue. Le script correspond à la conjonction des argumentaires des parties en présence.

Le script argumentatif se développe avec l’état de la question argumentative. Il est susceptible d’être actualisé un nombre de fois indéterminé, sur une grande variété de sites. Il préexiste et informe les discours argumentatifs concrets, dont il constitue un élément déterminant, mais non unique. Il recueille les arguments sur le fond de la question, de façon relativement indépendante des circonstances spécifiques aux rencontres particulières. Il peut cependant inclure des caractéristiques génériques des intervenants dans le débat et des considérations sur les conditions dans lesquelles il se déroule.

L’argument “la sécurité sociale est en crise” fait partie de l’argumentaire anti immigration ; sa réfutation “vous manquez de générosité/ soyons généreux” relève de l’argumentaire pro-immigration. Les deux font partie du script de la même question. Un argument visant la personne, comme “et c’est vous qui portez des diamants qui osez nous parler de la crise de la sécurité sociale !” ne fait pas partie du script, l’interlocuteur ne portant pas forcément de diamants.

Script et invention

La notion de script modifie traditionnelle selon laquelle les arguments sont “inventés”, c’est-à-dire produits spontanément par le locuteur. Ils peuvent l’être dans certains cas, mais ils ne le sont pas forcément dans l’argumentation socio-politique, en philosophie, et dans toutes les disciplines ouvertes où il existe un état de la question. Dans ces domaines, le stock structuré d’arguments de base n’est pas trouvé mais hérité, fourni “clés en main”. La créativité argumentative s’exerce sur cette base d’un tel script ouvert.

Le travail du locuteur consiste à prendre connaissance du script qui correspond à la question à laquelle il est confronté, puis à jouer sa partition, c’est-à-dire à sélectionner, mettre en parole, actualiser et amplifier les différents éléments de l’argumentaire auquel il s’intéresse, autrement dit à effectuer un parcours sur le script, et si possible, à l’augmenter.
Ce fait a des répercussions sur l’éducation à l’argumentation. Il valorise l’information préalable à la discussion, ainsi que les capacités d’expression et de style de l’argumentateur.


[1] Une fraction du script correspondant à cette question est disponible à l’adresse http:// web.stanford.edu/~rhorn/a/topic/phil/artclISSAFigure1.pdf] (29-09-2013).


 

Schématisation en Logique Naturelle

L’étude des schématisations est l’objet central de la logique naturelle développée par Jean-Blaise Grize. Cette logique est dite naturelle par opposition à la logique formelle. D’une part, c’est une « logique des objets » (1996, p. 82) et une « logique des sujets » (Grize 1996, p. 96) ; d’autre part, elle porte sur des processus de pensée, dont le discours nous fournit les traces. Ces processus obéissent à des mécanismes spécifiques, que la logique naturelle se propose d’étudier au moyen des concepts de schématisation et d’organisation raisonnée.

Selon Grize, le discours est essentiellement argumentatif, ce qui signifie que tous les énoncés cadrent le monde ou la situation, selon des lignes inter-subjectivement pertinentes, pour construire une « schématisation » significative. « Schéma » a ici un sens totalement différent de « schéma d’argument », qui correspond à une « organisation raisonnée », dans le vocabulaire de Grize. L’organisation raisonnée est un phénomène de second niveau, celui de la combinaison des énoncés, tandis que la schématisation est un phénomène de premier niveau, celui de la production de l’énoncé.

1. Donner à voir

Selon la métaphore favorite de Grize, celle de l’éclairage, argumenter, c’est montrer à un auditoire une situation telle qu’elle est « éclairée » par le discours de l’orateur. Les schématisations ont pour fonction « de faire voir quelque chose à quelqu’un » (1996, p. 50) :

schématiser […] est un acte sémiotique : c’est donner à voir. (ibid., p. 37).

L’objet de la logique naturelle est l’étude des modalités de construction de ces images.

