Stratégie

Une stratégie est un ensemble d’actions planifiées et coordonnées par un acteur en vue d’atteindre un but précis.

Une stratégie peut être antagonique ou coopérative. Les stratégies antagoniques se développent et s’opposent dans des champs d’actions non coopératifs, comme la guerre, les échecs ou la concurrence commerciale. Chacune vise à s’assurer un avantage décisif sur un adversaire qui poursuit des buts antagonistes. Les stratégies antagoniques sont dissimulées à l’adversaire, auquel elles se dévoilent au fur et à mesure de leur mise en œuvre, V. Manipulation.
Les stratégies coopératives fonctionnent dans des champs d’actions où les partenaires collaborent à la réalisation d’un même but, dont chacun espère tirer un avantage. Les intentions stratégiques sont alors transparentes pour tous les partenaires. On parle d’une “stratégie de recherche”, pour désigner un plan d’action devant permettre de résoudre un problème, ou de “stratégie pédagogique” à développer avec les élèves.

La stratégie et la tactique s’opposent selon différentes dimensions. Dans le domaine militaire, la stratégie opère avant le combat et la tactique pendant le combat. On parle également de tactique pour désigner l’implémentation locale d’une stratégie globale.

1. Stratégies argumentatives

Les stratégies argumentatives sont des formes de stratégies langagières et communicatives (stratégies énonciatives, stratégies interactionnelles). Une stratégie argumentative est un ensemble d’actions et de choix discursifs et interactifs planifiés et coordonnés en vue d’étayer un point de vue.

Une stratégie argumentative est antagonique si elle a pour but de faire triompher un point de vue contre celui d’un adversaire.
Elle est coopérative dans deux cas :
— les acteurs sont sur le même rôle actanciel, ils partagent un point de vue commun et collaborent pour l’étayer ;
— les acteurs sont sur différents rôles actanciels sans s’identifier à ces rôles, ils collaborent à la construction d’une solution partagée, V. Rôles.

L’expression tactique argumentative pourrait servir en référence à des phénomènes argumentatifs locaux, s’intégrant dans une stratégie globale. Par exemple, le choix d’utiliser tel ou tel type d’argument peut être vu comme un choix tactique, dans le cadre de l’implémentation d’une stratégie argumentative générale.
Une authentique stratégie nécessite la mobilisation simultanée de différents types d’instruments, par exemple la coordination d’un choix des mots, le choix d’arguments d’un mode de présentation de soi (comme ouvert ou fermé aux objections ; calme ou en colère ; etc.). Un schème d’argument peut être identifié sur la base d’un bref passage, tandis que l’étude d’une stratégie nécessite un corpus étendu qui représente adéquatement une position argumentative.

2. Exemples de stratégies

— Le premier niveau stratégique est celui du choix de la réponse qu’on va donner à la question, V. Stase.

 La stratégie défensive de réfutation se contente de réfuter les propositions de l’adversaire.

— La stratégie de contre-proposition ignore la proposition P de l’adversaire et argumente une proposition P’ incompatible avec P. Dans ce contexte, l’argumentation peut virer à l’explication.

— La stratégie d’objectivation se concentre sur les objets sans mettre en cause les personnes.

La stratégie de pourrissement cherche à faire dégénérer le débat pour éviter que la question soit discutée, V. Destruction.

— Bentham a identifié les types d’arguments dont l’usage coordonné définit une stratégie de temporisation, visant à remettre à plus tard le débat dans l’espoir qu’il n’aura jamais lieu : “les conditions ne sont pas encore remplies pour votre adhésion à l’Union européenne”.

Changement de stratégie : conciliation / rupture

Les stratégies de conciliation ou de rupture avec l’opposant se caractérisent par l’acceptation ou le refus des concessions, la souplesse ou la radicalisation des propositions présentées comme compatibles ou incompatibles. La stratégie de conciliation utilise des informations admises par l’auditoire, présente ses conclusions et recommandations comme dans la continuité des croyances et des actes antérieurs. La stratégie de rupture défie l’auditoire, rejette en bloc ses représentations pour lui en substituer de nouvelles. La première est réformiste, la seconde révolutionnaire.

Ces deux stratégies sont successivement utilisées par Paul, l’apôtre du christianisme. Dans le passage suivant, afin de capter l’attention des Athéniens qu’il aborde pour la première fois, il utilise une stratégie typique de séduction de l’auditoire (captatio benevolentiae), et commence son discours par une référence à leurs propres croyances, V. Rhétorique ; Croyance de l’auditoire :

21. Tous les Athéniens et les étrangers résidant (chez eux) ne passaient leur temps qu’à dire ou à écouter les dernières nouvelles. 22. Paul, debout au milieu de l’Aréopage, dit : “Athéniens, en tout je vous vois éminemment religieux”. 23. Car, passant et regardant ce qui est de votre culte, j’ai trouvé même un autel avec cette inscription : “Au dieu inconnu.” Ce que vous adorez sans le connaître, c’est ce que je vous annonce. (Actes des Apôtres, 17, 21-23.[1]).

Néanmoins, le message chrétien est accueilli avec scepticisme par les Athéniens, qui, en particulier, n’admettent pas la résurrection des morts. Plus tard, dans des circonstances bien différentes, Paul abandonnera cette attitude rhétorique conciliante, pour parler en rupture avec « la sagesse des sages et la science des savants » :

17. Ce n’est pas pour baptiser que le Christ m’a envoyé, c’est pour prêcher l’Évangile, non point par la sagesse du discours, afin que la croix du Christ ne soit pas rendue vaine. 18. En effet, la doctrine de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une force divine. 19. Car il est écrit : “Je détruirai la sagesse des sages, et j’anéantirai la science des savants.” 20. Où est le sage ? Où est le docteur ? Où est le disputeur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse du monde ? 21. Car le monde, avec sa sagesse, n’ayant pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. 22. Les Juifs exigent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse ; 23. Nous, nous prêchons un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les Gentils.
Première épître de Saint Paul aux Corinthiens, 17-2.[2]

2. Manœuvre stratégique

La pragma-dialectique a introduit le concept de manœuvre stratégique [strategic maneuvering] pour concilier les exigences dialectiques et rhétoriques. L’exigence rhétorique est définie comme une recherche d’efficacité : chaque partie souhaite faire triompher son point de vue. L’exigence dialectique est une recherche de rationalité. Au cours d’une rencontre concrète, chacune des parties poursuit simultanément ces deux objectifs. En pratique, la dimension dialectique s’apprécie en fonction des règles pragma-dialectiques pour la résolution rationnelle d’une différence d’opinion, V. Règles. La dimension rhétorique est essentiellement d’ordre communicationnel et présentationnel ; elle intègre notamment les dimensions classiques d’adaptation à l’auditoire du sujet et du style (Eemeren, Houtlosser 2006).


[1] http://bible.catholique.org/ actes-des-apotres/3301-chapitre-17
[2] http://bible.catholique.org/1ere-epitre-de-saint-paul-apotre- aux/3361-chapitre-1 (20-00-2013)