Fallacies d’EXPRESSION (“Misleading expression”)
Le terme expression est utilisé en relation avec les fallacies dans trois acceptions :1) pseudo-déduction reposant sur la “forme de l’expression” ; 2) paralogismes d’expression, ou paralogismes liés au langage ; 3) ”misleading expressions”, ou formulations fallacieuses, en philosophie du langage. |
1. Pseudo-déduction reposant sur la “forme de l’expression”
Le concept provient de la Rhétorique d’Aristote. Le mode d’expression d’un discours est dit fallacieux lorsqu’il a une forme démonstrative sans avoir rien de démonstratif. Il peut prendre cette forme par exemple grâce à la présence d’un connecteur conclusif, “A donc B”, alors qu’il n’y a aucun lien entre les segments A et B reliés par ce connecteur ; on a alors affaire à un enthymème apparent, fallacieux par la forme de l’expression. On énonce une conclusion « sans pour autant avoir opéré une véritable déduction » (Rhét., II, 24, 1401a1 ; Chiron, p. 404), sans qu’il y ait eu une réelle argumentation.
On trouve d’abondants exemples de ce type dans Candide de Voltaire ainsi que dans les dissertations bardées de connecteurs, dont on espère qu’ils vont bien finir par produire une argumentation.
Candide et Pangloss arrivent à Lisbonne près le tremblement de terre qui a ravagé la ville.
Quelques citoyens secourus par eux, leur donnèrent un aussi bon dîner qu’on le pouvait après un tel désastre : il est vrai que le repas était triste, les convives arrosaient leur pain de leurs larmes ; mais Pangloss les consola, en les assurant que les choses ne pouvaient être autrement : “Car, dit-il tout ceci est ce qu’il y a de mieux. Car s’il y a un volcan à Lisbonne, il ne pouvait être ailleurs. Car il est impossible que les choses ne soient pas où elles sont. Car tout est bien”. Voltaire, Candide, ou l’Optimisme, [1759].[1])
(L’étiquette de “déduction incomplète” parfois utilisée pour désigner ce type de construction ne doit pas être confondue avec la fallacie d’énumération incomplète, qui rend invalide une argumentation au cas par cas.
Tous les paralogismes liés au langage sont également appelés, à juste titre, paralogismes d’expression.
2. Paralogismes d’expression, ou paralogismes liés au langage
Les Réfutations sophistiques listent six paralogismes « liés au langage » : 1. Homonymie, 2. Amphibolie, 3. Composition et 4. Division, 5. Accentuation, 6. Expression.
V. Fallacieux (3): Aristote.
3. Formulation fallacieuse [Misleading expression]
Dans les Réfutations sophistiques, la fallacie de “forme de l’expression” est aussi appelée fallacie de « forme du discours » (RS, note Tricot, p. 95) ; on trouve également l’étiquette de “figure du discours”, étiquette qui risque d’introduire des confusions redoutables.
Façons de parler qui engendrent des problèmes inexistants
La fallacie de forme de l’expression correspond exactement aux phénomènes que la philosophe analytique discute sous l’intitulé général de misleading expressions, “expressions fallacieuses”. Par exemple, Ryle considère qu’un énoncé comme “Jones déteste l’idée d’aller à l’hôpital” « suggère qu’il y a un objet dans le monde qui est la référence de l’expression “l’idée d’aller à l’hôpital” » c’est-à-dire qu’il induit la croyance en l’existence « des “idées”, “conceptions”, “pensées” ou “jugements” » (Ryle [1932], p. 14). Or Ryle considère que ces entités sont factices, et qu’en conséquence l’énoncé doit être réécrit sous la forme qui correspond à sa réalité sémantique-ontologique, “Jones est bouleversé [feels distressed] quand il pense à ce qui va lui arriver s’il va à l’hôpital”, qui ne contiendrait aucune référence à des entités fallacieuses comme “l’idée d’aller à l’hôpital” (ibid.).
Expressions superficiellement analogues, mais dont la structure sémantique est différente
— Selon l’analyse d’Austin ([1962]), énoncés descriptifs et énoncés performatifs ont la même structure grammaticale de surface, alors que leurs formes de signification sont très différentes : les premiers renvoient à des états du monde, alors que les seconds produisent la réalité qu’ils désignent, La fallacie descriptiviste (descriptive fallacy) est l’erreur qui analyse les énoncés performatifs comme des énoncés descriptifs, sur la base de leurs conditions de vérité, V. Interprétation.
— Les énoncés “le sentier est pierreux et pentu” et “le drapeau est rouge et noir” sont syntaxiquement analogues, mais on peut inférer du premier que “le sentier est pierreux” et que “le sentier est pentu”, alors qu’on ne peut pas inférer du second que “le drapeau est rouge” et que “le drapeau est noir”. Les fallacies de composition et division peuvent être considérées comme un cas particulier d’expression fallacieuse par la forme de l’expression, V. Composition.
— Par la similitude des formes linguistiques, on peut être entraîné à attribuer à un mot une catégorie qui n’est pas la sienne. Par exemple, souffrir et courir sont des verbes fondamentalement intransitifs ; on pourrait donc penser que souffrir exprime une action, comme courir. L’argumentation fondée sur les dérivés peut également être critiquée comme fallacie d’expression, V. Dérivés. Les fallacies substantielles sont de tels “faux concepts”, V. Fallacieux (2): Définitions
[1] Paris, La Sirène, 1759, p. 37