Dans les termes de Perelman & Olbrechts-Tyteca, cette opération d’éclairage consiste à donner de la « présence » à certains objets (Perelman & Olbrechts-Tyteca, [1958], p. 154 sv.). Comme chaque discours jette un éclairage subjectif sur le monde, l’argumentation est inhérente à la parole. L’étude contrastive des objets de discours montre comment les locuteurs éclairent différemment les objets sur lesquels ils s’opposent. Dans cette perspective, une argumentation n’est pas nécessairement un ensemble d’énoncés organisés selon un schéma comme celui de Toulmin. La capacité persuasive d’un argument et sa rationalité ne sont pas liées à un type particulier de discours, ni à l’utilisation de telle et telle « technique discursives », comme le suggèrent Perelman & Olbrechts-Tyteca.
Tout énoncé, toute succession cohérente d’énoncés, qu’elle soit traditionnellement considérée comme descriptive, narrative, explicative ou argumentative, est, de fait, argumentative, dans la mesure où elle construit un schéma d’une réalité quelconque. La logique naturelle est définie comme l’étude de telles schématisations, qui sont la contrepartie cognitive des constructions langagières.

Ce concept d’argumentation sous-tendant description, narration ou explication évoque notamment à la vision de l’argumentation comme “storytelling”, présentant le monde de façon globale, cohérente et possiblement très détaillée. Elle a la même valeur transversale que la notion d’orientation pour l’argumentation dans la langue.
Cette approche peut être réconfortants pour les étudiants découragés par la difficulté de donner un compte rendu dense de textes ou d’interactions en termes de schémas d’argumentation, même lorsque ceux-ci sont complétés par un vaste répertoire de figures de style, V. Objet de discours.

2. L’argumentation dans l’énoncé

L’argumentation est définie de façon classique comme une combinaison d’énoncés. La logique naturelle de Grize développe une vision de l’argumentation comme un processus de construction du sens de l’énoncé, la combinaison d’énoncés n’intervenant que dans un second temps :

Agir sur [l’interlocuteur], c’est chercher à modifier les diverses représentations qu’on lui prête, en mettant en évidence certains aspects des choses, en en occultant d’autres, en en proposant de nouvelles, et tout cela à l’aide d’une schématisation appropriée.
Grize 1990, p. 40 ; je souligne

L’argumentation ne surgit pas avec l’enchaînement des énoncés dans un discours, elle émerge progressivement à toutes les étapes de la production de l’énoncé, dès la première opération qui aboutira à la construction d’un discours signifiant, donc « raisonné ». Tout énoncé, ni plus ni moins que toute succession cohérente d’énoncés (qu’elle soit argumentative au sens traditionnel, descriptive, ou narrative) est une argumentation en ce qu’elle construit un point de vue ou « schématisation », dont l’étude constitue l’objet de la logique naturelle. Cette conception aboutit à reconsidérer toute information comme argumentative ; c’est une façon de faire intervenir l’argumentation dès les processus de construction de l’énoncé, V. Argumentation (1): Définitions; Argumentation (2): Carrefours et positions.

Grize définit la logique naturelle comme « l’étude des opérations logico-discursives qui permettent de construire et de reconstruire une schématisation » (1990, p. 65) ; « elle a pour tâche d’expliciter les opérations de pensée qui permettent à un locuteur de construire des objets et de les prédiquer à son gré » (1982, p. 222).

La notion de schématisation définie comme une « représentation discursive » « orientée vers un destinataire de ce que son auteur conçoit ou imagine d’une certaine réalité » (1996, p. 50), « de ce dont il s’agit » (1990, p. 29). Une schématisation est un discours qui présente à l’auditeur un « micro-univers » se donnant pour « un reflet exact de la réalité » (ibid., p.36), qui construit, « aménage » (ibid., p.35) une signification synthétique, cohérente, stable.

Cette notion est d’un grand intérêt pour l’étude de l’argumentation, dès le stade de la confrontation discours / contre-discours :

L1 : — Ces remplaçants, vous allez les payer avec l’argent des grévistes !
L2 : — C’est pas l’argent des grévistes, c’est l’argent des contribuables !

3. Opérations construisant les schématisations

La logique naturelle postule l’existence de « notions primitives », de nature pré-langagière (Grize 1996, p. 82), liées à la fois à la culture et à l’activité des sujets parlants. Ces notions correspondent aux « préconstruits culturels », aux idées reçues et au pré-jugé (sans connotations péjoratives). La langue « [sémantise] » ces notions primitives pour en faire « [des] objet[s] de pensée » associés aux mots (Grize 1996, p. 83).

Les schématisations s’ancrent dans ces « notions primitives » (ibid., p. 67) et se construisent par une série d’opérations. Le petit texte :

Il est regrettable que le bord de l’image soit tout à fait flou, et cela doit être corrigé

est construit, à partir des notions primitives associées à image et à flou, notées /flou/ et /image/, par la succession d’opérations suivantes.

(i) Opération de constitution des notions primitives en objets de discours ou classes-objets, que le discours va enrichir d’éléments liés culturellement ou linguistiquement à l’élément de base de la classe-objet (1982, p. 227). La classe-objet correspond au faisceau d’objet pour un texte donné (1990, p. 86-87). Le texte construit la classe-objet (image, bord de l’image), ainsi que le couple prédicatif (être flou, ne pas être flou).

(ii) Opérations de caractérisation, qui produisent des « contenus de jugements » ou prédications, et sont accompagnées de modalisations, opérées sur les classes-objets. Le contenu de jugement correspondant est “[que le bord de l’image] [être] tout à fait flou”. Ce contenu de jugement pourra être ensuite asserté ou nié.

(iii) Opérations d’énonciation, le contenu de la prédication est pris en charge par un sujet et produit un énoncé. Ici : “il est regrettable que le bord de l’image soit tout à fait flou”.

(iv) Opération de configuration, ou de liaison de plusieurs énoncés, au niveau de l’enchaînement discursif. L’opération d’étayage est une opération de configuration particulière. L’énoncé  (iii)  est coordonné par et avec un second énoncé, produit selon un mécanisme similaire, “cela doit être corrigé”.

Les objets ainsi schématisés vont évoluer au fil du discours. Les opérations dites de « configuration », c’est-à-dire de composition d’énoncés où la tradition voit l’essence logique de l’argumentation, interviennent en dernier lieu (1990, p. 66). Le grand intérêt de cette approche est de souligner que toutes les opérations que l’on peut distinguer dans la production de l’énoncé ont également valeur argumentative. L’argumentation est autant une affaire de construction de l’énoncé que d’enchaînement des énoncés.

Ces différentes opérations du langage ou de l’esprit peuvent être mises en relation avec des notions de logique classique :

(i) L’opération de constitution des notions primitives en objets de discours construit des termes et des prédicats.
(ii) L’opération de caractérisation produit des contenus propositionnels non assertées.
(iii) L’opération d’énonciation correspond à l’assertion.
(iv) L’opération de configuration correspond à l’insertion de l’énoncé dans un discours.

4. Opérations d’étayage

La notion d’étayage, développée en logique naturelle, est définie comme

Une fonction discursive consistant, pour un segment de discours donné (dont la dimension peut varier de l’énoncé simple à un groupe d’énoncés présentant une certaine homogénéité fonctionnelle), à accréditer, rendre plus vraisemblable, renforcer, etc. le contenu asserté dans un autre segment du même discours.
Apothéloz & Miéville 1989, p. 70

Avec cette notion, la logique naturelle rejoint les problématiques de l’argumentation comme composition d’énoncés, un ou des énoncé-argument soutenant un énoncé-conclusion, V. Argumentation: Définitions

Pour désigner le résultat du processus d’étayage, la logique naturelle emploie le terme d’organisation raisonnée :

De nombreux énoncés ne servent en fait qu’à appuyer, à étayer l’information donnée. Ceci relève de l’ordre général de l’argumentation et permet d’envisager des blocs plus ou moins étendus de séquences discursives comme des organisations raisonnées. (Grize 1990, p. 120)

L’étude des organisations raisonnées est un instrument pour l’étude des représentations, définies comme « un réseau de contenus articulés entre eux » (Grize 1990, p. 119-120).
Grize parle de représentation pour focaliser sur le contenu cognitif du discours argumentatif.

Pour la logique naturelle, ce qui est raisonné ne se limite pas à la combinaison d’énoncés mais inclut tout le processus dynamique de production et de structuration de l’énoncé, qu’il soit argument ou conclusion.

5. Schématisation et situation de communication

Les schématisations sont construites en dépendance de la situation de communication. Elles sont le produit de « l’activité de discours [qui] sert à construire des objets de pensée » (1990, p. 22) ; en cela elles relèvent d’une logique des objets, ces objets entrant dans un dialogue où ils « [servent] de référents communs aux interlocuteurs » (ibid.). En tant que logique des sujets, la logique naturelle envisage une relation d’interlocution strictement analogue à celle de l’adresse rhétorique. Elle est « de nature essentiellement dialogique » (1990, p. 21) :

J’entends par là non l’entrelacs de deux discours, mais la production d’un discours à deux : celle d’un locuteur (orateur) […] en présence d’un locuté (auditeur) […]. Il est vrai que, dans la quasi-totalité des textes examinés, [l’auditeur] reste virtuel. Cela ne change toutefois rien au problème de fond : [l’orateur] construit son discours en fonction des représentations qu’il a de son auditeur. Simplement, si [l’auditeur] est présent, il peut effectivement dire “Je ne suis pas d’accord’” ou “Je ne comprends pas”. Mais si l’auditeur est absent, [l’orateur] doit bel et bien anticiper ses refus et ses incompréhensions. (1982, p. 30)

Les schématisations sont construites en situation d’interlocution, selon le schéma suivant (Grize 1990, p. 29) :

A = Locuteur ; B = Interlocuteur ; T = Thème ;
PCC = Préconstruits culturels Im(A),
Im(T), Im(B) = Image de A, du Thème, de B

Im(A), Im (T), Im(B) : le locuteur construit dans son discours son image, celle de son interlocuteur et celle de la situation. Il y a une construction stratégique de tous les « objets de discours », pour reprendre la terminologie de Grize : images de l’opposant, du juge, du public, du suspect, des témoins, de tous les protagonistes de la cause. La thématique de l’éthos correspond à celle de la « schématisation de soi » et des autres partenaires de l’interaction.
Ce schéma est profondément rhétorique, mais avec un renoncement à la persuasion, au profit de la monstration :

L’orateur ne fait jamais que construire une schématisation devant son auditoire sans la lui “transmettre” à proprement parler. (1982, p. 30).

Les modes d’interaction entre les schématisations respectives des participants restent à déterminer.

5. Logique, Logique naturelle, Logique substantielle et Argumentation dans la langue

Grize définit la logique naturelle par opposition à la logique formelle :

À côté d’une logique de la forme, d’une logique formelle, il est possible d’envisager une “logique des contenus”, c’est-à-dire une logique qui se préoccupe des procédés de pensée qui permettent d’élaborer des contenus et de les relier les uns aux autres. La logique formelle à base de propositions rend compte des relations entre concepts, la logique naturelle se propose, elle, de mettre en évidence la façon dont se construisent les notions et les liens qui les unissent. (Grize 1996, p. 80)

La notion de « logique des contenus » peut rappeler la « substantial logic » du modèle de Toulmin. Mais, à la différence de Toulmin qui caractérise l’argumentation par un agencement d’énoncés sur la structure interne desquels il ne s’interroge que secondairement, Grize travaille en priorité sur les opérations de production de l’énoncé lui-même.

Comme la théorie de l’argumentation dans la langue, la logique naturelle généralise l’argumentation mais, alors que l’argumentation dans la langue généralise l’argumentation sur des caractéristiques de langue, la logique naturelle généralise sur des caractéristiques de discours : la logique naturelle est une théorie généralisée de l’argumentation qui fait confiance au discours.


 

Schéma – Schème – Schématisation

1. Schéma

On parle de schéma de l’argumentation en général pour désigner une représentation graphique de la structure (des traits essentiels et de leurs relations) d’une argumentation, simple ou complexe : V. Modèle de Toulmin ; Épichérème ; Convergence – Liaison – Série.

2. Schème

— L’expression schème d’argument [argument scheme] est synonyme de type d’argument, et de topos (inférentiel)

— Le schème logique d’une argumentation particulière correspond à la mise sous forme d’une déduction en langage logique d’une argumentation produite en langue naturelle, V. Logique.

La structure (schème) d’une interaction ou d’un texte argumentatif correspond à l’ordonnancement des informations, arguments, conclusions, concessions et réfutations dans cet événement discursif particulier tel qu’il apparaît au terme de l’opération de balisage du texte qui lui correspond.

— Le schème retraçant la structure d’une question argumentative particulière se représente sous la forme d’une carte argumentative, représentant les articulations des différents niveaux de questions dérivées à la question principale, V. Script.

3. Schématisation

La logique naturelle utilise le terme de schématisation pour désigner le résultat de la mise en discours d’une situation par un sujet.